Par Tareq S. Hajjaj
Je scrutais les nouvelles lorsque j’ai vu apparaître un visage que j’ai reconnu. C’était l’image éplorée de mon ami Muhammad, qui tenait les certificats de naissance de ses jumeaux nouveau-nés. Ils ont tous deux été tués, ainsi que son épouse, lors d’une frappe aérienne israélienne.
Pas une seule fois je n’ai pensé que la guerre ferait ressurgir des souvenirs de mon enfance et les blesserait aussi, comme elle blesse le présent et l’avenir de moi-même et de centaines de milliers de familles à Gaza.
Le mardi 13 août, alors que je suivais les informations, j’ai été choqué en voyant mon ami, Muhammad Abu al-Qumssan. Il est originaire de Tal al-Hawa, à l’ouest de la ville de Gaza, et a été évacué avec sa famille à plusieurs reprises. Je l’ai rencontré presque tous les jours au marché de Rafah lorsque nous avons tous deux évacué cette ville, et je l’ai également rencontré à Khan Younis.
Mais je ne l’ai jamais vu brisé.
Muhammad apparaissait sur les réseaux sociaux dans des vidéos où il criait et pleurait comme un enfant, désemparé par son malheur ; les personnes qui l’entouraient tentaient de le retenir, mais il leur échappait, essayant de rejoindre sa famille, qui a été tuée lors d’une frappe aérienne israélienne.
Son frère l’a pris dans ses bras et l’a maintenu immobile, et les gens autour de lui ont commencé à prier Dieu de lui accorder la patience.
Muhammad est devenu père de deux magnifiques jumeaux le 10 août. Il s’est rendu à l’hôpital pour délivrer leur certificat de naissance. Il était impatient de rentrer chez lui, de les montrer à sa famille et de fêter l’événement avec elle, mais il est arrivé trop tard.
« Je n’ai pas eu le temps d’être heureux avec eux », a dit Muhammad, des larmes plein les yeux.
Je connais Muhammad depuis l’école. Il avait toujours un beau sourire, même pendant la guerre. Je me souviens qu’il était un bon chanteur à l’école.
Lorsque j’ai vu ses photos, je n’arrivais pas à croire qu’il s’agissait de la même personne. Je l’ai appelé immédiatement et il était presque incapable de parler.
« Il n’y a plus personne pour moi, Tareq. Ils ont tué tout le monde. Je n’ai même pas pu voir leurs visages pour leur dire adieu. »
Muhammad n’a pu trouver aucune explication rationnelle pour expliquer pourquoi sa femme et ses jumeaux nouveau-nés ont été pris pour cible dans leur appartement de Deir al-Balah.
Ils étaient seuls dans un appartement que Muhammad avait pu louer pendant la guerre au lieu de vivre dans une tente. Il avait à l’esprit le bien-être de sa femme enceinte lorsqu’il a loué l’emplacement, souhaitant lui offrir le plus de sécurité possible alors que le génocide bat son plein.
Il a apporté à ses bébés tout ce qu’il pouvait avant leur naissance. À une époque où il était pratiquement impossible de se procurer quoi que ce soit, Muhammad avait, au fil des mois, rassemblé des vêtements, un berceau, du savon, des couches, du lait maternisé, un biberon et tout ce dont un bébé a besoin.
« J’étais pressé par le temps. J’ai quitté la maison pour aller à l’hôpital, et c’est la dernière fois que je les ai vus. Mes proches m’ont appelé quand j’étais sur le point de rentrer à la maison. Ils m’ont demandé : ‘Tu vas bien ?’ Je me suis inquiété et je leur ai demandé ce qui s’était passé. Ils m’ont dit : ‘Ta maison a été bombardée et ta famille est en train de se rendre dans le même hôpital que toi’. Je suis allée les trouver, mais le personnel de l’hôpital n’a même pas voulu me laisser les voir. Ils étaient brûlés au point d’être méconnaissables, et il n’y avait même plus de visages à voir ».
L’épouse de Muhammad, le docteur Jumana Arafah, était médecin dans les hôpitaux et avait publié sur sa page de médias sociaux des messages montrant des enfants pris pour cible par des tireurs d’élite israéliens.
La frappe aérienne n’a tué que la famille de Muhammad qui se trouvait dans le bâtiment. Les habitants de Gaza ont considéré que ce crime s’inscrivait dans le cadre de l’assassinat de toute personne dénonçant les crimes d’Israël à Gaza, et Jumana était l’une d’entre elles.
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
21 août 2024 – Mondoweiss – traduction : Chronique de Palestine