Par Ramzy Baroud
La rébellion tranquille des juifs américains qui se retournent contre Israël est une bonne chose pour les Palestiniens.
Un débat très particulier mais critique sur Israël et la Palestine a lieu à l’écart du discours traditionnel sur le colonialisme israélien et la lutte palestinienne de libération. Il s’agit d’une discussion dérangeante et compliquée – mais qui n’a que trop tardé – concernant les juifs américains et leur relation avec Israël ainsi que leur engagement envers son idéologie sioniste.
Pendant de nombreuses années, Israël et ses partisans juifs ont commodément accusé les juifs qui ne soutiennent pas l’État ou, pire, qui prônent la liberté des Palestiniens, d’avoir la la “haine de soi”. Ce terme utilisé pour parler des juifs dissidents antisionistes est similaire à l’accusation d’ “antisémitisme” portée contre les non-juifs, qui incluent les Arabes sémites, pour avoir osé critiquer Israël.
Une telle approche, cependant, n’est plus aussi efficace qu’elle l’était autrefois.
Ces dernières années ont démontré sans équivoque qu’il existe une révolte silencieuse au sein de la communauté juive américaine. Cette rébellion anti-israélienne couve depuis longtemps, mais ce n’est qu’assez récemment que les chiffres ont commencé à refléter la montée d’un nouveau phénomène où les juifs américains – et en particulier les jeunes générations – s’opposent ouvertement au conformisme juif typique dans les questions relatives à Israël et à l’attachement indéfectible et incontesté pour le sionisme.
Au cours de la dernière décennie, cette nouvelle réalité a tiré la sonnette d’alarme au sein de diverses institutions sionistes aux États-Unis et en Israël même.
Plusieurs sondages et enquêtes d’opinion pointent vers une conclusion indiscutable : le rapport émotionnel et politique entre Israël et les juifs américains s’affaiblit rapidement.
Un sondage publié par Laszlo Strategies pour l’organisation à but non lucratif Jerusalem U en août 2013, par exemple, concluait que 87 % des Juifs américains de plus de 50 ans étaient tout à fait d’accord pour dire que “se soucier d’Israël est une partie très importante de mon être juif”, alors que seulement 66 % des jeunes juifs américains âgés de 18 à 29 ans pensaient la même chose.
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D’autres sondages réalisés depuis lors sont parvenus à des conclusions similaires, montrant que le nombre de jeunes juifs soutenant fermement Israël continue de diminuer.
Un sondage particulièrement révélateur et important a été celui de l’American Jewish Committee en juin 2018. C’est à cette époque que l’alliance américano-israélienne a atteint son zénith sous les administrations de Donald Trump et de Benjamin Netanyahu. Bien que 77 % de tous les Israéliens avaient un avis favorable sur la gestion des relations américano-israéliennes par le gouvernement américain, seuls 34 % des juifs américains étaient du même avis.
En fait, 57 % des juifs américains désapprouvaient franchement la politique de Trump, laquelle consistait essentiellement à accorder à Israël tout ce qu’il voulait.
La trajectoire descendante s’est poursuivie sans interruption. Une étude publiée en mai de cette année par Pew indique qu’un juif américain sur cinq pense que les États-Unis “soutiennent trop Israël”.
Le nombre de ceux qui sont de cet avis, soit 22 % de la population juive américaine, a doublé depuis un précédent sondage publié en 2013.
La collecte des données pour le sondage ci-dessus, bien que publié pendant l’assaut meurtrier d’Israël sur Gaza (10-21 mai), a été réalisée en 2019 et 2020. Le nombre de juifs américains non favorables doit avoir augmenté depuis lors, comme s’il existait une corrélation claire entre les guerres israéliennes entraînant des pertes civiles massives et la division actuelle entre les juifs américains et Israël.
Libby Lenkinski, vice-présidente chargée de l’engagement public au New Israel Fund, a déclaré au magazine Rolling Stone qu’elle constate un “changement notable dans la perception américaine” sur la Palestine et Israël depuis la guerre meurtrière d’Israël sur Gaza en 2014, une guerre qui a tué plus de 2200 Palestiniens.
Pour Lenkinski, cependant, la perception juive américaine devrait résulter d’un choix éthique : “C’est une question morale. C’est bien ou mal.”
Des sentiments similaires sont apparus après l’agression de mai 2021, où plus de 260 Palestiniens ont été assassinés, dont de nombreuses femmes et enfants. Dans un article récent, l’écrivain juif américain Marisa Kabas explique le dilemme ressenti par de nombreux membres de la communauté juive américaine à l’égard d’Israël.
“Parce que le conflit a si souvent été réduit à un choix binaire – soit vous soutenez Israël, soit vous soutenez sa destruction – pour beaucoup d’entre nous, cela a été ressenti comme une trahison de ne serait-ce que de prendre en considération l’autre côté.”
Grâce à des personnes comme Kabas, Lenkinski et bien d’autres, “l’autre côté” est enfin visible, ce qui a entraîné un changement évident dans la perception juive américaine d’Israël et dans sa relation avec ce pays.
Alors qu’un espace plus important s’ouvre aux juifs américains dissidents, la discussion en Israël reste très limitée et ne s’intéresse guère à l’éthique et à la morale.
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Récemment, les principaux partis politiques du pays ont admis qu’Israël perdait le soutien des juifs américains, le désaccord portant essentiellement sur la responsabilité de ce changement sismique. Netanyahu a souvent été tenu pour responsable d’avoir fait d’Israël un enjeu politique américain partisan par son alliance avec Trump et le Parti républicain, au détriment de la relation d’Israël avec les démocrates.
Pourtant, la love story entre Netanyahu et Trump n’a pas été aussi simple que les critiques de Netanyahou voudraient le croire. En effet, l’idée d’Israël a changé dans la société américaine. La notion selon laquelle Israël est un petit État soi-disant vulnérable confronté à des menaces existentielles de la part d’ennemis arabes – qui a dominé dans le passé – est devenue presque totalement hors de propos.
Le nouveau concept d’Israël – aujourd’hui principal argument de vente de Tel Aviv en Amérique – est celui d’un Israël biblique, un lieu de prophéties et de salut spirituel, qui plaît surtout aux groupes chrétiens évangéliques d’extrême-droite.
Les jeunes Juifs américains, dont beaucoup soutiennent les mouvements Black Lives Matter et même la campagne palestinienne pour le boycott, ont peu de choses en commun avec les partisans d’Israël parmi les zélateurs chrétiens américains.
Israël est maintenant à la croisée des chemins. Il ne peut regagner le soutien des juifs américains que s’il se comporte d’une manière qui soit conforme à leur cadre de référence moral. Il devrait donc mettre fin à son occupation militaire, démanteler son régime d’apartheid et revenir sur ses lois racistes.
Plus précisément, cela signifierait qu’il devrait abandonner complètement le sionisme, ou abandonner les juifs américains pour se reposer entièrement sur les évangéliques. Certains hauts responsables israéliens préconisent déjà cette dernière option.
Le 9 mai, l’ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Ron Dermer, a affirmé que, puisque les chrétiens évangéliques sont “l’épine dorsale du soutien d’Israël aux États-Unis”, Israël devrait donner la priorité à leur soutien “passionné et sans équivoque” d’Israël par rapport aux juifs américains qui sont “de manière disproportionnée parmi nos détracteurs”.
Si Israël opte officiellement pour ce choix, peut-être sans autre option viable, alors une rupture quasi-complète entre Israël et les juifs américains devient inévitable. En ce qui concerne la justice et la liberté pour le peuple palestinien, ce serait une très bonne chose.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
17 août 2021 – Middle East Monitor – Traduction: Chronique de Palestine – Lotfallah
Je suis indigné par cette monstrueuse injustice entre “le Peuple Élu et le Peuple Éludé” depuis plus de trente ans. J’aimerais tellement vivre assez vieux pour en voir la fin : un dénouement humain, pacifique, juste et équitable… Autant pour les Palestiniens que pour beaucoup d’autres personnes sur terre, finalement. Mais au fil du temps mon optimisme s’évapore ; je ne vois guère d’évolution positive dans la stratégie géopolitique menée par les Maîtres du Monde, loin s’en faut d’ailleurs. Enfin, tant que rêver n’est pas encore prohibé sous peine de lourdes sanctions…