Le rejet international du projet d’Israël d’annexer officiellement encore plus de terres palestiniennes se fonde sur deux arguments : l’annexion est une violation du droit international et elle détruit les perspectives d’une solution à deux États.
L’opinion générale est que le problème, c’est l’absence de dialogue entre les parties, leur incapacité à faire des compromis et les actions unilatérales qui entravent les efforts de paix. Et donc, qu’il faut favoriser les processus conventionnels de construction de la paix qui mettent l’accent sur la reconnaissance mutuelle ainsi que sur la coopération économique et sécuritaire.
La communauté internationale croit que les lois et les normes internationales universelles peuvent permettre d’aboutir à une solution juste du conflit, avec deux États indépendants vivant côte à côte.
Cette vision diplomatique de la situation est complètement déconnectée des réalités auxquelles les Palestiniens sont confrontés. Les dommages qu’ont subis les Palestiniens sont bien plus graves et irréversibles que ne le laisse penser l’idée conventionnelle : “Sauver la solution à deux États avant qu’il ne soit trop tard”.
Il est déjà très tard pour les perspectives de liberté et de souveraineté palestiniennes. Il faut donc adopter une autre façon de voir qui tienne compte, d’abord et avant tout, de la logique qui sous-tend l’État israélien – le colonialisme d’occupation *.
Un pays de colons
Les universitaires débattent depuis des décennies de la question de savoir si Israël est un État de colonialisme de peuplement et, si l’on se réfère à d’éminents spécialistes tels que Joseph Massad, Rashid Khalidi, Noura Erakat, Ilan Pappe, Hamid Dabashi et Robert Wolfe (entre autres), la réponse ne fait pas de doute : Israël est le produit d’un projet national de colonisation.
Alors, à quoi reconnaît-on un colonialisme de peuplement ? Les caractéristiques particulières ne suffisent pas à la définir, il faut rechercher la réponse à cette question dans un principe général. Que voilà : tous les états coloniaux se livrent à l’annexion continue des terres autochtones, en en chassant les occupants pour y installer des colons venus d’ailleurs.
Certes, tous les États-nations modernes ont annexé des terres d’une certaine façon, mais la caractéristique distinctive de l’État de colonialisme de peuplement est qu’il ne peut, ni se créer, ni continuer à exister, sans régner sur des terres qui sont arrachées par la force aux autochtones. En bref, la souveraineté d’un État de colonialisme de peuplement ne peut s’établir qu’en éradiquant la souveraineté autochtone.
Les méthodes d’annexion varient certes, mais leurs différences ne doivent pas nous empêcher d’identifier et de dénoncer leur logique sous-jacente : l’expulsion des autochtones de leurs terres. C’est le problème central de la lutte palestino-israélienne. Et nulle part cette logique n’est plus apparente que dans l’expansion des colonies sur les terres palestiniennes occupées.
Les colonies et l’État israélien
Pas toujours, mais le plus souvent, c’est l’hypothèse hasardeuse qu’Israël souhaiterait la création d’un État palestinien, le long des frontières de 1967, qui sert de base aux arguments incitant à se reposer sur le droit international et le processus de paix. Mais les politiques israéliennes ont clairement montré que cette hypothèse était fausse.
La liste est longue, mais parmi ces politiques figurent la politique d’annexion de Jérusalem-Est ; la construction du mur d’apartheid ; le siège de Gaza, qui sépare la terre palestinienne en espaces séparés les unes des autres ; l’emprisonnement politique continuel de Palestiniens ; l’occupation, et les points de contrôle, qui rendent la vie impossible aux Palestiniens et les pousse à émigrer ; la destruction de l’économie palestinienne ; la politique de démolition des maisons ; les politiques discriminatoires à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël, qui les privent de la possibilité d’acheter et de louer des terres ; et le flux ininterrompu de permis délivrés par le gouvernement israélien pour construire de nouvelles colonies et étendre celles qui existent déjà.
Il est important de s’arrêter sur ce dernier point. Depuis des décennies, les colons et leurs mouvements, expulsent les Palestiniens de toujours plus de terres palestiniennes pour se les approprier. La plupart du temps, le langage diplomatique de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale, présente ces colons comme n’ayant rien à voir avec l’État israélien, et même comme un fardeau pour l’État israélien.
Cela même lorsque la politique israélienne est directement liée à l’expansion des colonies. En 2016, par exemple, le secrétaire d’État de l’époque, John Kerry, a déclaré : “Soyons clairs. L’expansion des colonies n’a rien à voir avec la sécurité d’Israël. De nombreuses colonies augmentent en fait le fardeau sécuritaire des forces de défense israéliennes et les dirigeants du mouvement des colons sont motivés par des impératifs idéologiques qui ignorent totalement les aspirations légitimes des Palestiniens”.
Et lorsqu’il ne dissociait pas l’idéologie des dirigeants du mouvement des colons de l’idéologie de l’État, Kerry faisait en sorte de présenter les colonies comme une question secondaire, et non comme le cœur du problème : “Permettez-moi d’insister, cela ne veut pas dire que les colonies sont la seule cause ou la principale cause de ce conflit, bien sûr que non. On ne peut pas non plus dire que si les colonies disparaissaient soudainement, on aurait la paix sans un accord plus large. On n’aurait pas la paix”.
Des versions de ce discours sont répétées ad nauseam dans l’arène diplomatique, niant (consciemment ou non) le fait crucial que les colons ne sont pas idéologiquement opposés à l’État, mais qu’ils sont au contraire l’incarnation pure et dure de l’idéologie qui fonde l’État israélien.
La principale différence est que ces colons ne dissimulent pas leur violence derrière la même rhétorique sophistiquée que l’État de colonialisme de peuplement. Ils ne cachent pas leur intention d’expulser les Palestiniens et d’étendre l’État d’occupation colonial pour en faire l’État du Grand Israël.
Depuis le début du 20e siècle, le mouvement sioniste aspire à la création d’un Grand Israël, mais il a été assez malin pour dissimuler ses intentions, en particulier sur la scène internationale.
Comme Benny Morris l’a dit dans son célèbre livre The Birth of the Palestinian Refugee Problem, “A partir de 1937, [le leader sioniste David] Ben-Gourion, un pragmatique, était prêt (au moins en apparence) à accepter la partition et la création d’un État juif dans une partie seulement du pays. Mais il restait attaché à une vision de la souveraineté juive sur toute la Palestine comme but ultime du sionisme, à atteindre par étapes”.
La relation actuelle entre l’État et les colons n’est donc pas une relation d’opposition ou de nuisance réciproque, mais une relation entre une force d’expansion (les colons) et une force qui rend possible cette expansion, tout en s’efforçant d’en dissimuler la violence, (l’État). Et au moment opportun, grâce au soutien indéfectible de l’administration Trump à Israël, l’État et les colons unissent leurs efforts au grand jour pour officialiser l’expansion.
Le plan d’annexion n’est rien d’autre que le moment opportun pour l’État de revendiquer la souveraineté sur les territoires que les colons ont déjà annexés. Et s’ils ont pu les annexer c’est justement parce que l’État occupe militairement la Palestine.
Et ce cycle ne s’arrêtera pas. Les colons continueront à s’étendre et à annexer avec l’aide de l’État, jusqu’à ce que ce dernier fusionne officiellement avec les colons pour s’approprier encore plus de terres.
Le temps joue en faveur des Israéliens qui peuvent patiemment procéder étape par étape.
Des mots vides de sens
La dernière série de réactions internationales ne changera sans doute rien pour le peuple palestinien. Le droit international signalera la violation de ses règles, des mots de “condamnation” rempliront l’air, les analystes et les commentateurs gloseront sur la “force” de ces mots par rapport aux déclarations passées, et le vol de la terre palestinienne continuera.
Les Palestiniens continueront à subir des menaces de mort, de blessure, d’infirmités, d’occupation, d’oppression et d’expulsion pendant que le monde regardera leur calvaire en prononçant des mots creux.
Des mots sans conséquence, et donc sans valeur, sans signification et sans force. Des mots qui font partie de la routine diplomatique, qui donnent l’impression de faire quelque chose, de s’intéresser à ce qui se passe, de s’inquiéter pour la Palestine.
Cette pantomime n’entame en rien le statu quo et garantit que rien d’important ne soit jamais décidé. Le vide même de ces mots devient une arme supplémentaire pour permettre l’annexion.
De nombreux Palestiniens ont compris cette situation depuis un certain temps : la cavalerie ne viendra pas à leur secours – ni du monde arabe, ni de l’ONU, ni du droit international. Et de ce fait, ces institutions internationales et ces États se révèlent faire partie du problème, et non de la solution.
L’état israélien d’occupation colonial poursuivra ses efforts jusqu’à ce que la majorité des Palestiniens soient déplacés et expulsés, et que toutes les terres palestiniennes soient sous souveraineté israélienne, comme Ben Gourion le prévoyait.
L’idée même de souveraineté palestinienne est intolérable à Israël, sans parler de sa concrétisation territoriale, car l’éradication de la souveraineté palestinienne fait partie intégrante de la logique sous-jacente de l’État de colonialisme de peuplement. Par conséquent, quelle que soit la superficie des terres que le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son allié, le ministre de la défense Benny Gantz, annexeront effectivement cette année, cet épisode ne sera ni le premier ni le dernier.
L’État d’occupation coloniale, sûr de son pouvoir basé sur la violence depuis sa création, avance méthodiquement ses pions. Mais malgré le peu d’espoir de gagner un jour leur liberté et leur souveraineté, les Palestiniens continueront à lutter, le plus souvent seuls, comme ils l’ont fait tout au long de leur résistance historique.
Auteur : Mark Muhannad Ayyash
* Mark Muhannad Ayyash est professeur associé de sociologie à l'université Mount Royal de Calgary, au Canada. Il est l'auteur de A Hermeneutics of Violence (UTP, 2019). Il est né et a grandi à Silwan, à Jérusalem, avant d'immigrer au Canada. Il écrit actuellement un livre sur le colonialisme de peuplement.
7 juillet 2020 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet