Ismaïl Haniyeh, «mort au champ d’honneur», restera comme un architecte de l’unité nationale palestinienne

Ismaïl Haniyeh, responsable du bureau politique du mouvement Hamas, assassiné à Téhéran le 31 juillet 2024, par les Israéliens, avec l'aide des Etats-Unis - Photo : Anadolu Agency

Par Fatima AbdulKarim, Mohammed R. Mhawish

Le dirigeant assassiné était un partisan de l’engagement politique du Hamas et œuvrait à la réconciliation palestinienne dans son pays comme en exil, disent ses admirateurs.

Ismail Haniyeh, le principal dirigeant politique du Hamas, a été tué à Téhéran aux premières heures du 31 juillet. Une grève générale a été observée en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est, et la nouvelle de la mort de Haniyeh a suscité une grande tristesse dans la bande de Gaza, où l’on espérait un accord de cessez-le-feu. Bien qu’Israël n’ait pas officiellement revendiqué la responsabilité de l’attentat, il est largement admis qu’il en est l’auteur.

Pour de nombreux Palestiniens, l’assassinat de Haniyeh réduit à néant toute possibilité de mettre fin à la guerre avec Israël à court terme et manifeste le mépris d’Israël pour les efforts politiques et diplomatiques déployés pour résoudre cette tragédie qui dure depuis des mois.

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Bien que le soutien aux factions politiques, y compris le Hamas, varie d’un Palestinien à l’autre, il est clair que Haniyeh restera dans les mémoires comme un véritable défenseur du droit de son peuple à vivre dans la dignité.

« Haniyeh était un fils de ce pays et, tout au long de sa vie politique, il s’est battu contre les horreurs infligées à son peuple », a déclaré Iman Hajjaj, une enseignante palestinienne de 27 ans, mère de deux enfants, originaire de la ville de Gaza.

Mme Hajjaj a ajouté qu’elle et sa famille étaient fières d’avoir soutenu ce « leader humble mais déterminé, qui aspirait à la libération totale de tous les Palestiniens qui vivaient sous le joug de l’occupation israélienne depuis des décennies ».

Ahmed Sheikh Ali, un militant et journaliste de 30 ans du camp de réfugiés de Nuseirat, a déclaré à +972 que Haniyeh avait accédé au pouvoir en étant parti de rien et qu’il avait « servi uniquement sa ville et son pays ». Le leader politique a été tué sur un sol étranger mais cela n’enlève rien au fait qu’ « il était lié par la lutte à son peuple de Gaza et de Palestine, qu’il défendait leur cause en exil et poursuivait la justice au niveau mondial ».

« Lui et ses camarades se sont battus pour nous sur la scène politique en dehors de la Palestine, tandis que leurs combattants militaires luttaient pour la même cause dans la résistance armée contre l’ennemi à Gaza », a ajouté le cheikh Ali.

Musbah Abo Shbana, un habitant de Rafah âgé de 43 ans et actuellement déplacé à Deir Al-Balah, a déclaré que l’assassinat de Haniyeh compliquait l’avenir des Palestiniens de Gaza, car il avait mené les négociations de cessez-le-feu. Même ceux qui doutaient de l’efficacité des efforts politiques de sa faction, estiment qu’il était « l’un des plus grands symboles de fidélité » de tous les dirigeants palestiniens dans l’histoire de leur cause.

Haniyeh privilégiait l’action politique

Selon ses proches, Haniyeh a grandi dans le camp de réfugiés d’Al-Shati, dans la ville de Gaza, et a été exposé dès son plus jeune âge aux défis politiques et sociaux de la vie sous l’occupation. Sa famille était originaire du village d’Al Jura, près de l’actuelle ville israélienne d’Ashkelon, avant d’être expulsée par les forces sionistes lors de la Nakba.

À la fin de l’année 1987, au cours d’une période d’activité politique accrue dans les territoires occupés et au début de la première Intifada, Haniyeh, alors âgé de 24 ans, a rejoint le Mouvement de résistance islamique (Hamas) à sa création. Son engagement s’est rapidement intensifié et, en 1992, Israël a déporté Haniyeh à Marj al-Zohour, dans le sud du Liban, avec d’autres dirigeants du Hamas. Cet événement a renforcé son statut de figure clé du mouvement.

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Haniyeh a été l’un des premiers partisans de l’engagement du Hamas sur la scène politique palestinienne, parallèlement aux activités armées de sa branche militaire, les Brigades Al-Qassam, qui avaient conduit Israël et les gouvernements occidentaux à désigner le groupe comme une « organisation terroriste ». Il a contribué à la mise en place du bureau politique du Hamas et a encouragé le mouvement à participer aux élections de l’Autorité palestinienne (AP) et d’autres organes locaux.

Après la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006, Haniyeh est devenu le premier ministre d’un gouvernement d’unité palestinienne, dont Mahmoud Abbas a été élu président. Cette position l’a propulsé au premier plan de la politique palestinienne, mais l’a également mis en conflit avec le mouvement rival du Fatah, qui dominait jusqu’alors l’Autorité palestinienne et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

L’année suivante, après des mois de querelles entre factions et de sanctions internationales contre la présence du Hamas au sein du gouvernement, le Hamas et le Fatah se sont séparés et le premier a pris le pouvoir à Gaza, ce qui a provoqué un violent bouleversement au cours duquel 161 Palestiniens ont été tués et des centaines d’autres blessés.

« Au fil des ans, cette division et ses complications se sont aggravées », a déclaré à +972 un responsable du Hamas en Cisjordanie, qui a préféré garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. « Haniyeh était connu au sein du mouvement comme un défenseur acharné des efforts de réconciliation et d’unité nationale avec le Fatah. Il a toujours insisté sur l’harmonie entre toutes les factions palestiniennes, et pas seulement avec le Fatah ».

Haniyeh a également joué un rôle essentiel dans le renforcement des relations du Hamas avec des puissances régionales telles que le Qatar, la Turquie et l’Iran. « Ses efforts diplomatiques visaient à augmenter le soutien à la cause palestinienne et à renforcer la position du Hamas dans la région », a expliqué le responsable du Hamas, notant que ces derniers mois, « Haniyeh était impliqué directement dans l’accord de cessez-le-feu et apprécié pour sa flexibilité ».

Haniyeh a passé son enfance dans les rues d’Al-Shati

Jamal Zaqout, un homme politique palestinien indépendant de Gaza qui a grandi avec Haniyeh, a rendu hommage au chef du Hamas sur Facebook. Zaqout l’a décrit comme « l’enfant du camp de réfugiés d’Al-Shati, un ami d’enfance, un homme patriotique », peu avant que son compte ne soit désactivé. Ce qui confirme les informations selon lesquelles Meta a supprimé des messages et fermé des comptes qui faisaient l’éloge de Haniyeh.

« Le camp de réfugiés était notre grande famille – nous vivions à quelques mètres les uns des autres. Ismail était quelqu’un de très modeste, même tout petit, » a déclaré Zaqout à +972.

En 1983, alors qu’il était étudiant à l’université islamique de Gaza, Haniyeh a organisé une manifestation de soutien au président de l’OLP, Yasser Arafat, alors que ce dernier était assiégé par l’armée syrienne et les factions pro-syriennes à Tripoli, au Liban, se souvient Zaqout. Il s’agissait là de l’un des premiers signes de l’intérêt et de l’engagement de Haniyeh pour le mouvement national palestinien.

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Lorsqu’il a rejoint le Hamas, a expliqué Zaqout, « la politique de Haniyeh a été d’intégrer le parti localement, en le faisant passer d’une extension des Frères musulmans à une organisation palestinienne ».

Après la signature des accords d’Oslo en 1993, Arafat a demandé à Zaqout d’organiser une réunion avec Haniyeh pour évaluer la position du Hamas vis-à-vis de l’AP nouvellement créée et s’assurer que le mouvement islamiste ne s’opposerait pas à lui. « La flexibilité d’Ismail m’a surpris et elle a fait chaud au cœur d’Arafat », a déclaré Zaqout.

Zaqout note que Haniyeh a été l’un des rares dirigeants du Hamas à vouloir participer aux élections législatives de 1996, malgré le boycott des élections par le mouvement.

Haniyeh a gelé son adhésion au Hamas et se préparait à lancer un nouveau groupe politique, appelé le « Parti du salut », mais des pressions internes l’ont amené à faire marche arrière. Cette démarche a été considérée comme une tactique politique, plutôt que comme une révolte ou une division au sein du mouvement Hamas.

Lorsque Cheikh Ahmad Yassine, le fondateur du Hamas, a été libéré de la prison israélienne en 1997, Haniyeh, qui avait toujours été proche de lui, est devenu son chef de bureau à Gaza. En 2017, Haniyeh a été élu à la tête du bureau politique du Hamas, succédant à Khaled Mashal. Haniyeh a exercé cette fonction en exil, depuis Doha au Qatar.

« Nous nous sommes revus en 2013 », se souvient Zaqout, « dans la maison où il a grandi, à Al-Shati, qui était la seule maison qu’il avait en Palestine jusqu’à ce qu’elle soit détruite pendant cette guerre. À l’époque, il était très préoccupé par l’impact du siège imposé à Gaza et par la nécessité de conclure un accord sérieux d’unité nationale ».

« L’assassinat de Haniyeh pourrait saper la volonté d’unité palestinienne »

Depuis son exil, Haniyeh souffrait profondément de l’assaut israélien contre Gaza, tant sur le plan personnel que politique. Au cours de cette dernière agression, Israël a tué une douzaine de membres de la famille de Haniyeh – dont ses trois fils, ses petits-enfants et sa sœur – en ciblant leurs maisons du camp de réfugiés d’Al-Shati.

En mai, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a dit qu’il vouloir obtenir des mandats d’arrêt contre Haniyeh, ainsi que contre le chef de Gaza Yahya Sinwar et le commandant militaire Mohammed Deif, soupçonnés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, pendant et après l’attaque du Hamas contre le sud d’Israël, le 7 octobre.

Khan a aussi demandé des mandats contre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant, soupçonnés d’avoir commis des crimes lors de l’assaut militaire contre Gaza.

Levez immédiatement et sans conditions le siège de Gaza

Dans l’une de ses dernières déclarations avant son assassinat à Téhéran, Haniyeh a appelé à faire du 3 août une journée de solidarité mondiale « pour soutenir la population de Gaza et les prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes ». À sa mort, le président Abbas, qui a condamné l’assassinat comme un « acte lâche et une évolution dangereuse », a décrété une journée de deuil avec les drapeaux en berne.

« La dernière fois que j’ai rencontré [Haniyeh], c’était en mars dernier à Doha », a poursuivi Zaqout. « Il m’a fait part de sa volonté de parvenir à un cessez-le-feu, ainsi qu’à un accord de réconciliation nationale. »

« Haniyeh était un dénominateur commun, surtout depuis la guerre de 2014. Je pense que son assassinat – comme ceux du cheikh Yassine et de [Saleh] Arouri [un haut commandant du Hamas tué au Liban en janvier] – pourrait saper la volonté d’unité palestinienne », a conclu Zaqout.

Bassam Salhi, secrétaire général du parti socialiste du peuple palestinien, a déclaré que l’assassinat de Haniyeh était la réponse d’Israël aux pourparlers sur le cessez-le-feu. « Cela signifie qu’Israël ne veut pas conclure d’accord. »

Selon lui, l’assassinat d’un négociateur comme Haniyeh, connu pour son pragmatisme et sa flexibilité, montre que Netanyahu ne veut pas résoudre le conflit.

« Le consensus général de Pékin [où 14 organisations politiques palestiniennes, dont le Hamas et le Fatah, ont signé une déclaration d’unité le 23 juillet] a permis de réunifier les Palestiniens dans un moment où ils sont confrontés à une situation grave », a poursuivi Salhi.

Il incombe maintenant aux parties, a souligné Salhi, d’élargir l’accord de Pékin en reconstruisant un système politique basé sur l’unité nationale, pour porter la lutte pour l’indépendance au-delà des limites des accords d’Oslo et de l’Autorité palestinienne – comme le souhaitait Haniyeh.


1er août 2024 – +972 Magazine – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet