Depuis des décennies, Israël interdit au citoyen étasunien d’origine palestinienne que je suis, de se rendre sur la terre de ses ancêtres. Devrait-il en être récompensé par une exemption de visa ?
A 81 ans, mon père nous parle encore, avec nostalgie et tristesse, de notre village, Nuris, et de Bisan (Beit She’an), la ville où il est né.
Quand nous étions enfants, mes frères et sœurs et moi-même allions souvent avec notre père à la frontière occidentale de la Jordanie, où notre famille est réfugiée depuis plus de 75 ans, pour voir notre patrie, la Palestine. Il pointait du doigt, les larmes aux yeux, l’endroit où se trouvait autrefois la maison de sa famille à Bisan.
La population de notre village, Nuris, a été chassée en 1948. Aujourd’hui, une colonie israélienne appelée Nurit se dresse sur ses ruines. Nuris n’est qu’à 32 km de la frontière où nous avions l’habitude de nous rendre. Cependant, la distance nous a toujours semblé beaucoup plus grande.
Nous avons toujours eu l’impression que nous en étions séparés par des océans et des continents. Nous savions évidemment que le village n’était pas loin, mais il nous était impossible d’y aller.
En effet, tandis qu’Israël reconnaît le droit des juifs de la diaspora à « retourner dans leur patrie biblique », il interdit aux Palestiniens qu’ils ont chassés de leur patrie d’y revenir. Même une courte visite est difficile voire impossible pour la plupart d’entre nous. Par conséquent, mon père n’a toujours pas pu réaliser son rêve de retourner à Nuris.
Le mois dernier, j’ai finalement réussi à me rendre à Nuris. Je suis la première personne de notre famille à avoir pu le faire depuis la Nakba. J’ai envoyé à mon père des photos et des vidéos de son village ancestral et de son ancien quartier.
Ces images l’ont profondément ému, et les regarder et en parler nous a aidés à nous reconnecter à cette terre magnifique qui a été le foyer de notre famille pendant des générations.
Mon voyage en Palestine n’a pas été une simple visite touristique ; c’était une odyssée émotionnelle, un pèlerinage sur la terre dont ma famille a été chassée en 1948.
Normalement, cela ne devrait pas poser de problème au citoyen américain que je suis de se rendre dans sa patrie d’origine. Après tout, les ressortissants américains n’ont même pas besoin de visa pour aller en Israël.
Pourtant, il m’a fallu plusieurs décennies pour réussir à me rendre à Nuris, à cause de la volonté israélienne d’empêcher les Américains d’origine palestinienne, et en particulier les militants comme moi, d’entrer dans le pays.
Je suis persona non grata en Israël depuis des années parce que je défends les droits des Palestiniens, et je ne pouvais donc pas entrer dans le pays. Nombre de mes amis et collègues américains d’origine palestinienne subissent le même sort, et certains ont même été frappés d’une interdiction définitive.
Le mois dernier, j’ai finalement été autorisé à entrer dans mon pays d’origine, mais ce n’est pas parce qu’Israël s’est repenti et a décidé de mettre fin à ses politiques discriminatoires à l’encontre des Américains d’origine palestinienne.
Ce n’était rien d’autre qu’un coup publicitaire pour faciliter l’entrée d’Israël dans le programme américain d’exemption de visa (VWP), qui donne aux citoyens d’un petit nombre de pays le droit de se rendre aux États-Unis et d’y séjourner pendant 90 jours, sans visa.
La condition fondamentale pour qu’un pays soit admis dans le VWP est la réciprocité – les citoyens d’un pays ne peuvent se rendre aux États-Unis sans visa que si leur pays accorde ce même droit à tous les citoyens américains.
Depuis des décennies, les autorités israéliennes refusent régulièrement et arbitrairement aux citoyens américains d’origine palestinienne, et en particulier à ceux d’entre nous qui sont originaires des territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, d’entrer dans le pays.
Cette attitude est contraire au principe de réciprocité du programme d’exemption de visa dont Israël veut bénéficier à tout prix.
Ces derniers mois, les autorités israéliennes ont donc commencé à autoriser l’entrée dans le pays d’Américains d’origine palestinienne comme moi, pour essayer de convaincre leurs détracteurs qu’une fois admis dans le VWP, Israël ne pratiquerait aucune discrimination à l’encontre des Américains, quelle que soit leur origine ethnique.
Pour l’instant, I’opération semble avoir réussi. Dans un communiqué publié mercredi, le ministère américain de la sécurité intérieure a déclaré qu’Israël allait pouvoir bénéficier du programme VWP et que les ressortissants israéliens pourraient venir aux États-Unis sans visa à partir du 30 novembre.
Il a ajouté qu’Israël « a mis à jour ses politiques d’entrée pour répondre à l’exigence du VWP d’étendre les privilèges réciproques à tous les citoyens américains sans considération d’origine nationale, de religion ou d’appartenance ethnique ».
Il n’y a évidemment aucune raison de croire qu’Israël tiendra sa promesse et autorisera les Américains d’origine palestinienne à entrer dans le pays sans obstacles particuliers.
Alors que la date d’entrée d’Israël dans le programme approche, d’innombrables Américains d’origine palestinienne se voient toujours refuser l’entrée sur leurs terres ancestrales sans explication valable ni fondement juridique.
L’absence de complète réciprocité n’est pas le seul problème que pose l’entrée d’Israël dans le programme VWP.
Comment un pays qui viole systématiquement les droits humains – y compris ceux des citoyens étasuniens – peut-il être admis dans un programme conçu pour les alliés des États-Unis qui partagent un même engagement en faveur des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit ?
Même si Israël remplissait toutes les conditions techniques d’admission au programme – ce qui n’est pas le cas actuellement – l’ensemble de sa politique resterait en contradiction directe avec la position officielle des États-Unis en matière de droits humains.
L’admission d’Israël dans le VWP indiquerait au monde que les États-Unis soutiennent leurs politiques frontalières hautement discriminatoires et leurs milliers de violations des droits humains. En outre, elle enverrait le message clair aux citoyens étasuniens d’origine palestinienne que leur vie, leur sécurité et leur histoire ne signifient rien aux yeux des dirigeants de leur pays.
Grâce à l’ambition d’Israël d’être admis dans le VWP, j’ai enfin pu visiter ma patrie. Mais tous les Palestiniens, et même tous les Etasuniens d’origine palestinienne, n’ont pas eu autant de chance. Nous, les Palestiniens de la diaspora ou de Palestine, sommes encore loin de bénéficier d’un traitement juste et égalitaire.
Tant qu’Israël ne respecte pas les droits humains et le principe d’égalité en général, et en particulier pour les Etasuniens d’origine palestinienne, il ne devrait pas avoir sa place dans le programme d’exemption de visa.
Auteur : Osama Abu Irshaid
* Osama Abu Irshaid est directeur exécutif et membre du conseil d'administration d' « Americans for Justice in Palestine Action » (AJP Action) et d' « American Muslims for Palestine » (AMP). C'est un militant, un écrivain et un conférencier arabe et musulman américain renommé, qui se concentre sur les politiques du Moyen-Orient et des États-Unis. Il donne fréquemment des conférences dans le cadre d'événements locaux, régionaux et internationaux, et commente régulièrement sur diverses chaînes de télévision arabes. Il est l'auteur et le co-auteur de plusieurs livres en arabe et a publié des dizaines d'études et d'articles en arabe et en anglais. Abu Irshaid a obtenu son doctorat en sciences politiques à l'université de Loughborough, au Royaume-Uni.
28 septembre 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet