Par Ali Abunimah
“Nous avons une directive, j’ai une directive : pas de travail de renseignement aux États-Unis, pas d’espions. Et elle est totalement respectée, sans aucune exception”, a éructé le Premier ministre israélien en réponse à l’article.
“C’est de l’invention, de l’invention pure et simple.”
Amos Yadlin, un ancien chef des services de renseignements israéliens, tente même de discréditer le reportage de Politico en utilisant la calomnie habituelle de l’antisémitisme.
Mais il y a de bonnes raisons de croire que c’est Netanyahu qui ment.
Bien que cela soit difficile à prouver, étant donné la nature du travail de renseignement, presque personne – et certainement pas les officiels étasuniens cités par Politico – ne doute qu’Israël espionne les États-Unis.
Presque personne – sauf Donald Trump qui a naïvement pris pour argent comptant les protestations de Netanyahu.
Espionner Trump
Trois anciens officiels ont déclaré à Politico que des systèmes de surveillance intégrés à des téléphones portables avaient été découverts au cours des deux dernières années.
“Ces appareils étaient probablement destinés à espionner le président Donald Trump, a déclaré l’un des anciens officiels, ainsi que ses principaux assistants et plus proches collaborateurs – mais on ne sait pas si les efforts israéliens ont été couronnés de succès,” selon Politico.
“Un ancien haut responsable du renseignement a noté qu’après que le FBI et d’autres agences eurent conclu que les Israéliens étaient très probablement à l’origine de cette surveillance, l’administration Trump n’avait ni puni, ni même réprimandé discrètement, le gouvernement israélien”, ajoute l’auteur de l’article.
Ce qui donne du poids au reportage de Politico, c’est que les responsables américains se doutaient déjà que les Israéliens les espionnaient. Notamment parce que les Israéliens semblaient souvent avoir une connaissance détaillée des délibérations internes et secrètes des États-Unis.
“Parfois, on aurait dit qu’ils savaient ce que nous pensions”, a dit un fonctionnaire.
“Il y avait des tournures de phrases ou des expressions qui, pour autant que nous le sachions, n’étaient apparues que dans des brouillons de discours et n’avaient jamais été utilisées publiquement, et tout à coup un officiel israélien s’y référait, en disant : “Ce serait vraiment problématique si vous disiez ci ou ça”.
Tentative de chantage ?
Quant à la “directive” à laquelle Netanyahu a fait référence, elle remonte à trois décennies, quand Israël a été pris en flagrant délit d’espionnage massif contre les États-Unis.
En 1985, l’officier de renseignement naval américain Jonathan Pollard a été arrêté pour avoir copié et envoyé à Israël les secrets étasuniens les plus classifiés, sur une période de 18 mois.
Israël aurait ensuite transmis ces secrets à l’Union soviétique pour que Moscou autorise les Juifs soviétiques à émigrer en Israël.
Pollard a plaidé coupable et a été condamné à la prison à vie. Pour apaiser la colère étasunienne, Israël a promis de cesser d’espionner son allié et protecteur.
Les Israéliens ont ensuite passé les trois décennies suivantes à essayer de convaincre les Américains de libérer Pollard, ce à quoi l’appareil de renseignement étasunien s’est farouchement opposé en raison des dégâts énormes qu’il avait causés.
Mais selon un livre de Daniel Halper paru en 2014, Netanyahu a utilisé les fruits de nouvelles opérations d’espionnage pour essayer de faire chanter Bill Clinton et le forcer à libérer Pollard.
Le dirigeant israélien avait menacé Clinton à demi-mot de publier les détails de l’affaire du président avec la stagiaire Monica Lewinsky.
Il aurait proféré cette menace quelque peu grossière lors d’un sommet du processus de paix en 1998 à Wye River dans le Maryland.
“Les Israéliens présents à Wye River avaient une nouvelle arme pour appuyer leurs négociations – ils avaient écouté et enregistré Clinton et Monica”, écrit Halper.
“Comme Israël ne voulait pas menacer directement le puissant président américain, l’allié crucial d’Israël, on a fait savoir à Clinton que le gouvernement israélien avait jeté les cassettes.”
Selon Halper, la simple mention de l’existence des enregistrements avait suffi à convaincre un Clinton “en état de choc” de céder.
C’est seulement l’opposition catégorique de George Tenet, alors chef de la CIA, qui a empêché Clinton de libérer l’espion israélien.
Et c’est le président Barack Obama, toujours désireux de prouver son attachement à Israël, qui libérera Pollard en 2015.
Les Israéliens ont de multiples raisons d’espionner Trump, la principale étant de mieux appréhender la pensée stratégique américaine.
Mais ils espèrent aussi tomber sur du matériel qui pourrait être utilisé pour embarrasser le président – du kompromat *, comme on dit en russe.
La découverte du réseau de surveillance
Nous avons également d’autres preuves récentes d’espionnage israélien aux États-Unis – qui sont d’ailleurs passées sous silence par les médias grand public et les élites politiques.
L’an dernier, The Electronic Intifada a sorti en intégralité le documentaire d’Al Jazeera, The Lobby-USA.
Al Jazeera n’a jamais diffusé le documentaire, parce que le lobby israélien, dont ce documentaire révèle le fonctionnement, a fait pression sur le Qatar, qui finance al-Jazeera, pour qu’il soit censuré.
Ce n’est pas un mystère que les petits soldats d’Israël ne voulaient pas qu’il soit diffusé.
Le documentaire révèle un réseau d’organisations qui servent de paravent aux efforts de l’État israélien pour espionner, compromettre et discréditer les Américains qui militent pour les droits des Palestiniens.
Note :
* Matériel compromettant
* Ali Abunimah est un journaliste palestino-américain, auteur de The Battle for Justice in Palestine. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict. Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka.
13 septembre 2019 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet