Par Mariam Barghouti
Des colons israéliens, escortés par l’armée israélienne d’occupation, ont envahi un quartier de Ramallah la semaine dernière, dissipant un peu plus l’illusion d’une quelconque souveraineté de l’Aautorité Palestinienne [AP].
Le 13 octobre, vers 9 heures du matin, des colons israéliens ont pris d’assaut le quartier d’Al-Tireh, à Ramallah, pour y pratiquer des rituels talmudiques.
Cette pratique, parmi d’autres, a été couramment employée par les colons religieux comme moyen de fournir à la Cour suprême israélienne des bases prétendues légales pour voler des terres palestiniennes, en suggérant que celles-ci ont une signification biblique pour le peuple juif.
Le protocole militaire israélien stipule que les colons israéliens doivent toujours être accompagnés d’une escorte de l’armée et de la police d’occupation, même si la plupart des colons portent eux-mêmes des armes. C’est l’une des façons dont la violence des colons en Israël est renforcée par l’État.
L’invasion des quartiers de Ramallah par ces colons indique que le mouvement des colons s’est enhardi dans son objectif d’accélérer le nettoyage ethnique de la Palestine, en particulier après le soulèvement unitaire de l’été dernier.
Les invasions de Ramallah ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres, puisque les forces israéliennes ont aussi régulièrement envahi le Tombeau de Joseph, près de la vieille ville de Naplouse, et le village de Nabi Saleh.
Ce qui est le plus frappant, cependant, n’est pas l’attitude des colons, mais l’écroulement tangible de la façade de souveraineté de l’Autorité palestinienne (AP).
Aucune sécurité dans la supposée capitale de l’AP
Le Premier ministre de l’AP vit dans le quartier d’Al-Tireh, à quelques kilomètres seulement de la Muqata’a (le siège de l’AP à Ramallah), ce qui montre à quel point l’armée israélienne peut facilement s’introduire dans la principale zone de souveraineté de l’AP sans savoir à supporter la moindre conséquence.
Alors que les colons poursuivaient leur bamboche rituelle, l’armée israélienne et la police des frontières se sont postées près de la rue Al-Narjes, où elles ont fait sauter de force l’entrée d’un immeuble résidentiel afin d’aller placer des tireurs d’élite sur le toit.
Pendant ce temps, les habitants de l’immeuble en questionse sont vus refuser l’entrée dans leurs appartements. Les appels répétés des observateurs et des habitants du quartier ont finalement poussé les soldats à autoriser certains résidents à entrer chez eux.
Pendant ce temps, Abu Ahmad, âgé de 41 ans, tenait son bébé de trois mois sur un bras et faisait des pauses pour éponger la sueur de son front avec l’autre. Lui, sa femme et son autre enfant de trois ans attendaient que leurs trois enfants manquants rentrent de l’école.
« [Les soldats] veulent que je passe par Betunia », a-t-il déclaré à Mondoweiss, la sueur ruisselant sur son visage alors qu’il était obligé d’attendre sous un soleil de plomb. « C’est un tour trop long, et les filles vont rentrer d’un moment à l’autre ».
Les fins cheveux noirs de la petite fille sont trempés de sueur. Les colons ont poursuivi leur sauterie, tandis que les soldats ont continué à empêcher les Palestiniens de se déplacer librement dans leur propre quartier, tout cela pour assurer la « protection » des colons.
« Ils ont dit qu’ils avaient besoin de quatre heures de plus », a dit Abu Ahmad, de plus en plus anxieux. Deux jeunes garçons sont arrivés au bâtiment d’Al-Tireh, pour constater que leurs appartements étaient devenus des bases militaires temporaires.
Assurer la tranquillité des colons au détriment des Palestiniens
Plus tôt dans la matinée, des soldats avaient kidnappé un jeune homme qui tentait de rejoindre sa maison située juste en bas de la colline, en face de l’endroit où les colons accomplissent leur foire.
D’un côté de la voiture, il y avait des soldats, tandis que de l’autre, des jeunes lançaient quelques pierres en direction des soldats. Les jeunes ont immédiatement cessé de lancer des pierres dès qu’ils ont vu une voiture palestinienne, en criant avec humour « ne frappez pas la BMW ! ».
Les soldats ont essayé de renvoyer l’homme dans la voiture, mais un pot d’orchidées violettes était sur ses genoux, et il était impatient d’arriver chez lui pour célébrer l’anniversaire de ses parents.
Après avoir retenu la voiture, et devant l’insistance du jeune homme à se rendre à la fête famille, en plus des cris des jeunes, l’armée l’a laissé passer à contrecœur – mais pas sans une escorte militaire pour s’assurer qu’il ne roulait pas près des colons, une jeep devant et une jeep derrière.
C’est presque comme si les soldats voulaient faire croire aux colons que les Palestiniens qui les entourent n’existent pas. Au cours des cinq dernières années, les habitants du quartier ont signalé une augmentation de ce type de descentes de colons, et en nombre de plus en plus important.
Dans l’après-midi, dans un incident similaire à celui du jeune homme aux orchidées, deux jeunes garçons se sont vus refuser l’entrée de leur maison.
Prudent pour ne pas provoquer les soldats, qui semblaient déjà frustrés et désireux d’appuyer sur la gâchette, l’un des garçons a dit clairement au soldat que « nous vivons là », sa tête indiquant le bâtiment maintenant occupé par les snipers.
Les garçons n’ont pas été autorisés à entrer, contraints de quitter les lieux jusqu’à ce que les colons aient dégagé.
Casquette, pantalon de survêtement, t-shirt blanc, jean moulant et moto : les soldats connaissaient sans doute cette image, devenue l’esthétique adoptée par la génération des jeunes garçons qui affrontent les soldats israéliens qui envahissent leur quartier.
La casquette et les vêtements Adidas (ou Under Armor), posés sur leurs silouettes minces, sont devenus l’uniforme informel de la jeunesse rebelle qui a grandi dans les rues de Jérusalem, Hébron, Jénine, Ramallah et Naplouse.
C’est aussi l’uniforme que les soldats ont pris l’habitude de repérer et cibler dans leur réaction aux déplacements des Palestiniens.
Les psalmodies incantatoires des colons à Al-Tireh ont pris fin en fin d’après-midi. À ce moment-là, plusieurs familles étaient arrivées pour essayer d’entrer chez elles, tandis que d’autres qui essayaient de partir étaient de fait assignées à résidence de manière temporaire.
Toute la communauté a continué d’attendre avec inquiétude, se demandant si les soldats allaient décider de disperser les familles et devenir violents.
Finalement, les colons ont arrêté leur kermesse et ont été escortés par la police de l’occupation, tandis que les militaires sont restés en arrière pour sécuriser leur retraite, avant de se retirer à leur tour.
Tout le quartier a semblé pousser un soupir de soulagement. Mais un sentiment de malaise demeure, sachant que ce n’est qu’une question de temps avant que les colons ne reviennent avec des véhicules de l’armée et des soldats à leur remorque, et cette fois-ci peut-être en plus grand nombre encore.
Auteur : Mariam Barghouti
* Mariam Barghouti est une écrivaine palestino-américaine basée à Ramallah. Ses commentaires politiques sont publiés dans l'International Business Times, le New York Times, TRT-World, entre autres publications. Mariam Barghouti est également correspondante en Palestine du site d'informations et d'analyses Mondoweiss. Son compte Twitter.
20 octobre 2022 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine