Par Abdel Bari Atwan
Que signifie l’élection de Masoud Pezeshkian pour la République islamique ?
La victoire du réformateur Masoud Pezeshkian sur le conservateur pur et dur Said Jalili au second tour des élections présidentielles iraniennes confère une grande crédibilité aux élections et à la démocratie dans laquelle elles se sont déroulées.
Elle répond au désir de réforme et d’ouverture sociale et politique du peuple iranien et devrait renforcer la politique de rapprochement avec les voisins arabes et surtout ceux du Golfe.
L’observation du processus électoral a clairement montré que la direction politique au pouvoir en Iran, ou plutôt l’État profond, tout en donnant la priorité aux intérêts nationaux supérieurs, réagit également de manière positive à l’état d’esprit, aux griefs et aux demandes du public, comme le reflètent les résultats des élections. C’est pourquoi il a donné aux réformistes l’occasion de reprendre la direction de l’autorité exécutive après l’érosion de leur influence depuis la fin du mandat de Mohamed Khatami, il y a près de 19 ans.
Il est peu probable que le nouveau président réformateur apporte des changements radicaux à la politique étrangère de l’Iran ou qu’il mette un terme au développement de son programme nucléaire.
Mais sa présence à la tête de l’exécutif permettra certainement de contrer la désaffection de nombreuses couches de la population et d’œuvrer à la réconciliation entre l’opinion publique et le pouvoir en place.
L’espoir est celui d’une plus grande ouverture en termes de droits politiques et sociaux, d’un assouplissement des restrictions sur Internet et les médias sociaux et du port obligatoire du hijab, ainsi que d’efforts constants pour obtenir la levée ou l’assouplissement des sanctions économiques et réduire les tensions avec les capitales occidentales.
L’augmentation de la valeur de la monnaie iranienne et des actions à la bourse de Téhéran en réponse à l’élection de Pezeshkian est un indicateur important à cet égard.
L’Occident commence à comprendre que l’Iran est devenu une superpuissance régionale et que le blocus économique auquel il est soumis depuis 40 ans est contre-productif. Il l’a incité à développer une industrie militaire nationale puissante et sophistiquée qui l’a non seulement rendu autosuffisant mais l’a transformé en exportateur de missiles, de drones et de sous-marins.
L’Occident a également commencé à réaliser que l’élection d’un président réformateur pourrait contribuer à apaiser les tensions et permettre un retour progressif à de meilleures relations. Mais cela ne signifie pas qu’il y aura une levée rapide des sanctions.
Trois contraintes principales pèsent sur la capacité de M. Pezeshkian à opérer des changements politiques majeurs :
- Premièrement, la présence du dirigeant Sayyed Ali Khamenei, qui a le dernier mot dans ce domaine, non seulement en raison de son autorité religieuse, mais aussi de son autorité personnelle et de son expérience en tant qu’ancien président et protégé du leader historique de la révolution, l’imam Khomeini.
- Deuxièmement, les conservateurs et les partisans de la ligne dure conservent le contrôle du parlement et soumettront les décisions du nouveau président et du nouveau gouvernement à un examen minutieux.
- Troisièmement, le pouvoir croissant de l’establishment militaire représenté par l’armée et les Gardiens de la révolution.
Cela ne signifie pas que Pezeshkian sera impuissant. Il sera un membre clé du Conseil national de sécurité et disposera de pouvoirs étendus lui permettant de modifier de nombreuses politiques intérieures.
Le précédent président réformateur, Hassan Rouhani, a par exemple initié la reprise des négociations avec l’administration américaine pour parvenir à une résolution pacifique du conflit nucléaire. M. Pezeshkian pourrait bien chercher à relancer les pourparlers de Vienne avec les États-Unis, mais sans que cela conduise à un accord inacceptable pour l’Iran ou réduire ses ambitions nucléaires.
Le choix de l’équipe ministérielle de Pezeshkian devrait permettre d’en savoir plus sur ses orientations en matière de politique intérieure et étrangère, notamment en ce qui concerne le ministre des affaires étrangères qui dirigera la diplomatie iranienne.
Il se pourrait que ce poste soit confié au diplomate chevronné Abbas Araghji, qui était vice-ministre des affaires étrangères et négociateur en chef pour le nucléaire dans le gouvernement de Rouhani.
La tâche de M. Pezeshkian ne sera pas facile compte tenu de toutes les guerres qui font rage dans la région – de Gaza et de la Cisjordanie à la mer Rouge et à l’escalade de la guerre d’usure du Hezbollah sur le front du Sud-Liban – dans lesquelles l’Iran joue un rôle de soutien en tant que chef de file de l’axe de résistance à Israël.
Le message chaleureux de félicitations envoyé à M. Pezeshkian immédiatement après l’annonce de son élection par le prince héritier Mohammad Bin Salman, dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, revêt une grande importance. Il signale la volonté des deux parties de coopérer, ce qui pourrait être le précurseur de nouveaux accords politiques et économiques dans la région, fondés sur la collaboration plutôt que sur la confrontation.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
8 juillet 2024 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine