Israël a démoli pour 74 millions de dollars de projets européens

Jérusalem - Un jeune garçon et son grand-père assistent à la démolition de leur maison familiale par un engin israélien - Photo : Keren Manor/ActiveStills.org

Charlotte Silver – Un projet de 11 millions de dollars ($) pour l’agriculture dans la vallée du Jourdain, une aire de jeux de 61200 $ près de Naplouse et une école primaire construite pour une communauté bédouine à l’est de Jérusalem : tout a été détruit par Israël.

Ce ne sont que quelques exemples des au moins 150 structures financées par l’Union Européenne (UE) en Cisjordanie sous occupation, que Israël a démolies dans les trois premiers mois de 2016.

Israël a détruit plus de maisons, d’entreprises et d’infrastructures publiques durant ces trois mois que dans toute l’année 2015, selon un nouveau rapport de l’organisation indépendante Euro-Mediterranean Human Rights Monitor, ou Euro-Med (*).

Chaque mois, une moyenne de 165 structures à financement privé ou étranger ont été démolies ou partiellement détruites, ce qui représente une augmentation de plus de trois fois le taux précédent de 50 démolitions par mois entre 2012 et 2015.

Plus de 900 Palestiniens ont été transformés en sans abri cette année, selon les statistiques des Nations Unies, et des milliers d’autres ont vu leurs moyens de subsistance gravement impactés par la vague de destructions.

Euro-Med nous apprend que le coordonnateur adjoint des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Robert Piper, a suggéré que l’augmentation des démolitions serait une réponse à l’escalade des affrontements violents entre les Palestiniens et les forces israéliennes d’occupation qui ont commencé en octobre 2015.

Mais l’homme politique israélien Moti Yogev, qui a fait pression sur les forces d’occupation israéliennes pour qu’elles augmentent le nombre de démolitions, a déclaré : « Je ne doute pas que la position ferme du gouvernement est en partie le résultat des mesures unilatérales prises par l’Europe », se référant à la décision de l’UE en fin d’année dernière d’étiqueter les produits sortis des colonies juives.

Si oui, les démolitions peuvent être assimilées à des attaques de rétorsion « price tag » ( ou « prix à payer ») sur les Palestiniens et leurs biens menées par les colons en forme de vengeance pour les mesures politiques israéliennes qu’ils n’apprécient pas.

Passivité de l’UE

L’écart dans ces explications peut être dû en partie au fait que les responsables européens ont tenté de minimiser l’ampleur des destructions par Israël des infrastructures financées par l’UE afin d’éviter des complications, selon Cécile Choquet, chercheur à Euro-Med.

En 2012, Chris Davies, membre britannique du Parlement européen et Štefan Füle, ex-commissaire européen à la politique d’élargissement et de voisinage européenne, ont présenté une liste de projets financés par l’UE et qu’Israël avait détruits dans les onze premières années du millénaire.

La liste de 82 points s’était élevée à des pertes de 56 millions $.

Mais depuis lors, les bureaucrates de l’Union européenne ont gardé ce genre de données sous le coude, selon Euro-Med, qui estime que le montant total de l’aide européenne ainsi gaspillée depuis 2001 totalise 74 millions $. Quelque 26 millions sur ce total ont été réduits en poussière pendant les bombardements israéliens de Gaza en 2014.

Alors que les diplomates européens ont publié des déclarations de condamnation, ils doivent encore remettre en question les offres militaires et économiques commerciales qui sous-tendent les relations UE-Israël.

Le mois dernier, par exemple, l’UE a critiqué la « tendance regrettable de confiscations et de démolitions, depuis le début de l’année, y compris de l’aide humanitaire financée par l’UE, » après qu’Israël ait ravagé les abris d’une communauté bédouine près de Jérusalem.

Mais la déclaration ne donnait aucune indication de mesures de rétorsion pouvant imposer à Israël de rendre des comptes.

Selon Haaretz, la chef de la politique étrangère de l’UE Federica Mogherini, est de pus en plus sous pression pour faire face à Israël à propos des démolitions des projets financés par l’UE.

Mogherini a rapporté que certains membres de l’UE demandent réparation à Israël.

L’envoyé de l’UE en Israël, l’ambassadeur Lars Faaborg-Andersen, aurait averti les officiers supérieurs israéliens la semaine dernière que si les démolitions restent à ce niveau, les relations UE-Israël pourraient s’en trouver lésées [Netanyahu en tremble encore… NdT].

La mission de l’UE à Tel Aviv n’a pas répondu à une demande de commentaire de la part de The Electronic Intifada sur les conséquences auxquelles il faudrait s’attendre, le cas échéant, si Israël ne stoppait pas les démolitions.

Une autre réunion entre les représentants de l’UE et le ministère des Affaires étrangères d’Israël est prévue plus tard ce mois-ci pour discuter d’un gel de la démolition des structures financées par l’UE.

Interdiction de construire
Les démolitions se produisent massivement dans la zone C – 60% de la Cisjordanie occupée qui est sous contrôle total israélien selon les termes des accords d’Oslo de 1993.

Plus de 70% des Palestiniens de cette zone restent sans connexion à un réseau de distribution d’eau. Entre 2000 et 2014, les autorités israéliennes ont approuvé seulement 1,5% des demandes palestiniennes pour des permis de construire dans la zone C.

Mais COGAT, l’administration coloniale israélienne qui veille à l’application du régime militaire auquel sont soumis les Palestiniens dans la zone C, a insisté sur le fait que les démolitions sont des mesures « contre les constructions illégales. »

L’organisation israélienne fasciste Regavim a détourné le vocabulaire des groupes internationaux qui critiquent la construction de colonies par Israël, en qualifiant les projets de l’UE en Cisjordanie de « constructions illégales dans la zone C. »

L’investissement de l’UE dans la zone C est conforme à son engagement politique à ce qu’elle appelle la solution à deux États.

À cette même fin, l’UE est le principal bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne (AP). Depuis 1994, elle a fourni 6,3 milliards $ en aide à l’entité qui est supposée administrer les Palestiniens en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.

L’essentiel de l’aide de l’UE à l’AP sert à financer les salaires des employés et des forces de répression.

Entre 2007 et 2015, l’UE a alloué 2,8 milliards $ pour la gouvernance de l’AP. Depuis 2000, la Commission européenne – l’exécutif de l’UE – a alloué 792 millions $ pour les besoins humanitaires de base de la population palestinienne en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.

L’UE et ses États membres, dans le même temps, ont poursuivi leur commerce des armes avec Israël.

La politologue française Caroline du Plessix, d’Euro-Med, explique : « Il n’y a pas d’État palestinien aujourd’hui. La question est : que finançons-nous ? Aidons-nous Israël à maintenir l’occupation ou aidons-nous vraiment les Palestiniens à construire leur indépendance ? »

(*) Le rapport complet d’Euro-Med est disponible ici.

A1* Charlotte Silver est une journaliste américaine indépendante vivant à San Francisco, et précédemment basée en Cisjordanie.

5 juin 2016 – The Electronic Intifada