Par Ola Mousa
Janat, âgée de quatre ans, est née après l’incarcération de son père Husam. Israël a utilisé ce fait comme prétexte pour refuser à Husam le droit de voir sa propre fille.
Husam et son épouse Farhana se sont mariés en août 2008. Ils vivaient ensemble depuis peu de temps quand Israël a organisé une attaque majeure contre Gaza au cours de la dernière semaine de cette même année.
En tant que membre des brigades al-Qassam – la branche armée du Hamas [résistance palestinienne] – Husam a pris part à la résistance à cette attaque. Il a été enlevé en janvier 2009, durant une invasion terrestre de Gaza par les troupes israéliennes.
Husam ayant été condamné à 18 ans de prison, il semblait impossible qu’il puisse devenir père avant sa libération. Mais lorsque la mère de Husam lui a rendu visite en 2014, elle a réussi à faire sortir un peu de son sperme de la prison.
Après une procédure de fécondation in vitro, Farhana est devenue enceinte et a donné naissance à Janat, en février 2015.
Selon Farhana, Husam était “submergé de bonheur” lorsqu’il a appris qu’elle attendait un bébé. La nouvelle lui a été transmise via un téléphone portable introduit dans la prison, au défi des règles israéliennes.
Avant cela, “nous avions perdu tout espoir de mener une vie digne”, a ajouté Farhana.
Farhana rendait visite à son mari tous les trois mois. Pourtant, elle a cessé d’aller le voir pendant sa grossesse afin d’éviter les fouilles effectuées par Israël sur les membres des familles rendant visite aux prisonniers.
“Ambassadeurs de la liberté”
Elle n’a pas amené Janat à la prison avant l’âge d’un an.
Les gardes qu’elle a rencontrés à ce moment-là étaient extrêmement hostiles. Ils insultaient Janat en l’appelant “fille d’un terroriste”, raconte Farhana.
Ce n’est que lorsque les autres prisonniers ont menacé de lancer une émeute que les gardes ont cédé et ont permis à Farhana d’entrer dans la prison avec sa fille. Husam a finalement été autorisé à voir Janat – mais de l’autre côté d’une cloison.
“Je me suis effondrée en pleurant”, nous dit Farhana. “Husam poussait la cloison de verre… Il voulait embrasser son enfant mais il ne le pouvait pas. Les gardes n’ont montré aucune humanité.”
Depuis lors, Israël a rejeté toutes les demandes de la famille pour que Janat puisse rendre visite à son père.
L’absence de son père a provoqué beaucoup de confusion. À un moment donné, Janat a cru que son oncle Ghassan était son père. Cela a amené Farhana à expliquer à Janat de la situation de son papa.
“Chaque jour, Janat embrasse sa photo et lui parle comme s’il était avec elle”, raconte Farhana. “Quand elle reçoit une nouvelle robe, elle demande à la photo de son père si elle est belle.”
Ces dernières années, un certain nombre de prisonniers palestiniens ont engendré des enfants en faisant sortir clandestinement leur sperme de prison. Les prisonniers ont ainsi affiché leur détermination à continuer à élever leur famille malgré leur privation de liberté.
Abdullah Qandeel, militant pour les droits des prisonniers palestiniens, a décrit les enfants nés de pères emprisonnés comme des “ambassadeurs de la liberté”.
“Ce fut un grand succès pour leurs parents que de mettre ces enfants au monde,” ajoute-t-il. “Ils ont prouvé que l’emprisonnement ne leur faisait pas perdre espoir.”
Israël a adopté une attitude raciste envers les prisonniers et leurs familles. Alors que les Israéliens juifs sont autorisés à concevoir des enfants même lorsqu’ils sont derrière les barreaux, les prisonniers palestiniens en sont interdits.
La cruauté d’Israël ne cesse pas une fois les enfants nés. Les témoignages des familles font comprendre qu’Israël refuse systématiquement d’autoriser les enfants nés d’une fécondation in vitro – faite avec un sperme de contrebande – de voir leur père en prison.
Un de ces enfants, Asad Abu Salah, n’a pas été autorisé à voir son père depuis toutes ces trois dernières années. Asad a 5 ans.
Son père, Fahmi, a été kidnappé au printemps 2008 lorsque les forces israéliennes ont effectué une incursion dans la ville de Beit Hanoun, dans le nord de Gaza. Le frère de Fahmi, Salah, et leur père Asad, ont été enlevés au même moment.
Trois ans plus tard, alors que leur père avait été libéré à la suite d’un accord d’échange de prisonniers, Fahmi et Salah sont restés en prison. Fahmi a été condamné à 22 ans de prison pour participation aux Brigades al-Qassam, une organisation de la résistance interdite par Israël.
Accompagné de sa grand-mère Muna, l’enfant Asad a rencontré son père deux fois en 2016. Lors de la deuxième visite, un gardien de prison a demandé à Muna des détails sur la naissance de Asad. Elle a refusé de répondre à la question.
“Nés pour nous donner de l’espoir”
Depuis lors, les autorités israéliennes ont rejeté toutes les demandes pour qu’Asad de voir son père. Il a été répondu à la famille que les autorités d’occupation considéraient Asad comme “illégitime”.
“L’enfant tourne ses yeux vers nous chaque fois que nous parlons de son père”, raconte le grand-père d’Asad. “Il ne sait pas pourquoi il est privé de voir son père.”
En 2013, l’unique enfant d’Ahmad al-Sakani et de Shireen al-Atal a été tué dans un accident de la route.
Ahmad était en prison quand il a appris la mort de son fils Tariq. Dévasté par la perte de son fils, il a néanmoins trouvé la détermination de vouloir engendrer un autre enfant.
En utilisant le sperme d’Ahmad sorti clandestinement de prison, Shireen a pu à nouveau être enceinte. En juillet 2015, elle a donné naissance à des jumeaux.
Ahmad est en prison depuis 2002. Il a été condamné à 27 ans de prison pour avoir soi-disant formé des combattants du Jihad islamique [résistance palestinienne].
Shireen a fait de nombreuses demandes – par l’intermédiaire d’avocats palestiniens en Israël – pour que les jumeaux voient leur père.
“Chaque fois que je contacte les avocats, ils me disent que les autorités d’occupation considèrent les enfants comme illégitimes et comme un danger pour Israël”, dit-elle.
“Nos enfants ne sont pas des terroristes ni un danger pour Israël. Ils sont nés pour donner de l’espoir à leurs mères.”
* Ola Mousa est artiste et écrivain. Elle a participé à plusieurs expositions d’art plastique à Gaza. Elle travaille également comme traductrice spécialisée dans les médias de Gaza, principalement sur les récits et rapports traitant des droits humains.
17 juin 2019 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine