C’est incontestable : les enfants de Gaza sont délibérement pris pour cible

20 mars 2025 - Après une attaque coloniale à grande échelle contre le village de Jinba, situé à Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie - Photo : Activestills

Par Amel Guettatfi

Mira Al-Darini, petite fille de 4 ans, debout près de la tente familiale dans un camp bondé de personnes déplacées, un matin d’été a reçu une balle dans la tête.

Le 24 août, Mira Al-Darini, petite fille de 4 ans, venait de se réveiller un matin chaud d’été dans un camp bondé de personnes déplacées, situé entre une prison locale et la mer méditerranée à Khan Younis, quand le bruit de chars militaires israéliens et de coups de feu éclatèrent. La panique s’en suivit. Mira se trouvait à côté de latente familiale, un sandwich que sa maman lui avait fait pour le petit déjeuner à la main quand une balle la frappa à la tête.

« C’était l’anniversaire de sa sœur ainée », dit Israa Haboush, la mère de Mira au programme documentaire Fault Lines d’Al Jazeera. « [Les enfants] étaient heureux et m’ont appelée : ‘maman lève-toi. Faisons un gâteau pour l’anniversaire de Rahaf’; Et soudain, le visage de Mira était en sang, et nous avons vu que notre fille avait été touchée à la tête. »

Des témoins ont dit que Mira avait été frappée par un drone militaire israélien équipé d’un fusil.

Le père de Mira, Mohammed Al-Darini, l’emmena d‘urgence vers deux hôpitaux, assis à l’arrière de la moto d’un étranger, Mira dans ses bras – d’abord à l’hôpital Koweit à Rafah et ensuite à l’hôpital Nasser de Khan Younis, l’un des plus grands hôpitaux de Gaza, qui a été bombardé dimanche par l’armée israélienne.

En route, Mira était presque décédée. Lorsqu’ils sont arrivés à l’hôpital, elle a fait l’objet d’un tri et catégorisée « noire » – aucun espoir de survie.

Le Dr. Mimi Syed, médecin urgentiste américaine bénévole, était de service ce matin-là aux urgences. Lorsque Mira fut confiée aux soins du Dr Syed, cette dernière remarqua de très légers mouvements.

« J’ai commencé à l’examiner et l’un de mes collègues est venu et m’a dit, « Non, ne perd pas ton temps,» a-t-elle rappelé lors d’une interview chez elle dans l’État de Washington. « Mais ce que j’avais remarqué chez elle c’est qu’elle bougeait encore. J’ai eu le sentiment qu’il était encore possible de la sauver. »

Le Dr Syed a immédiatement intubé Mira et utilisé l’une des quelques lames bien usées à disposition. En raison des restrictions imposées par Israël sur les équipements médicaux entrant à Gaza, les ressources sont rares. La balle a pu finalement être extraite du crane de Mira et, contre toute attente, elle a survécu.

C’était la deuxième fois que Mira frôlait la mort, a dit Mohammed à l’équipe de Fault Lines à Gaza. L’an dernier lorsque la famille fuyait vers le sud, ils ont été ciblés par un missile israélien, tuant l’une de ses tantes. Une autre tante perdit une jambe. Cette fois, « elle s’est retrouvée entre la vie et la mort » se remémora Mohammed.

Aujourd’hui, Mira fait de la physiothérapie quand elle le peut. Elle apprend lentement à remarcher, mais son avenir demeure incertain.

En grandissant elle devra subir d’autres procédures et interventions chirurgicales. Sa famille travaille pour qu’elle puisse en bénéficier, surmontant des obstacles apparemment insurmontables.

Alors qu’elle était en physiothérapie dans une clinique locale en janvier 2025, le bâtiment voisin a été bombardé. Mira a survécu une nouvelle fois, mais sa mère, Israa, a perdu une jambe. Le traitement prolongé dont elle a besoin, est une chose que le système de soins décimé de Gaza pourrait ne jamais pouvoir lui apporter.

Au cours des mois pendant lesquels Fault Lines a publié son nouveau documentaire Kids Under Fire (Les enfants sous le feu) la vie de Mira a continué à changer.

L’histoire de Mira illustre à quel point la vie est précaire pour des centaines de milliers d’enfants à Gaza, où survivre à une attaque n’est en rien une garantie d’être à l’abri d’une autre.

Dans les hôpitaux surchargés et sous tension de Gaza, un schéma glaçant a vu le jour. Fault Lines a interrogé vingt médecins américains qui se sont portés volontaires pour intervenir dans les hôpitaux de la Bande de Gaza depuis le début de la guerre en octobre 2023, et ils disent qu’ils ont soigné de nombreux enfants pour blessures par balles, souvent mortelles.

Les enfants : des cibles délibérées

Mohammed conserve un sinistre souvenir du jour où Mira a été abattue : la balle qui a frappé sa fille de quatre ans à la tête, « C’est la balle qui a détruit la vie de ma fille », dit -il, « et elle représente ce jour horrible où cela s’est produit .»

« De plus en plus, je commençais à voir des enfants avec des blessures intrusives comme des blessures d’armes à feu. Après cinq, six, sept, huit, j’ai réalisé qu’on tirait sur les enfants, » a déclaré le Dr. Tammy Abughnaim, médecin urgentiste américain de Chicago.

« Je ne voulais pas croire que l’on tirait sur les enfants. Personne ne veut croire cela. Personne ne veut penser que d’autres êtres humains sont capables d’anéantir des enfants de cette manière. » Le Dr. Abughnaim s’est rendu deux fois à Gaza l’année dernière, et est intervenu à l’hôpital Al-Aqsa, puis à l’hôpital Nasser.

L’histoire de la famille Darini s’inscrit dans un contexte plus large où l’armée israélienne s’en prend délibérément aux enfants. Les enfants constituent un tiers du nombre de morts à Gaza, d’après le ministère de la Santé de Gaza.

Près de 16 000 enfants ont été tués. Toutefois, ce chiffre est presque certainement une sous-estimation, car de nombreux enfants sont toujours portés disparus ou sont sous les décombres.

Si la plupart des enfants ont été tués par des bombardements aveugles, les médecins auxquels nous avons parlé disent qu’il presque impossible de spécifier combien ont été tués par des tireurs d’élite, des fantassins armés de fusils, des quadricoptères équipés de mitrailleuses.

« Une part de la campagne militaire israélienne consiste précisément à s’attaquer à ce dispositif qui établit un registre de qui a été tué et comment, » a expliqué Miranda Cleland, chargée de plaidoyer à Defense for Children International – Palestine. Mme Cleland travaille avec des chercheurs sur le terrain à Gaza qui ont dû arrêter la collecte de données parce qu’ils étaient bombardés et ont dû évacuer leur maison.

« Il ne peut y avoir de doute quant à l’identité de la cible au bout de la lunette, » nous a dit le D. Mark Perlmutter, « ce sont de jeunes êtres humains, et lorsque le tireur appuie sur la gâchette, ce n’est pas par accident. Pas du tout. Jamais. »

Actuellement à Gaza, à l’hôpital Nasser, le D. Perlmutter est un chirurgien orthopédiste de la main originaire de Caroline du Nord qui s’était porté volontaire à l’hôpital européen de Gaza à Khan Younis au printemps dernier.

Équilibre des pouvoirs rompu

Les États-Unis versent des milliards de dollars d’aide à Israël chaque année. Au cours des sept dernières décennies, Israël a reçu environ 124 milliards de dollars d’aide militaire américaine. Ce qui fait d’Israël le pays qui a reçu le plus important financement états-unien depuis la deuxième guerre mondiale.

« Il n’y a probablement aucune unité de l’armée israélienne qui n’ait bénéficié d’un entraînement ou reçu de l’équipement états-unien, » dit Tim Rieser, principal conseiller en politique étrangère de Patrick Leahy, ancien sénateur.

Cette aide est réglementée par la Loi Leahy, introduite en 1997 dans le cadre du Foreign Operations Appropriations Act [Loi de finances pour les opérations étrangères] qui régit l’aide étrangère des États-Unis.

La loi Leahy, lorsqu’elle est appliquée, interdit l’aide états-unienne à des unités militaires étrangères impliquées de manière crédible dans des violations des droits humains tels que viols, torture et assassinats extrajudiciaires.

En ce qui concerne Israël, toutefois, cette loi est rendue inopérante et son application est pratiquement nulle. T. Rieser, qui a participé à la rédaction de la loi, pense que des cas d’enfants tués à Gaza devraient déclencher l’application de la loi Leahy.

« C’est une immense frustration pour le Sénateur Leahy et moi-même, car nous avons pu voir que la loi avait bien été appliquée dans d’autres pays où les ambassades l’ont vraiment prise au sérieux, » nous a déclaré T. Rieser « et c’est le côté vraiment tragique de tout ça, car il est tellement évident qu’il est nécessaire que cette loi s’applique à Gaza et en Cisjordanie, car elle pourrait empêcher de futures violations. »

Israël n’est pas le seul État qui reçoit de vastes sommes d’aide intraçable – de gros montants dont l’emploi n’est pas spécifié – mais c’est le seul pays qui a un processus spécial de contrôle du nom de Israel Leahy Vetting Forum [instance de contrôle Leahy concernant Israël] (ILVF).

En 2020, lorsque le ILVF a été mis en place, des bureaux du Département d’État et l’ambassade E.U. à Jérusalem ont passé des mois à négocier leurs « procédures opératoires normalisées » selon Charles Blaha, ancien fonctionnaire du Département d’État qui a dirigé l’Office of Security and Human Rights de 2016 à son départ en retraite en 2023.

M. Blaha a décrit le forum comme étant criblée d’échappatoires. Même si des accusations crédibles sont formulées, explique-t-il, elles sont enterrées sous des piles de paperasses.

C’est un processus byzantin, très élaboré, compliqué, affecté par les délais, [et] se situe à un niveau élevé » nous a dit M. Blaha, ce qui est la raison majeure pour laquelle le Département d’État n’a pas trouvé « une seule unité israélienne qui avait jamais commis une flagrante violation des droits humains. »

Il a ajouté « J’ai signé cela. J’ai donné mon accord. Je croyais, à l’époque, que le Département d’État appliquerait le processus en toute bonne foi. Et à l’époque, je croyais au système de justice militaire israélien. Ces deux convictions se sont avérées infondées. »

En presque cinq ans d’existence, l’instance de contrôle n’a jamais trouvé une seule unité militaire israélienne qui ne soit inéligible à l’aide. Pour Blaha, qui avait alors accordé sa confiance à ce système, l’absence de volonté politique qui en a résulté a été dévastateur. « Je ne pensais pas que ça aboutirait à ces milliers et milliers de morts. »

L’ampleur des meurtres d’enfants ne sera peut-être jamais connue

Le fait que l’armée israélienne tue des enfants n’est guère nouveau ou unique à la catastrophe qui s’aggrave à Gaza, pourtant l’ampleur des tueries au cours des dix-sept derniers mois se situe sur une échelle totalement autre.

Entre le 7 octobre 2023 et juillet 2024, l’armée israélienne a tué 141 enfants palestiniens en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-est, 116 de ceux-là ont été tués à balles réelles, d’après Defense for Children International – Palestine.

« Cela représente un enfant tous les deux jours, » a dit Mme Cleland. « Quatre-vingt-dix pour cent de ces enfants ont été tués par des tirs à balles réelles. » Les chiffres pour Gaza ne sont pas disponibles, en partie parce que l’armée israélienne a détruit son système de santé. »

« Les forces israéliennes ont tué tant d’enfants à Gaza qu’il très probable que nous ne connaitrons jamais le nom de tous, » a ajouté Mme Cleland. « Je pense qu’il nous faudra beaucoup de temps pour appréhender l’ampleur du nombre d’enfants qui ont été tués et blessés à Gaza, et ce avant même de pouvoir aborder la question de combien d’enfants ont été tués à balles réelles. »

Josh Rushing, Mehr Sher, Media Town in Gaza et Laila Al-Arian ont contribué à la rédaction de ce rapport.

27 mars 2025 – Drop Site – Traduction : Chronique de Palestine – MJB

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