Par Romana Rubeo, Ramzy Baroud
Le 17 mars, la Cour suprême israélienne a interdit à Michael Ben Ari, chef du parti néo-fasciste Otzma Yehudit (Pouvoir juif) de participer aux élections générales du 9 avril, affirmant que le fait de lui permettre de concourir pour un siège à la Knesset reviendrait à “légitimer le racisme”.
Cette décision est intervenue moins d’un mois après la conclusion d’une alliance électorale entre Otzma Yehudit et le Likoud, parti dextrême-droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui a provoqué choc et colère dans certains milieux politiques israéliens et étrangers.
“La place des gens qui croient en la supériorité de la race est derrière les barreaux, pas au parlement”, a déclaré Tamar Zandberg, le chef du parti d’opposition Meretz, dans un communiqué publié après l’annonce de l’alliance électorale. Même la haineuse American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), l’influent groupe de pression pro-israélien et proche allié de Netanyahu, semblait déstabilisée par cette décision. “Les opinions d’Otzma Yehudit sont répréhensibles. Elles ne reflètent pas les valeurs fondamentales qui constituent le fondement même de l’État d’Israël”, a tweeté l’AIPAC.
Mais pour les Palestiniens, qui sont la cible du racisme, de l’occupation militaire et de l’apartheid institutionnalisés par Israël, il n’y a pas de différence entre Otzma Yehudit et le Likoud ou tout autre parti israélien traditionnel. Ils savent que la longue histoire du racisme en Israël est en constante mutation.
En mai dernier, en effet, Israël a promulgué une loi sur l’État-nation mettant fin définitivement à toute confusion présumée quant à l’identité d’Israël. La nouvelle loi proclame ouvertement Israël comme “l’État-nation du peuple juif”, faisant totalement abstraction du peuple palestinien et marginalisant ses droits, sa culture, sa langue et son histoire.
La plate-forme politique d’Otzma Yehudit et les nombreuses déclarations racistes et violentes de Michael Ben Ari ne sont pas fondamentalement différentes du texte de la loi sur l’État-nation ou de la myriade de déclarations agressives faites régulièrement par les principaux politiciens israéliens tels qu’Ayelet Shaked, Naftali Bennett et Ariel Uri.
Pourtant, les Israéliens et les partisans d’Israël prétendent toujours insister sur la distinction entre l’extrême droite israélienne et le courant politique dominant, car ils veulent préserver l’illusion qu’Israël défend les valeurs de démocratie et de transparence, et les droits de l’homme.
Cela vise à tenter de dissimuler la “bête immonde” israélienne de la suprématie raciale, de l’occupation militaire et de l’apartheid, et du rôle qu’il joue actuellement dans la menace émergente de l’extrême droite au niveau mondial.
Ce n’est pas un hasard si les idéologues d’extrême droite et les groupes néo-fascistes célèbrent son racisme et sa violence contre ce qu’il considèrent comme l’ennemi commun : les musulmans. Ils considèrent la “guerre contre le terrorisme” et la victimisation des musulmans comme un modèle.
Cependant, ce lien entre Israël et les mouvements d’extrême droite à travers le monde ne repose pas uniquement sur leur haine commune pour l’islam et les musulmans ou sur les objectifs communs du sionisme et de la suprématie blanche.
Il est de plus en plus évident qu’Israël et des groupes d’extrême droite du monde entier convergent au sein d’un mouvement mondial qui vise à promouvoir et à développer l’idéologie et la politique d’extrême droite.
La théorie du complot du “grand remplacement” énoncée par l’idéologue français néo-fasciste Renaud Camus dans son livre “Le Grand Remplacement” est au cœur de cette union qui se fait jour. Camus propose une interprétation extrême du “choc des civilisations” de Samuel Huntington, affirmant que l’Europe est confrontée à une invasion musulmane qui entraînera un “changement de civilisation”.
Cette idée s’est répandue au-delà de l’Europe et s’est étendue jusqu’en Amérique du Nord et du Sud, en Inde, en Australie, etc… Israël y voit un reflet de sa propre inquiétude démographique quant au fait que les Palestiniens ont été et restent la majorité dans ce qui est leur pays : la Palestine.
Et bien que cette théorie ait également acquis en certains endroits des nuances antisémites – comme aux États-Unis, où en 2017 une marche d’extrême droite scandait “Les Juifs ne nous remplaceront pas!” – Israël a activement encouragé à sa diffusion.
Les idéologues néo-fascistes européens et les groupes qui souscrivent à la théorie du complot du “grand remplacement” sont également tous d’ardents partisans d’Israël.
Camus lui-même a exprimé son admiration pour Israël à plusieurs reprises. En décembre 2017, après que Donald Trump ait déplacé l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, il avait tweeté : “Jérusalem est la capitale d’Israël. Israël est un modèle de résistance. Nous devons faire de l’Europe un plus grand Israël”.
Lors d’un discours en 2015, le député néerlandais Geert Wilders, réputé pour son islamophobie, a déclaré: “Il n’y a rien de mal à préserver notre propre civilisation judéo-chrétienne. C’est notre devoir […] Regardez Israël, apprenez d’Israël, Israël est une île dans une mer de barbarie islamique. Israël est un phare de liberté et de prospérité dans une région de ténèbres islamiques. Israël refuse d’être envahi par les djihadistes. Nous devrions faire de même.”
Ancien dirigeant de la English Defence League, Tommy Robinson a affirmé que “le peuple juif est persécuté [par des musulmans] et que personne ne le défend.”
Wilders et Robinson ont tous deux reçu des fonds du think tank pro-israélien, le Middle East Forum, afin de couvrir leurs frais de justice après avoir été inculpés d’incitation à la haine contre les musulmans.
Heinz-Christian Strache, le vice-chancelier autrichien et chef du parti néo-fasciste Freedom Party, qui a appelé à une “immigration zéro” et à “la fin de la politique d’islamisation” en Autriche, s’est rendu à plusieurs reprises en Israël ces dernières années et soutien un projet de déplacement de l’ambassade d’Autriche à Jérusalem.
Le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, lié aux PEGIDA (Européens patriotes allemands contre l’islamisation de l’Occident), a choisi de lancer sa campagne électorale pour les élections italiennes lors d’une visite en Israël en 2016, où il a déclaré: “Israël incarne l’équilibre parfait des différentes réalités, tout en garantissant l’ordre public. Il s’agit certainement d’un modèle pour les politiques de sécurité et de lutte contre le terrorisme.” Deux ans plus tard, Salvini remporta suffisamment de voix pour former un gouvernement de coalition avec le mouvement populiste Cinq Étoiles.
Le succès électoral de Salvini, ainsi que ceux de Strache en Autriche et de Viktor Orban en Hongrie, ont maintenant incrusté des idées d’extrême droite dans la gouvernance européenne. Dans les pays d’Europe, d’Asie du Sud et du Sud-Est et des Amériques où l’extrême droite n’a pas réussi à s’imposer dans les gouvernements, celle-ci a tout de même fait pencher les politiques nationales plus à droite.
Ce mouvement mondial d’extrême droite a également poussé à plus de violence, où une islamophobie enragée est associée à une admiration pour Israël.
Alexandre Bissonnette, qui a assassiné six fidèles dans une mosquée du Québec en 2017, était un fan de l’armée israélienne et de groupes pro-israéliens tels que “United with Israel”.
Brenton Tarrant, qui a massacré 50 fidèles musulmans à Christchurch et fait référence à la théorie du complot de Camus dans son manifeste, s’est rendu en Israël, ainsi que dans d’autres pays, où il cherchait le fameux et prétendu “choc des civilisations” et luttait contre les “envahisseurs musulmans”. Il a récemment été découvert qu’il avait fait don d’argent au groupe d’extrême droite anti-musulman Mouvement identitaire autrichien.
Compte tenu du degré de violence aujourd’hui associé à ces groupes et à ces partis néo-fascistes, il est essentiel que notre compréhension ne se limite pas à analyser leurs liens possibles, mais à affronter tous les canaux de soutien politique et de reconnaissance qu’ils gagnent, y compris de la part d’Israël.
Le fait qu’Israël réussisse à faire de sa guerre contre les Palestiniens une cause mondiale, partagée par les idéologues néo-fascistes du monde entier, n’est pas seulement un danger pour la paix dans le monde, mais un précurseur de violences encore plus meurtrières, de Gaza à Québec, en passant par Christchurch.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
* Romana Rubeo est traductrice freelance et vit en Italie. Elle est titulaire d’une maîtrise en langues et littératures étrangères et spécialisée en traduction audiovisuelle et journalistique. Passionnée de lecture, elle s’intéresse à la musique, à la politique et à la géopolitique.
29 mars 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah