Par Ramzy Baroud
Nous aurions cependant tort d’ignorer le contexte politique qui a conduit un réfugié tunisien de 21 ans à organiser un attentat à l’arme blanche contre des fidèles à Nice. S’il est assez facile d’identifier le coupable individuel derrière un événement aussi violent, il faut un effort d’introspection et encore plus d’honnêteté, pour identifier les véritables coupables, qui souvent pour des raisons politiques, attisent les flammes de la haine et de la violence.
Depuis son arrivée au Palais de l’Élysée, en mai 2017, le président français Macron a mené une politique extérieure agressive et un programme intérieur tout aussi critiquable. Ces choix n’ont pas été faits au hasard, car Macron a été confronté à de nombreux défis en France même : la montée des inégalités et du chômage, les protestations de masse menées en grande partie par le mouvement des “Gilets Jaunes” et la montée en puissance des mouvements populistes de droite et anti-immigrants, tels que le Rassemblement national (RN) de Le Pen.
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Il est important de rappeler l’atmosphère politique dans laquelle Macron a été élu, car la place était censée être réservée au candidat propulsé par l’Union pour un mouvement populaire (UMP), autrefois au pouvoir.
Le candidat de ce mouvement, François Fillon [noyé sous les scandales], n’a pas réussi à gagner les voix nécessaires pour remporter les élections du 23 avril 2017. Au lieu de cela, c’est Macron, un “outsider” politique relatif du parti En Marche (EM), qui a eu l’aubaine de stopper la progression du FN, raciste et chauvin, de Marine Le Pen. En effet, Macron [le plus roublard] a remporté le deuxième tour des élections le 7 mai.
Sa victoire a été décisive [avec des taux d’abstention historiques].
À en juger par les protestations de masse qui ont suivi l’élection de Macron, exacerbées ensuite par la crise économique résultant de la pandémie COVID-19 (qui, à ce jour, a tué plus de 36 000 personnes rien qu’en France), Macron n’est plus guère populaire auprès des Français.
Avec de nouvelles élections prévues pour le début de l’année 2022, Macron et les élites dirigeantes de la France sont aux abois. Il est peu probable que l’économie française se redresse de sitôt, non seulement en raison de la pandémie de coronavirus – dont l’impact destructeur devrait persister au cours des mois et des années à venir – mais aussi parce que, au cours des trois dernières années, il n’y a pas eu aucune refonte structurelle sérieuse de l’économie française pour enrayer les pandémies que sont les inégalités, le chômage, le racisme et la corruption politique.
Comme c’est souvent le cas avec les dirigeants incompétents, Macron a investi dans la création de dérivations politiques au niveau national et international, dans la fabrication de crises et dans l’incitation à des affrontements inutiles.
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Le dirigeant français a saisi l’opportunité qui lui était offerte par le retrait américain de divers conflits en Méditerranée, à savoir la Libye, la Syrie, le Liban et le conflit gazier de la Méditerranée orientale. Le changement de priorités de la politique étrangère américaine, associé à l’abandon par les Britanniques de l’Union européenne – qui doit entrer pleinement en vigueur à la fin de cette année – a poussé Macron à se comporter comme un leader de facto de l’Europe.
Le racisme en France est très répandu et les succès électoraux des différents partis nationalistes de droite et d’extrême-droite en témoignent. Au lieu d’affronter cette maladie enracinée qui afflige le corps politique français depuis bien trop longtemps, Macron s’est efforcé de trouver une sorte d’équilibre, où il continue à faire appel aux forces [prétendument] libérales de son pays sans s’aliéner totalement l’électorat chauvin de droite.
Pour parvenir à cet équilibre délicat, Macron a opté pour l’option la plus commode politiquement – et, pour le dire franchement, la plus vile et la plus abjecte – : cibler les communautés arabes et africaines françaises les plus marginalisées et les plus pauvres au nom de la lutte pour les “valeurs” de la République contre le “terrorisme islamique” et les forces “obscures” qui se cacheraient dans son pays.
Cela ne veut pas dire que le terrorisme intérieur n’est pas un problème majeur méritant une attention et des contre-stratégies. Toutefois, à en juger par les déclarations récurrentes des responsables et des médias français – qui tendent à diaboliser des groupes entiers de populations majoritairement immigrées et leurs valeurs religieuses – il semble que le gouvernement français mène une sorte de croisade contre sa propre population musulmane.
Il semble que Macron lui-même mène une campagne populiste contre l’Islam et les musulmans en France et ailleurs. Cette démonstration pathétique de mauvais leadership totalement opportuniste a été le véritable catalyseur de la crise actuelle.
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Cette brève chronologie est suffisante pour faire le lien entre Macron et les dernières violences en France.
Le 2 octobre, Macron a assumé le rôle de théologien érudit en donnant des leçons sur l’Islam à ses compatriotes. “L’Islam est une religion qui connaît une crise aujourd’hui, partout dans le monde”, a-t-il déclaré, exposant un plan pour combattre le “séparatisme” islamique en France. Cette déclaration provocatrice avait une dimension internationale qui, comme on pouvait s’y attendre, a soulevé la colère des gouvernements et des populations musulmanes dans le monde entier.
La composante intérieure de ses propos était encore plus dangereuse, car il a pratiquement déclaré que les musulmans français constituaient une cinquième colonne, dont le but ultime est de déstabiliser et de briser la République française.
D’autres provocations ont suivi, reprenant une fois de plus les critiques à l’égard de l’Islam et les moqueries du prophète Mohammed, des immigrants africains et arabes, etc… au nom des valeurs françaises, de la démocratie et de la liberté d’expression.
À en juger par l’attaque sanglante du magazine Charlie Hebdo en janvier 2015 et les violences et incendies de plus de 30 mosquées qui ont suivi (bien que ces dernières n’aient pas ou peu retenu l’attention des médias), il n’aurait pas fallu un génie particulier pour en déduire que les dernières provocations et incitations anti-musulmanes dirigées par le gouvernement étaient également vouées à la violence et à la contre-violence.
Et en effet, le 16 octobre, un professeur qui avait exposé dans son cours des images se moquant du prophète Mahomet, a été tué par un réfugié musulman tchétchène de 18 ans. Le professeur a ensuite été déclaré héros français et célébré pour son sacrifice supposé pour les valeurs françaises.
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Les moqueries et les insultes à l’égard de l’Islam et des musulmans se sont poursuivies cette fois-ci à une échelle beaucoup plus grande. L’incitation à la haine des musulmans s’est accompagnée d’actes de violence à l’encontre des musulmans français, en particulier des femmes. Une fois encore, ce type de violence a reçu peu d’attention dans les médias internationaux et n’a guère été considéré en France comme l’expression d’un mouvement de masse reflétant des idées religieuses ou nationalistes.
Avec la Turquie, le Pakistan et les mouvements politiques représentant tous les pays à majorité musulmane du monde qui se sont lancés dans la bataille, Macron a réussi à se placer au centre de l’attention internationale en tant que combattant intransigeant des valeurs occidentales et des [prétendus] idéaux démocratiques – avec une subtile insistance sur le fait d’être en même temps le champion du christianisme.
La véritable crise n’est pas celle de l’Islam, mais celle de la politique en France.
Si quelqu’un mérite d’être moqué, ce n’est pas le prophète Mahomet – dont le message d’il y a près de 1500 ans était celui de la paix, de la justice et de l’égalité – mais bien Macron lui-même, qui s’obstine à vouloir détourner l’attention de son échec patent en tant qu’homme politique, en dressant les Français, religieux ou non, les uns contre les autres.
Faut-il espérer que Charlie Hebdo fasse bientôt la satire de cette triste réalité ?..
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
2 novembre 2020 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah