Par Abdel Bari Atwan
Avec l’assassinat clairement illégal de dix personnes dans un état soi-disant ami, le “leader du monde libre” est tombé au niveau d’un chef de la mafia, victime, une fois de plus, de l’influence de son mentor Benjamin Netanyahu. Les efforts du Premier ministre israélien pour entraîner le président américain dans une épreuve de force avec l’Iran ont payé. Le piège israélien s’est maintenant bel et bien refermé sur Trump.
Les États-Unis et Israël voulaient se débarrasser de Suleimani depuis longtemps, et ils ont suivi de près ses mouvements. Mais ils se sont abstenus de le prendre pour cible jusqu’ici par crainte des lourdes représailles iraniennes et alliées que cela aurait inévitablement provoqué. Alors pourquoi le faire maintenant ? Pourquoi rompre, de manière aussi choquante, les règles d’engagement non écrites qui ont prévalu dans l’affrontement américano-iranien jusqu’à présent ?
Des considérations d’ordre intérieur entrent certainement en ligne de compte. Trump fait face à une procédure d’impeachment et il court pour un second mandat. Une crise étrangère/sécuritaire lui permettant de jouer les durs contre le pays le plus diabolisé en Occident est dans son intérêt. Netanyahu, embourbé dans un scandale de corruption et luttant pour sa survie politique, y a tout autant intérêt. Aucun des deux hommes n’est connu pour faire passer une stratégie politique de long terme avant ses calculs politiques personnels.
Suleimani était certainement un adversaire compétent et efficace. Il a joué un rôle central dans le développement des impressionnantes capacités de défense et de dissuasion de l’Iran, avec deux éléments “asymétriques” clés : un arsenal vaste, varié et de plus en plus sophistiqué de missiles en grande partie de fabrication locale, et un puissant réseau d’alliés paramilitaires bien armés dans toute la région. Mais ses réalisations lui survivront, et malgré son statut de quasi-légende parmi ses admirateurs et ses détracteurs, il n’a pas élaboré ou mis en œuvre cette politique tout seul.
L’Iran, contrairement à la plupart de ses adversaires arabes, est un État fondé sur des institutions et non sur des individus.
Les Israéliens, au moins, auraient dû tenir compte de leur expérience passée. Lorsqu’ils ont assassiné l’ancien chef du Hezbollah Hassan Mousavi (avec sa femme, son enfant et plusieurs camarades) en 1992, ils pensaient que cela sonnerait le glas de l’organisation qui s’opposait à leur occupation du Sud-Liban. Au lieu de cela, le formidable Hassan Nasrallah a pris la succession et a conduit l’organisation à une victoire éclatante dans son combat pour la libération.
Tout le monde se demande maintenant où et comment l’Iran va riposter ? Directement ou via ses alliés au Liban, en Irak ou au Yémen ? Contre les bases militaires ou les ambassades américaines en Irak et/ou dans les pays du Golfe, ou contre Israël ? L’Iran ne manque certainement pas de cibles potentielles ni de moyens de frappe.
Mais si les représailles sont inévitables, tout acte de vengeance à court terme ne sera qu’un début. L’assassinat par drone perpétré à l’aéroport de Bagdad a changé la donne pour toujours, et ce sont ses conséquences à long terme qui devraient inquiéter les décideurs politiques américains et leurs alliés.
Pour commencer, la présence militaire américaine en Irak est devenue impossible. Si le gouvernement et le parlement de Bagdad n’ordonnent pas aux troupes américaines de quitter le pays, les Forces de mobilisation populaires (PMF) et d’autres Irakiens les forceront à partir. Trump vient peut-être de créer son propre Vietnam.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
3 janvier 2020 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet