Par Ramzy Baroud
Dans un article plein d’autosatisfaction publié dans Atlantic en 2017, Yossi Klein Halevi décrivait le comportement israélien dans les lieux saints musulmans après l’invasion israélienne de Jérusalem-Est en 1967 comme « un moment étonnant de retenue religieuse ».
« Le peuple juif venait juste de retourner sur son site le plus sacré, dont l’accès lui avait été refusé pendant des siècles, pour effectivement céder sa souveraineté au moment de son triomphe », écrit Halevi avec un sentiment inaltérable de fierté, comme si le monde devait à Israël une tonne de gratitude pour la façon dont il s’est comporté pendant l’un des actes de violence les plus flagrants de l’histoire contemporaine au Moyen-Orient.
Le discours pomplard de Halevi sur le sens élevé de la moralité d’Israël – comparé, selon sa propre analyse, au manque d’appréciation par les Arabes des ouvertures d’Israël et de leur prétendu refus d’engager des pourparlers de paix – n’est en rien unique. Il s’agit du même vocabulaire, servi d’innombrables fois par tous les sionistes, même par ceux qui ont fait de la propagande pour un État juif avant que celui-ci ne soit installé sur les ruines d’une Palestine ravagée et ethniquement nettoyée.
Dès ses débuts, le discours sioniste a été volontairement manipulateur, trafiquant et réécrivant les faits historiques lorsque c’était nécessaire et que cela convenait. Bien que le récit qui en résulte sur la création et le maintien d’Israël en tant qu’État exclusivement juif puisse paraître déroutant aux lecteurs impartiaux de l’histoire, pour les partisans d’Israël – et certainement pour les sionistes eux-mêmes – Israël, en tant que concept, est parfaitement logique.
Lorsque le nouveau ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a fait une descente dans la mosquée Al-Aqsa le 3 janvier pour se présenter aux extrémistes juifs comme le nouveau visage de la politique israélienne, il a également pris les premières mesures pour « redresser », selon sa propre perception, une injustice historique.
Comme Halevi, et en fait, l’essentiel de la classe politique israélienne, sans parler des intellectuels qui ont pignon sur rue, Ben-Gvir croit en l’importance de Jérusalem et de ses sanctuaires pour l’avenir même de l’État juif. Cependant, malgré l’accord général sur le pouvoir du récit religieux en Israël, il existe également des différences marquées.
Ce dont Halevi se vante dans son article dans l’Atlantic est le suivant : peu après que des soldats ont hissé le drapeau israélien, orné de l’étoile de David, au sommet du Dôme du Rocher, ils ont reçu l’ordre de le retirer. Ils l’ont fait, soi-disant, à la demande du ministre de la défense de l’époque, Moshe Dayan, cité dans l’article comme ayant dit au commandant de l’unité de l’armée : « Voulez-vous mettre le feu au Moyen-Orient ? »
Pour finir, Israël a conquis la totalité de Jérusalem. Depuis lors, il a également fait tout ce qui était en son pouvoir pour procéder à un nettoyage ethnique des habitants palestiniens musulmans et chrétiens de la ville afin de garantir une majorité juive absolue. Ce qui se passe à Sheikh Jarrah et dans d’autres quartiers palestiniens de Jérusalem n’est que la continuation de ce déjà ancien et triste projet.
Cependant, l’enceinte du Haram Al-Sharif – où se trouvent la mosquée Al-Aqsa, le Dôme du Rocher et d’autres sanctuaires musulmans – était nominalement administrée par les autorités islamiques du Waqf. Ce faisant, Israël a réussi à imposer l’idée mensongère selon laquelle la liberté de religion est toujours respectée à Jérusalem, même après la soi-disant « unification » de la ville par Israël, qui restera, dans le discours officiel israélien, la « capitale unie et éternelle du peuple juif ».
La réalité sur le terrain, cependant, a été largement dictée par les Ben-Gvirs d’Israël qui, pendant des décennies, se sont efforcés d’effacer l’histoire et l’identité musulmanes et chrétiennes de la ville occupée, et parfois même leurs anciens cimetières.
Al-Haram Al-Sharif n’est pas une oasis religieuse pour les musulmans, mais le lieu de manifestations quotidiennes, au cours desquelles des soldats israéliens et des fascistes juifs prennent régulièrement d’assaut les lieux saints, laissant derrière eux des os brisés, du sang et des larmes.
Malgré le soutien américain à Israël, la communauté internationale n’a jamais accepté la version de l’histoire falsifiée par Israël.
Bien que le lien spirituel juif avec la ville soit toujours reconnu – en fait, il est respecté par les Arabes et les musulmans depuis que le calife Omar ibn Al-Khattab a libéré la ville en 638 – les Nations unies n’ont cessé de rappeler à Israël l’illégalité de son occupation et de toutes les actions connexes qu’il a menées dans la ville depuis juin 1967.
Mais Ben-Gvir et son parti Otzma Yehudit, comme toutes les grandes forces politiques israéliennes, se soucient peu du droit international, de la véritable histoire ou des droits des Palestiniens.
Cependant, leur principal point de discorde concernant la marche à suivre à Al-Aqsa est essentiellement interne. Il y a ceux qui veulent accélérer le processus de revendication d’Al-Aqsa en tant que site juif, et ceux qui pensent qu’une telle démarche est inopportune et, pour l’instant, non stratégique.
Le premier groupe, cependant, est en train de l’emporter. Longtemps marginalisés à la périphérie de la politique israélienne, les partis religieux israéliens se rapprochent maintenant du centre de gravité de cette vie politique, ce qui affecte les priorités d’Israël sur la meilleure façon d’écraser les Palestiniens.
Les analyses habituelles attribuent la montée en puissance des organisations religieuses israéliennes à la volonté désespérée du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu d’accéder et rester au pouvoir, quitte à se servir de personnalités peu ragoûtantes comme Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et Aryeh Deri.
Toutefois, cette évaluation ne dit pas tout, car le pouvoir des partis religieux a longtemps précédé les déboires politiques et juridiques de Netanyahu. En effet, le discours sioniste a lui-même évolué vers un sionisme religieux, ce qui peut être facilement observé dans le sentiment religieux croissant dans le système judiciaire israélien, parmi les soldats de l’armée, à la Knesset (Parlement) et, plus récemment, au sein du gouvernement lui-même.
Ces changements idéologiques ont même conduit certains à affirmer que Ben-Gvir et ses partisans sont à la recherche d’une « guerre religieuse ». Mais est-ce Ben-Gvir qui a introduit la guerre de religion dans le discours sioniste ?
En vérité, les premiers sionistes n’ont jamais essayé de masquer l’identité religieuse de leur projet colonial. « Le sionisme vise à établir pour le peuple juif un foyer publiquement et légalement assuré en Palestine », affirmait le programme de Bâle, adopté par le premier congrès sioniste en 1897.
Peu de choses ont changé depuis lors. Israël est « l’État national, non pas de tous ses citoyens, mais uniquement du peuple juif », a déclaré Netanyahu en mars 2019.
Donc, si l’idéologie fondatrice d’Israël, le discours politique, la loi sur l’État-nation juif, chaque guerre, chaque colonie illégale, chaque route de contournement et même le drapeau et l’hymne national israéliens eux-mêmes étaient tous directement liés ou faisaient appel à la religion et aux sentiments religieux, alors on peut affirmer sans risque de se tromper qu’Israël est engagé depuis sa création dans une guerre de religion contre les Palestiniens.
Les sionistes, qu’il s’agisse de « sionistes politiques » comme Théodore Hertzl ou de « sionistes spirituels » comme Ahad Ha’am – et maintenant Netanyahu et Ben-Gvir – ont tous exploité la religion juive pour atteindre le même objectif, à savoir la colonisation de toute la Palestine historique et le nettoyage ethnique de sa population native.
Malheureusement, une grande partie de cette sinistre besogne a été réalisée, bien que les Palestiniens continuent de résister avec la même volonté que leurs ancêtres.
La vérité historique est que le comportement de Ben-Gvir n’est que le résultat naturel de la pensée sioniste, formulée il y a plus d’un siècle. En effet, pour les sionistes – qu’ils soient religieux, laïques ou même athées – la guerre a toujours été ou, plus exactement, devait être une guerre religieuse.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
17 janvier 2023 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah