Par Jonathan Cook
Face à des manifestants dans le périmètre de la barrière de Gaza, les snipers israéliens ont assassiné des douzaines de Palestiniens non-armés et blessé plus de 2000 autres, dont des enfants, des femmes, des journalistes et des auxiliaires médicaux, sous une grêle de balles réelles.
Amnesty, l’organisation internationale de défense des droits de l’homme a parlé, à juste titre, de « spectacle d’horreur ».
Une telle horreur est maintenant si routinière que les présentateurs TV n’ont d’autre choix que de reporter ces événements sous le titre de pire effusion de sang à Gaza depuis quatre ans, quand les Israéliens ont massacré des civils lors de leur dernière agression militaire.
Déjà à bout de souffle, étranglés par le blocus israélien depuis dix ans, les hôpitaux gazaouis s’effondrent aujourd’hui sous le poids des victimes.
Pendant ce temps, à quelques kilomètres de là, les israéliens faisaient la fête.
Tel Aviv, la prétendument ville « libérale » était occupée à faire la « danse du poulet » avec Netta, qui venait de remporter le concours de chant de l’Eurovision et qui a donné une représentation gratuite en plein air pour célébrer sa performance.
Et à Jérusalem, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, accueillait avec effusion une pléthore d’officiels étasuniens dont Ivanka Trump, la fille du président et sa conseillère politique. Ils étaient là pour briller devant les caméras puisque les États-Unis ont ouvert leur ambassade dans la ville sous occupation.
Ce déménagement empêche les négociations concernant le sort de la ville et sabote les ambitions des Palestiniens de voir Jérusalem-Est devenir la capitale de leur futur État.
Le sourire de Netanyahu disait tout. Alors qu’il susurrait des platitudes sur « la paix au Moyen-Orient », il a fini par obtenir les bénédictions de Washington pour faire de la totalité de Jérusalem sa capitale. Et l’année prochaine, l’Europe donnera sa bénédiction implicite en y organisant le concours de l’Eurovision.
Mais au milieu de l’euphorie, quelques commentateurs israéliens ont bien compris que la politique ne se limite pas au pouvoir – elle a besoin de l’image également. Les lampées de champagne à Tel Aviv et Jérusalem pendant que Gaza se noyait dans le sang laissent un goût fortement aigre dans la bouche.
Il y avait plus qu’un relent d’hypocrisie dans la déclaration sur la « défense des frontières » de la part d’un État qui a refusé de déclarer ses frontières depuis sa création il y a exactement 70 ans – ainsi que de la part du gouvernement Netanyahu qui essaie actuellement d’établir le Grand Israël sur les territoires palestiniens.
Mais l’hypocrisie ne s’est pas limitée à Israël et Washington, qui répétaient comme des perroquets les propos de Netanyahu.
Il y avait un hideux équivoque de la part d’autres dirigeants occidentaux. Ils ont parlé de « regret », de « tragédie » et de « préoccupation pour les pertes humaines », comme si une loi de Dieu avait frappé Gaza, et non un ordre des commandants israéliens pour réprimer l’aspiration des Palestiniens à la liberté, en tirant contre eux des balles réelles.
Tout aussi malhonnêtes étaient les propos sur la « retenue nécessaire des deux côtés » et les « affrontements » ; comme si les manifestants luttaient contre les soldats israéliens au corps à corps, au lieu d’être froidement pris pour cibles à travers les lunettes de visée de ces soldats.
Les politiciens et les médias israéliens ont désespérément cherché une justification morale à ces exécutions. Ils ont parlé de « terrorisme en cerf-volant » et d’une prétendue menace par jets de pierres contre des soldats positionnés à des centaines de mètres plus loin.
Alors que des milliers de Palestiniens ont été exécutés ou mutilés, combien d’Israéliens ont été blessés les six dernières semaines lors des manifestations à Gaza ? Exactement : aucun.
C’est une bien étrange forme de terreur.
La vérité est que la minuscule bande de Gaza devient très vite inhabitable, comme nous ont régulièrement alertés les Nations-Unies. Pendant plus d’une décennie, l’entité israélienne lui a imposé un blocus terrestre, maritime et aérien, tout en massacrant périodiquement les habitants de l’enclave avec des missiles et lors d’invasions militaires.
Un correspondant du New York Times a tweeté lundi que les Palestiniens de Gaza semblaient avoir un « désir de mort ». La vérité est que deux millions de Palestiniens – une population en croissance rapide – sont détenus dans une prison de plus en plus petite, dont les réserves sont presque vides.
Des dizaines de milliers d’entre eux ont montré qu’ils étaient prêts à risquer leur vie, non pas pour satisfaire un quelconque culte de la mort, mais pour arracher leur liberté, un des plus précieux besoin humain.
Et ils ont choisi une résistance par une confrontation non-violente, comme le moyen de faire honte à l’entité israélienne et au monde afin qu’ils reconnaissent leur situation désespérée.
Pourtant, au lieu de cela, les israéliens les ont privés de toute légitimité en prétendant qu’ils étaient des pions du Hamas visant à mettre la pression sur Israël.
Mais dans l’hypothèse où le Hamas essaierait d’influencer Israël, quel serait son but ?
La semaine dernière, un média israélien a déclaré en jubilant que le Hamas avait appelé discrètement à une trêve de longue durée avec l’entité israélienne, renonçant effectivement au droit des Palestiniens de résister violemment à l’occupation israélienne.
Ce ne serait pas la première fois. Cependant, alors que Hamas a cherché la trêve en échange d’une solution à deux États, on raconte maintenant qu’il a simplement demandé la fin du blocus et une chance de reconstruire Gaza.
Israël rejette jusqu’à cette moindre concession. Au lieu de cela, un ministre israélien a répondu au massacre de lundi en proposant d’assassiner les dirigeants du Hamas.
L’entité israélienne peut être dénué de remords mais les dirigeant occidentaux ressentent-ils de la honte ?
En dehors de l’Afrique du Sud et de la Turquie, aucun État n’a jusqu’ici rappelé son ambassadeur. Il n’y a aucun appel à l’embargo sur les ventes d’armes, pas de demandes d’enquêtes sur les crimes de guerre, pas de menaces de sanctions commerciales.
Et aucun plan, bien sûr, pour le type « d’intervention humanitaire » à laquelle les gouvernements occidentaux ont ardemment appelé dans d’autres régions du Moyen-Orient où des civils sont menacés.
Pendant sept décennies, l’Occident a choyé Israël à chaque occasion. L’absence de toute sanction sérieuse faisant suite à la violation des droits des Palestiniens a directement conduit au massacre de lundi.
Et l’incapacité à faire payer l’entité israélienne pour ce massacre – en fait, c’est l’inverse : de visibles gratifications avec la relocalisation de l’ambassade étasunienne et l’opportunité d’accueillir le concours de l’Eurovision – conduira au prochain massacre, et au suivant.
Les jérémiades ne suffisent pas. Il est temps pour quiconque possédant une conscience d’agir.
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
15 mai 2018 – Jonathan-Cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Fadhma N’sumer