Par Zena al-Tahhan
Les raids et les meurtres commis par les militaires israéliens sont devenus une réalité presque quotidienne à Jénine et à Naplouse au cours de l’année écoulée.
Ces raids s’inscrivent dans le cadre d’une campagne qu’Israël appelle « Break the Wave », dans le cadre de laquelle il procède à des arrestations et à des assassinats massifs dans des endroits tels que les deux villes du nord de la Cisjordanie occupée, à l’encontre de combattants affiliés à des groupes armés tels que les Brigades al-Quds du Jihad islamique palestinien (PIJ) et les Brigades des martyrs al-Aqsa du Fatah.
Cette campagne a pour but d’étouffer la montée en puissance d’une résistance armée palestinienne de plus en plus organisée à Jénine et à Naplouse, qui a émergé à la suite d’une explosion populaire massive de résistance palestinienne en mai 2021.
Elle a débuté dans le quartier occupé de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est et a conduit à la guerre d’Israël contre les groupes armés à Gaza.
La campagne militaire israélienne a toutefois commencé peu après une série d’attentats perpétrés par des Palestiniens qui ont tué 19 personnes en Israël entre mars et mai 2022. Deux des combattants qui ont perpétré ces attaques étaient originaires de Jénine.
# Break the Wave » ne se limite pas aux raids – l’assaut de trois jours mené par Israël sur la bande de Gaza sous blocus en août, au cours duquel 49 Palestiniens, dont 17 enfants, ont été tués, a également été mené dans le cadre de cette campagne.
À Jénine, les Israéliens ont trouvé un adversaire de taille, un groupe connu sous le nom de Brigades de Jénine, qui a tiré sur des postes de contrôle militaires israéliens et s’est livré à des affrontements armés lors de raids israéliens.
Désormais, lorsque les Israéliens entrent dans Jénine, ils ne sont pas seulement accueillis par des pierres, mais aussi par des balles !
Le groupe, principalement soutenu par le PIJ mais comprenant également des jeunes gens du Hamas, du Fatah et du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), représente aujourd’hui un défi important pour l’occupation israélienne.
Ils sont apparus pour la première fois en septembre 2021, dans le but de protéger six prisonniers palestiniens de Jénine qui s’étaient enfuis après s’être évadés d’une prison israélienne.
« C’est inquiétant pour Israël, car ces combattants représentent désormais un problème ; lors de chaque raid israélien, ces combattants vont se confronter [à l’armée d’occupation] et résister », a déclaré l’analyste politique Ismat Mansour à Al Jazeera.
Une opération répressive qui veut rester « chirurgicale »
En mai 2022, la naissance d’un groupe de résistance armée appelé la Brigade de Naplouse est annoncée. En juin, la Brigade Tubas est également formée, dans le nord de la Cisjordanie.
À Naplouse, l’un des visages de la résistance armée palestinienne était Ibrahim al-Nabulsi, 19 ans, un combattant des Brigades des martyrs d’al-Aqsa, qui, bien qu’étant la cible des forces israéliennes, assistait ouvertement aux funérailles organisées pour ses compagnons de lutte.
« Le Lion de Naplouse », comme on il était surnommé, a été assassiné par les forces israéliennes le 9 août, mais il est emblématique d’une nouvelle génération de combattants palestiniens, qui ne suivent souvent les ordres d’aucun des groupes armés traditionnels, même s’ils ont des liens avec eux, un phénomène auquel l’armée israélienne a du mal à faire face et qu’elle veut étouffer dans l’œuf.
« Du point de vue israélien – ce qui est dangereux dans ce phénomène, ce ne sont pas les opérations que ces groupes mènent en soi – car cette brigade [Jénine] n’a pas vraiment mené d’opérations », a expliqué Mansour. « Il s’agit de sa propagation. Cela a commencé à partir de Jénine, cela s’est étendu à Naplouse, maintenant il y a des affrontements armés dans des endroits proches de Ramallah. Cette manifestation est devenue comme une contagion. La réalité en Cisjordanie change de manière très visible et l’Autorité palestinienne (AP) est incapable de contrôler la situation. »
Les groupes semblent davantage capables de mener des opérations défensives plutôt que quelque chose de plus substantiel, selon les observateurs.
« Ces armes sont utilisées pour se défendre lors des affrontements lorsque l’armée israélienne veut faire un raid sur le camp de Jénine ou la ville de Naplouse, ou par exemple contre l’occupation [israélienne] lorsque les colons veulent se rendre au tombeau de Joseph », a déclaré Sari Orabi, un analyste politique palestinien, à Al Jazeera.
« Cet armement n’a pas encore été utilisé pour des actions de résistance offensives – cela nécessiterait de s’étendre en dehors des zones où les groupes sont basés, et d’opérer de façon clandestine », a expliqué Orabi.
Si une invasion à grande échelle de Jénine a semblé possible pendant un certain temps après l’évasion de prison de l’année dernière, Israël a choisi d’utiliser des moyens plus ciblés plutôt que d’entrer dans une confrontation ouverte.
« Israël a donc l’intention de contrôler et poursuivre les combattants de la résistance, de les maintenir dans un état défensif permanent et d’en éliminer le plus grand nombre possible », a ajouté Mansour. « C’est une opération qui se veut chirurgicale – elle se déroule de manière spécifique et ciblée, en utilisant un petit nombre de forces clandestines ».
« Actuellement, le coût pour Israël est la confrontation entre les combattants palestiniens et ses soldats », a-t-il poursuivi, ajoutant que l’équation serait différente si un scénario émergeait où les nouvelles brigades « commencent à envoyer des combattants pour mener des opérations armées telles que des attaques suicides, et qu’Israël paie un coût quotidien. »
Dans la bande de Gaza sous blocus, Israël a choisi une tactique différente. Selon Mansour, l’assaut de Tel-Aviv sur Gaza visait à créer une dissuasion et à dire au PIJ que, si les groupes armés palestiniens continuent à se développer en Cisjordanie, le PIJ en paiera le prix à Gaza.
C’est pourquoi, dit-il, la dernière guerre « devait être courte, rapide, avec des coups rapides consécutifs sur le PIJ. Si elle avait duré plus longtemps, nous aurions peut-être vu des opérations armées émerger en Cisjordanie », selon Mansour.
Vide politique
L’un des principaux catalyseurs du phénomène de croissance de nouveaux groupes armés en Cisjordanie est la baisse de popularité de l’AP dirigée par le Fatah, qui administre des parties limitées de la Cisjordanie occupée et collabore avec l’armée israélienne en matière de sécurité.
Ces groupes n’auraient probablement pas vu le jour si l’AP avait un projet politique, affirme Mansour.
« L’occupation [israélienne] a adopté une approche selon laquelle, grâce à un soutien économique, elle pouvait donner du pouvoir à l’AP et alléger certaines restrictions afin qu’elle devienne plus populaire que le Hamas. Cette approche a échoué », a-t-il déclaré.
L’année prochaine, les Palestiniens fêteront les 30 ans de la création de l’AP. Elle était censée être un gouvernement intérimaire de cinq ans servant de précurseur à un État dans les territoires palestiniens occupés par Israël en 1967. Cet État n’a jamais vu le jour.
Alors que l’AP a publiquement condamné les attaques menées par des Palestiniens contre des Israéliens et qu’elle aide Israël à les déjouer, bon nombre des hommes qui ont pris les armes à Jénine et à Naplouse étaient traditionnellement affiliés au Fatah, ce qui révèle une fracture au sein du parti, qu’Orabi qualifie de « rébellion au sein du Fatah ».
Jamal Hweil, un dirigeant politique du Fatah vivant dans le camp de réfugiés de Jénine, et ancien membre de sa branche armée, a déclaré que si la Brigade des martyrs d’al-Aqsa a été créée par le Fatah, les liens restent aujourd’hui très distants.
« Les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa ne tiennent pas compte des considérations politiques », a-t-il déclaré à Al Jazeera, soulignant que les nombreux hommes au sein de la branche armée ne suivent pas la position de l’AP, qui est largement opposée à la résistance armée.
Pour Hweil, qui a combattu les forces israéliennes lors d’une bataille meurtrière en 2002 dans le camp de Jénine, l’absence d’une issue politique réaliste qui permettrait de mettre fin à l’occupation conduit de nombreux jeunes hommes à prendre les choses en main.
« Le président Mahmoud Abbas ne veut pas qu’une balle aille vers l’occupation – il le dit jour et nuit – mais qu’est-ce que l’occupation nous a amené ? » a déclaré Hweil.
Les jeunes du camp « ont commencé à prendre des mesures sur le terrain – à récupérer le pouvoir et la capacité de se défendre – pas pour attaquer, mais pour défendre notre peuple et notre terre à Jénine », a ajouté Hweil, expliquant que la majorité d’entre eux ont grandi à l’ombre de la bataille de 2002.
« C’est un message au monde que nous n’accepterons pas ce que les États-Unis et Israël veulent imposer – aux dépens du peuple palestinien – cela ne passera pas », a-t-il ajouté.
Mais Ata Abu Rmeileh, secrétaire du mouvement Fatah à Jénine, a contesté l’existence d’un quelconque clivage.
« Tout ce qui se passe se passe dans le cadre d’une décision organisationnelle du Fatah et il ne s’agit pas d’une ‘rébellion’ », a déclaré Rmeileh à Al Jazeera. « Nous sommes avec la résistance sous toutes ses formes, armée, populaire, pacifique. »
« Ce que l’on demande à l’AP, c’est d’appliquer les décisions du comité central en mettant fin à la reconnaissance d’Israël et en mettant fin à toute relation avec Israël, le plus grave étant la coordination répressive », a-t-il ajouté.
Pour Hweil, le facteur clé qui rassemble les combattants est « l’unité nationale » qui existe dans le camp de réfugiés de Jénine entre les différents partis politiques.
Khader Adnan, un dirigeant politique du Jihad islamique qui vit dans le village d’Arrabeh, dans le gouvernorat de Jénine, est en accord avec cette opinion.
« Il y a une unité nationale bien définie qui va au-delà du seul aspect militaire », ajoutant que « la relation la plus forte entre les factions de la résistance était celle entre les Brigades al-Quds [du PIJ] et le Fatah ».
Auteur : Zena al-Tahhan
* Zena al-Tahhan est journaliste à Al Jazeera. Elle couvre principalement le monde arabe, avec une spécialisation sur les pays du Levant. Avant de rejoindre Al Jazeera, Zena était journaliste indépendante basée à Jérusalem. Suivez Zena al-Tahhan sur Twitter : @Zenatahhan
13 Septembre 2022 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine