Par Ramzy Baroud
Les “Desaparecidos” de Palestine : Gantz intensifie la guerre d’Israël contre les morts.
Le 2 septembre, le gouvernement israélien a approuvé une proposition qui permet à l’armée de garder indéfiniment les corps des Palestiniens qui ont été tués par l’armée israélienne. La proposition a été faite par le ministre de la défense du pays, Benny Gantz.
Gantz est le principal rival politique du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Il joue également le rôle de “Premier ministre suppléant”. Si Netanyahu ne revient pas sur l’accord de coalition gouvernementale qu’il a signé avec le Parti Bleu et Blanc de Gantz en avril dernier, Gantz prendra la tête du gouvernement israélien à partir de novembre 2021.
Depuis son entrée officielle dans le monde chaotique de la politique israélienne, Gantz, prétendument “centriste”, a adopté des positions de faucon contre les Palestiniens, en particulier ceux de Gaza. Il espère ainsi élargir son assise parmi les électeurs israéliens, dont la majorité a émigré en masse vers la droite.
Mais la dernière “réalisation” de Gantz, qui consiste à refuser aux Palestiniens morts un enterrement digne de ce nom, n’est pas entièrement nouvelle. En fait, en Israël, le marchandage avec les cadavres est le modus operandi depuis des décennies.
Selon la logique du ministre de la défense, la rétention des corps servira de “dissuasion contre les attaques terroristes”. Cependant, à en juger par le fait que cette pratique est utilisée depuis de nombreuses années, rien ne prouve que les Palestiniens aient jamais été dissuadés de résister à l’occupation militaire israélienne en raison de telles pratiques.
La nouvelle politique, selon les responsables israéliens, est différente des pratiques précédentes. Alors que par le passé, Israël ne conservait que les corps de prétendus “agresseurs palestiniens” dits appartenir à des “groupes terroristes”, la dernière décision du gouvernement israélien étendrait la règle à tous les Palestiniens, même ceux qui n’ont aucune affiliation politique.
Outre la tentative de Gantz de renforcer son image de dirigeant violent, le militaire devenu homme politique veut améliorer ses chances dans les négociations indirectes entre Israël et les groupes palestiniens à Gaza. Israël estime que quatre soldats sont actuellement détenus à Gaza, y compris les corps de deux soldats qui ont été tués pendant la guerre israélienne dévastatrice dans la bande assiégée en juillet 2014. Le Hamas a soutenu que deux des quatre soldats – Hadar Goldin et Shaul Aaron – sont, en fait, toujours en vie et en détention.
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Depuis des années, des discussions indirectes entre le Hamas et Israël visent à obtenir un accord qui permettrait de libérer un nombre indéterminé de prisonniers palestiniens en échange des Israéliens détenus. En retenant encore plus de dépouilles de Palestiniens, Tel Aviv espère renforcer sa position dans les futurs pourparlers.
La réalité, cependant, est tout autre. Depuis des mois, l’armée israélienne ne restitue plus les corps des Palestiniens accusés d’avoir attaqué des soldats israéliens, ce qui inclut tous les Palestiniens, indépendamment de leurs prétendues affiliations politiques.
Il ne fait aucun doute que la rétention des cadavres comme tactique politique est illégale en vertu du droit international. L’article 130 de la quatrième Convention de Genève stipule clairement que les personnes tuées lors de conflits armés doivent être “honorablement enterrées … selon les rites de la religion à laquelle elles appartenaient”.
Cependant, la Cour suprême israélienne, qui statue bien souvent en contradiction avec le droit international, a décidé le 9 septembre 2019 – exactement un an avant la décision du cabinet israélien – que l’armée a le droit de poursuivre la pratique de la rétention des corps des Palestiniens tués.
Bien qu’Israël ne soit pas le premier pays à utiliser les morts comme monnaie d’échange, cette pratique en Israël existe depuis que le conflit existe et a été utilisée de multiples façons dans l’intention d’humilier, de punir collectivement et d’imposer un sordide marchandage aux Palestiniens.
Pendant la “guerre sale” en Argentine (1976-1983), des dizaines de milliers d’Argentins ont “disparu“. Des étudiants, des intellectuels, des syndicalistes et des milliers d’autres dissidents ont été tués par le régime du pays lors d’un génocide sans précédent. Les corps de la plupart de ces victimes n’ont jamais été retrouvés.
Cependant, la pratique a largement cessé après l’effondrement de la junte militaire en 1983.
Des épreuves similaires ont été infligées par d’autres pays dans de nombreuses régions du monde. En Israël cependant, la pratique n’est pas liée à un régime militaire spécifique ou à un dirigeant en particulier. Les “desaparecidos” de Palestine s’étendent sur plusieurs générations
Aujourd’hui encore, Israël entretient ce que l’on appelle les “cimetières des numéros”. Salwa Hammad, coordinatrice de la campagne nationale palestinienne pour la récupération des dépouilles des martyrs, estime qu’il existe six cimetières de ce type en Israël, bien que les autorités israéliennes refusent de divulguer plus de détails sur la nature de ces cimetières, ou sur le nombre exact de corps palestiniens qui y sont enterrés.
Le Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center estime que 255 corps palestiniens sont enterrés dans ces cimetières, 52 d’entre eux y étant “détenus” par les autorités israéliennes depuis 2016.
Dans les “cimetières des numéros”, les Palestiniens sont connus, non pas par leur nom, mais par un numéro que seul Israël peut faire correspondre à la personne qui y est enterrée. En 2011, le corps de Hafez Abu Zant a été restitué après avoir été détenu dans l’un de ces cimetières pendant 35 ans, a rapporté l’agence de presse Bernama.
Selon Salwa Hammad, “Si les restes se trouvent dans un “cimetière de numéros”, nous les récupérons dans un sac noir – quelques os, de la terre et peut-être leurs vêtements”.
Après l’approbation de sa proposition par le cabinet israélien, Gantz s’est vanté de sa capacité à appliquer “une politique de dissuasion renforcée depuis son entrée en fonction”. La vérité est que Gantz ne fait que s’attribuer une politique israélienne de longue date qui a été appliquée par tous les gouvernements précédents, quelles que soient leurs orientations politiques.
Si Gantz est vraiment convaincu que le fait de retenir des dépouilles de Palestiniens – tout en maintenant l’occupation militaire israélienne – permettra d’atteindre sa définition largement biaisée de la paix et de la sécurité qu’il a à l’esprit, il se trompe lourdement.
De telles politiques se sont avérées un échec total. Alors que les familles palestiniennes sont absolument dévastées par cette pratique repoussante, la détention des cadavres n’a jamais étouffé une rébellion, ni en Argentine ni en Palestine.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
16 août 2020 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah