Israël revient à sa “normalité”

22 mai 2021 - Environ 50 à 70 manifestants manifestent à Sheikh Jarrah, à Jérusalem, contre le siège imposé au quartier. Un blocus a été érigé par la police israélienne il y a quelques semaines, fermant une partie du quartier aux non-résidents, alors que les projets avançaient pour expulser les habitants de leurs maisons au profit des colons israéliens. Les résidents du quartier sont des réfugiés palestiniens de Jaffa, de Jérusalem-Ouest (Qatamon) et d'autres régions de la Palestine historique, dont le droit de retour a été refusé par l'État israélien depuis 1948, tandis que les organisations de colons s'efforcent de les expulser de leurs maisons afin de s'installer à leur place - Photo : Oren Ziv/Activestills.org

Par Gideon Levy

Vendredi dernier, à midi, la piscine municipale a rouvert. Comme la ville craignait que les nageurs ne glissent sur un sol mouillé alors qu’ils se précipitaient vers les abris, la piscine a alors été fermée pendant les récentes hostilités. Les Gazaouis peuvent se fendre de rire ou mourir d’envie, étant donné qu’il n’y a ni piscine ni abri de disponibles là-bas.

Dimanche, les ouvriers palestiniens qui construisent les nouveaux vestiaires de la piscine reprendront le travail. La piscine a été construite sur les ruines d’un bassin d’alimentation en eau desservant le village disparu depuis longtemps de Sheikh Munis. Ces ouvriers se lèveront à nouveau à 3 heures du matin dans leurs maisons en Cisjordanie occupée afin d’atteindre le checkpoint à 5 heures et leur travail à 6 heures, afin de construire des vestiaires juifs, dont on ne trouve pas trace dans leur propres villages.

À 6 heures, ce samedi, Hayarkon Park était plein de joggeurs et de cyclistes, heureux d’être de retour. Les conversations liées aux questions militaires – “Où ont-ils obtenu des missiles Kornet?” – a été progressivement remplacé par le discours habituel sur la vitesse, les distances et les mesures de rythme cardiaque.

Sur les courts de tennis d’en face, les derniers fêtards éthiopiens sortaient d’une soirée au club de sport “blanc” qui se transforme samedi soir en discothèque “noire”. Et de Gaza, les photos et les vidéos ont continué à couler : des gens sous le choc des bombes à côté des décombres, des tentes pour le deuil, le bâtiment bombardé abritant le ministère de la Santé, avec un père et un enfant en bas âge debout dans la rue, le père cueillant quelques fleurs d’un buisson et les offrant à son fils dans un moment déchirant et faisant monter des larmes.

K.T., étudiante en médecine à l’université Al-Azhar de Gaza, qui a pris ces photos et clips vidéo, a hésité avant de sortir de chez elle vendredi, pour la première fois en 11 jours, afin de voir les destructions. «J’étais très méfiante à l’idée de sortir, mais ensuite j’ai pensé que c’était l’histoire palestinienne alors qu’elle se fait, et je voulais la voir de mes propres yeux. Je veux me souvenir de ces crimes et alimenter ma rage”, a-t-elle écrit.

Les postes de contrôle près de la clôture de Gaza et à Jaffa ont été supprimés vendredi, les abris de Tel Aviv fermeront dimanche, et Galina, la chienne qui a disparu lors de la première sirène et dont les propriétaires ont posté des affiches en nombre infini dans le parc depuis lors, n’est apparemment pas encore rentrée chez elle : reviens Galina ! Il est temps de revenir à la normale !

C’est cette routine qui provoquera la prochaine guerre. Tout ce qui était et tout ce qui sera fournira le carburant pour la prochaine série d’hostilités. Le blocus de Gaza se poursuivra; la botte israélienne continuera d’appuyer sur le cou de la Cisjordanie, et dans les villes mixtes judéo-arabes, les provocations se poursuivront contre les restes de la communauté palestinienne d’avant 1948, tandis que le monde continuera à soutenir Israël.

L’arrogance restera également telle qu’elle était: nous provoquerons et tourmenterons, humilierons et opprimerons, en restant convaincus que nous pouvons continuer à le faire en toute impunité. Il est difficile de croire à quel point Israël est prêt à investir dans chaque guerre sans rien investir pour essayer de l’empêcher. Comment il ne s’inquiète pas des risques de guerre mais tremble de peur à toute tentative de l’empêcher. En Israël, parler avec le Hamas est présenté comme une option bien plus dangereuse que de le bombarder.

Y a-t-il même un Israélien avec un plan pour Gaza ? Y a-t-il un Israélien qui sait ce qu’Israël attend de Gaza, autre que le calme pour son propre peuple ? Devraient-ils nous jeter du riz en l’honneur de l’étouffement que nous leur imposons ? Devraient-ils nous accueillir en l’honneur de la destruction que nous avons semée ? Devraient-ils oublier tout ce que nous avons fait à Gaza depuis 1948 et jusqu’à ce jour, sans frais pour nous ? Israël a-t-il déjà essayé une méthode différente avec Gaza autre que la méthode unilatérale ?

Quelques heures après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, Israël a fait confiance aveuglément au Hamas, ouvrant des routes et des écoles et fermant des abris. En d’autres termes, il y a un partenaire à Gaza en qui on peut avoir confiance, ils sont à la hauteur de leur parole.

Peut-être devrions-nous essayer de leur parler avant la prochaine guerre, pas seulement après ? Le Hamas ne manque pas de courage ni de volonté de sacrifice, bien plus d’ailleurs que nous. Peut-être que ce courage se traduira cette fois par un courage politique ? Il y a des gens rationnels là-bas aussi, il faut s’en souvenir.

Mais ce sont des paroles creuses. Galina pourrait rentrer chez elle, mais Israël n’apprendra rien et n’oubliera rien. Le général à la retraite Israel Ziv retournera dans les studios de télévision afin d’expliquer comment nous devrions frapper et détruire, autant que possible, sous les acclamations des téléspectateurs. Bienvenue à nouveau dans notre routine habituelle.

23 mai 2021 – Haaretz – Traduction : Chronique de Palestine