Par Abdel Bari Atwan
De nombreuses personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la bande de Gaza s’attendaient à une annonce imminente du Caire concernant un accord “pour le calme” conclu entre le Hamas et l’État d’occupation israélien par le biais de la médiation égyptienne.
Deux jours de raids aériens israéliens ont non seulement dissipé ces attentes, mais ont également révélé le véritable visage et les véritables objectifs d’Israël. Sa poursuite des tueries et des destructions visait à montrer que l’armée israélienne a toujours le dessus, que les négociations ne sont pas entre deux parties égales et que le prétendu accord est plutôt un diktat affirmant une domination israélienne absolue.
Ce sont les dirigeants israéliens qui ont entamé la dernière escalade. Elle a délibérément cherché à humilier les membres du bureau politique exilés du Hamas venus de l’étranger pour discuter des termes de l’accord et formuler leur approbation finale par l’intermédiaire des dirigeants égyptiens. Les avions de combat israéliens ont perpétré un nouveau massacre dont les victimes comprenaient la famille Abu-Khammash. Trois de ses membres ont été mis en pièces par les missiles israéliens qui ont pénétré dans le toit de leur modeste maison à Deir al-Balah : Inas Abu-Khammash, enceinte de six mois d’une petite-fille, et sa fille, Bayan. Le père de Bayan a été blessé et leur voisin Ali Ghandour a été tué. Je connais cette famille, comme je connais la plupart des familles de cette ville immuable, car je suis née dans son camp de réfugiés.
La branche militaire du Hamas n’a pas hésité à répondre avec force par sa stratégie consistant à faire face au feu avec le feu.
Elle a lancé 180 missiles et obus de mortier sur les colonies israéliennes voisines. Seulement 30 d’entre eux ont été interceptés par le Iron Dome en Israël. Cela suggère que la résistance a amélioré sa capacité de riposte, et de nombreux faits l’attestent.
Les colons de Sderot se sont réfugiés dans leurs abris; un match de football programmé a été annulé; un ouvrier thaïlandais a été blessé. C’était la somme totale des pertes côté israélien. Mais les pertes psychologiques et le coup au moral étaient beaucoup plus importants. C’était la première fois depuis l’assaut israélien de 2014 contre Gaza que des colons étaient envoyés dans leurs abris ou que des sirènes retentissaient dans des endroits comme Bersheeba.
Ce qui inquiète le plus les Israéliens, c’est le sentiment d’insécurité, et ils n’auront certainement aucune sécurité – peu importe le nombre d’accords qu’ils peuvent signer avec les Palestiniens qui accepteront de les signer – tant que les droits palestiniens ne seront pas rétablis.
Il est difficile de savoir si l’accord “pour le calme” formulé par les services de renseignements égyptiens après leurs contacts avec le Hamas et Israël sera respecté. Mais les violents et sauvages raids aériens israéliens suggèrent que seules de nouvelles destructions et de nouveaux crimes sont à attendre. Il est également possible que certaines parties des deux côtés tentent de faire échouer l’accord. Du côté palestinien, la branche militaire du Hamas, les brigades al-Qassam, et ses faucons en particulier, ont été sensiblement silencieux, ce qui soulève de nombreuses questions.
Les deux millions d’habitants de la bande de Gaza souffrent d’un blocus étouffant. Nombre d’entre eux sont au bord de la famine dans un contexte d’effondrement total des services de base tels que l’eau, l’électricité, la santé et l’éducation, et d’un taux de chômage élevé d’environ 80%. Les puissances arabes, israéliennes et mondiales s’unissent pour les mettre à genoux et les obliger à accepter une solution “humanitaire” qui leur apporterait un certain soulagement plutôt qu’une solution politique appropriée.
L’objectif est d’alléger leurs souffrances juste assez pour les empêcher d’exploser comme ils l’ont fait lors des Marches du Retour. Ces marches ont fait plus que tout autre chose pour démasquer le visage repoussant, sanglant et raciste d’Israël.
Rien ne terrifie plus les Israéliens que la perspective de deux millions de personnes qui franchissent les clôtures qui les encerclent pour récupérer leurs villes et leurs villages d’origine.
Vous pouvez difficilement dire à une personne affamée de rester affamée et de rejeter la nourriture. De même, il serait inapproprié de demander à des personnes sans défense qui vivent sous des bombardements constants de rejeter la carotte de “calme”, même si elle est desséchée, avec un mauvais goût et toxique. Mais ce qu’Israël et ses collaborateurs arabes cherchent à faire, c’est de ramener les Palestiniens, en particulier dans la bande de Gaza, à la période qui a précédé la défaite arabe de 1967 et le lancement de la résistance palestinienne. Ils veulent, en d’autres termes, les faire vivre comme des mendiants qui survivent grâce aux miettes jetées par l’UNRWA – mais sans l’UNRWA elle-même, qu’ils essaient de détruire et de pousser à la faillite parce que son existence même témoigne du statut des Palestiniens de réfugiés et de leur droit au retour dans leur pays.
Les raids aériens israéliens et la mort et les destructions qu’ils ont provoqués visaient à nous rappeler les conséquences du rejet d’un accord pour le “calme”. Les prétextes ont été délibérément inventés pour atteindre cet objectif.
Je dis cela au titre d’avoir rejeté les accords d’Oslo, d’avoir refusé d’assister à la cérémonie de signature, et avoir averti, comme des millions d’autres, que cela aurait des résultats catastrophiques.
Un quart de siècle plus tard, les accords “politiques” d’Oslo ont réussi à réduire l’Autorité palestinienne et le peuple palestinien à leur condition misérable actuelle. Ils ont détruit tout ce qui a été accompli par tous les Palestiniens au cours des décennies de lutte et les ont transformés en mendiants, tout en permettant à Israël d’engloutir et de coloniser ce qui reste de leur terre.
Donc, devons-nous nous demander : quelles seront les conséquences de l’accord actuel pour le “calme” ? Quel prix le peuple palestinien devra-t-il payer en échange ? Aura-t-il le “calme” en échange d’une croûte de pain trempée dans l’humiliation plutôt que le calme pour le calme ? Ou est-ce que ce sera un calme en échange d’argent pendant que la colonisation se poursuit et qu’est démantelé ce qui reste de la culture et de la résistance palestiniennes ?
Nous n’avons pas de réponse à ces questions. Mais ceux qui signeront cet accord n’auront peut-être pas à attendre un quart de siècle pour voir les résultats obtenus par les architectes des accords d’Oslo. Nous sommes dans une ère différente où le temps se déroule plus vite, tout comme les changements qu’il entraîne.
Nous conclurons en disant : Méfiez-vous de Nickolay Mladenov, le Coordonnateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, et de ses promesses empoisonnées. Et méfiez-vous des intermédiaires arabes qui embellissent toutes ces concessions et vous promettent de l’argent et des projets. Gaza ne deviendra jamais une seconde Singapour si le prix à payer est d’abandonner le reste de la Palestine et le droit, et donc tout espoir, de retour. Mais cela pourrait bien devenir une autre Tora Bora ou une autre Hanoï.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
11 août 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine