Israël veut-il provoquer une guerre civile en Palestine ?

Manifestation Ramallah
La police de l'Autorité de 11 septembre 2012 - Ramallah bloque une manifestation contre les accords d'Oslo - Photo : Anne Paq/ActiveStills
Ramzy Baroud – La division au sein de la société palestinienne a atteint des niveaux sans précédent, devenant un obstacle majeur sur la voie d’une stratégie unifiée pour mettre fin à l’occupation violente d’Israël ou pour rallier les Palestiniens derrière un seul objectif.

Avigdor Lieberman, l’ultra-nationaliste israélien nouvellement nommé ministre de la Défense, l’a très bien compris. Sa tactique depuis son ascension au pouvoir en mai dernier est centré sur la volonté d’exploiter ces divisions pour briser définitivement la société palestinienne.

Lieberman est un « extrémiste », même comparé aux normes de l’armée israélienne. Son passé est constellé de déclarations violentes et racistes. Ses exploits les plus récents ont été jusqu’à s’en prendre violemment à Mahmoud Darwish, le plus célèbre poète de la Palestine. Il est allé jusqu’à comparer la poésie de Darwish – qui prône la liberté de son peuple – à l’autobiographie d’Adolf Hitler, “Mein Kampf”.

Mais, bien sûr, ce n’est pas le propos le plus scandaleux de Lieberman.

Liberman est un habitué des provocations

Les provocations passées de Lieberman sont nombreuses. Assez récemment, en 2015, il a menacé de décapiter avec une hache les citoyens palestiniens d’Israël s’ils ne manifestaient pas une absolue fidélité à « L’État juif ». Il a préconisé le nettoyage ethnique des citoyens palestiniens d’Israël et a annoncé un prochain assassinat de l’ancien Premier ministre palestinien, Ismaïl Haniya.

Ses déclarations outrancières de côté, le dernier stratagème de Lieberman cependant, est encore plus tordu. Le ministre israélien de la Défense envisage d’attribuer des codes de couleur aux communautés palestiniennes en Cisjordanie occupée, en les divisant entre vert et rouge, où le vert représentent « les bons » et le rouge « les mauvais ». Les premiers seraient récompensés pour leur bon comportement, tandis que les second subiraient des punitions collectives, même si un seul membre de d’une des communautés a osé résister à l’armée d’occupation israélienne.

Une version de ce plan a été expérimentée il y a près de 40 ans, mais c’était un échec complet. Le fait que cette idée effroyable resurgisse au 21e siècle sans être accompagné d’un tollé international, est proprement déconcertant.

Les codes de couleur de Lieberman seront accompagnés d’une campagne visant à ressusciter les « Ligues de Village », une autre expérience ratée des Israéliens pour imposer une direction « alternative » en ” engageant ” des notables palestiniens, et non pas des dirigeants démocratiquement élus.

Sinistre réminiscence des Ligues de village

La solution de Lieberman est de fabriquer de toutes pièces un leadership, qui, comme les Ligues de Village des années 1970 et 80, sera très certainement et très largement considéré comme une clique de collaborateurs et de traîtres par la société palestinienne.

Mais qu’étaient exactement ces Ligues de Village ? Et cela devrait-il fonctionner cette fois-ci?

En octobre 1978, les maires palestiniens élus, rejoints par les conseillers municipaux et les différentes institutions nationalistes, ont lancé une campagne de mobilisation de masse sous l’égide du Comité national palestinien, dont le principal objectif était de contester le traité de Camp David – signé entre l’Égypte et Israël – et ses conséquences politiques marginalisant les Palestiniens.

A l’époque, ce mouvement était le réseau le plus élaboré et plus unificateur pour les Palestiniens jamais mis en place dans les territoires occupés. La répression israélienne s’est immédiatement abattue sur les maires, les dirigeants syndicaux et nationalistes de diverses institutions professionnelles.

La réponse nationale mettait l’accent sur l’unité des Palestiniens, de Jérusalem à la Cisjordanie et Gaza, entre les chrétiens et les musulmans, et entre les Palestiniens en Palestine et dans la shattat, ou Diaspora.

La réponse israélienne était tout aussi déterminée. À partir du 2 juillet 1980, une campagne d’assassinat a été lancée par l’occupant contre les maires démocratiquement élus.

Malgré cela, Camp David et les tentatives d’élimination les dirigeants nationalistes dans les territoires occupés, la violence accrue des extrémistes juifs en Cisjordanie, ont eu pour seul résultat des manifestations de masse, des grèves générales et des affrontements violents entre jeunes Palestiniens et les forces israéliennes d’occupation.

Le gouvernement israélien décida d’invalider les maires élus de Cisjordanie, peu de temps après avoir établi en novembre 1981 une « administration civile » gérant les territoires occupés pour le compte de l’armée d’occupation. Cette administration militaire visait à marginaliser toute direction palestinienne vraiment représentative et à renforcer l’occupation. Une fois de plus, les Palestiniens ont répondu par la grève générale et la mobilisation de masse.

L’occupant a toujours voulu un leadership palestinien à sa botte

Israël s’activait de son mieux pour construire une direction alternative pour les Palestiniens. Ces efforts ont abouti en 1978, quand il a créé les Ligues de Village, donnant à ses membres des pouvoirs relativement larges, y compris approuver ou refuser des projets de développement dans les territoires occupés. Ils étaient armés et disposaient en plus d’une protection militaire israélienne.

Mais cela aussi a été voué à l’échec, et les membres des Ligues ont été largement considérés comme des collaborateurs par les communautés palestiniennes.

Quelques années plus tard, Israël a reconnu le caractère factice de sa création, et que les Palestiniens ne pouvaient être mobilisés pour reprendre à leur compte la vision israélienne d’une occupation militaire permanente et d’une autonomie fictive.

En mars 1984, le gouvernement israélien a décidé de dissoudre les Ligues de Village.

On imagine mal que Lieberman soit un étudiant assidu de l’histoire, mais qu’espère-t-il réaliser avec ce stratagème ?

Les élections municipales de 1976 ont galvanisé les énergies des Palestiniens pour parvenir à l’unité. Ils se sont rassemblés autour d’idées communes et ont trouvé une plate-forme d’unification dans l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Aujourd’hui, la discorde entre Palestiniens est indubitable. La lutte qui dure depuis des années entre le Fatah et le Hamas a fondamentalement modifié le discours nationaliste sur la Palestine, le transformant en une forme de tribalisme politique.

Division entre Palestiniens

La Cisjordanie et la bande de Gaza sont divisées non seulement géographiquement, mais aussi bien géopolitiquement. Le Fatah, déjà engagé dans plus d’une bagarre interne, laisse apparaître de nouvelles fractures entre les partisans de son chef vieillissant actuel, Mahmoud Abbas, et le distant mais cependant omniprésent Mohammed Dahlan.

Plus dangereux que tout cela est que le système israélien de punition ou de récompenses a effectivement transformé les Palestiniens en différentes catégories : les très pauvres, vivant dans la bande de Gaza et la zone C en Cisjordanie [zone totalement contrôlée par l’occupant], et ceux relativement prospères, la plupart d’entre eux affiliés à l’Autorité palestinienne de Ramallah.

Du point de vue de Lieberman, l’occasion doit être mûre pour ressortir et ré-imposer les fameuses Ligues de village. Que cela fonctionne dans sa forme originale ou échoue ne fait aucune différence, puisque l’idée est de susciter de nouvelles divisions parmi les Palestiniens, de semer le chaos sur le plan social, provoquer de nouveaux conflits politiques et, peut-être, réactiver la brève guerre civile de Gaza de l’été 2007.

La communauté internationale devrait rejeter totalement ces plans archaïques et destructeurs, et forcer Israël à respecter le droit international, les droits de l’homme, et à respecter les choix démocratiques du peuple palestinien.

Ces gouvernements qui se sont imposés comme des « courtiers de la paix » et les gardiens du droit international doivent comprendre que Israël est trop bien qualifié pour allumer des incendies, mais jamais pour les éteindre. Et il ne faut pas lâcher la bride à Lieberman – le russe videur de boîte de nuit et devenu politicien puis ministre de la Défense – pour attribuer aux communautés palestiniennes des codes de couleur, les récompensant et punissant comme bon lui semble.

Un bref retour sur l’histoire nous dit que les tactiques de Lieberman vont droit dans le mur… Mais la question est cependant, à quel prix ?

A1 * Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.

8 septembre 2016 – Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah