Par Hassina Mechaï
Il travaille aussi comme traducteur avec les délégations et journaliste français à Gaza.
Né durant la première Intifada, il dit n’avoir jamais rien connu d’autre que la colonisation puis le blocus de Gaza. Iyad Alasttal se considère pourtant comme chanceux. Si sa famille n’a jamais quitté la Palestine, lui a pu en sortir grâce à l’aide de l’ONG Corsica Palestina qui l’a aidé à obtenir une bourse universitaire pour venir en Corse afin d’étudier le cinéma à l’âge de 24 ans.
De ce séjour, il garde un français impeccable et une vision aiguë de l’importance des récits et des narrations dans toute lutte politique.
De cette passion pour l’image et le son, Iyad Alasttal en a donc fait le moyen pour aider son peuple, Gaza et plus largement la cause palestinienne. « Pour un gazaoui, voyager, sortir seulement du territoire n’est pas facile. En Corse, j’ai travaillé sur un court documentaire portant sur un pêcheur corse. Le cinéma est un passeport pour moi, pour voyager mais aussi et surtout pour montrer la situation de Gaza, de la Cisjordanie. C’est un moyen pour moi d’être utile à mon peuple. Je considère que chaque palestinien peut aider à cette lutte, par son travail, sa façon de vivre, son témoignage » explique-t-il à MEMO, alors que de passage à Paris, il vient de tenir une série de réunions publiques pour montrer son travail mais surtout le quotidien de Gaza et de ses habitants.
Iyad Alasttal a d’abord réalisé deux documentaires remarqués. Le premier suivait le quotidien d’une femme, Salouah, qui conduit un bus scolaire à Gaza. « Je voulais aussi montrer une autre image de la femme palestinienne. Salouah, le personnage de ce document, est indépendante, pleine de vie, et elle parle d’égal à égal avec les hommes ». Au-delà de Salouah, c’est aussi Gaza qui défile, les enfants qui vont à l’école en uniformes scolaires, le quotidien malgré tout : malgré le blocus, malgré les conditions économiques de vie, malgré les bombardements israéliens.
Le second documentaire réalisé par Iyad Alasttal a été consacré, -et dédié-, à Razan El Najjar, cette jeune infirmière tuée par un sniper israélien le 1er juin 2018, alors qu’elle portait secours à un blessé lors des marches du retour.
Razan El Najjar avait été mortellement blessée à la poitrine alors qu’elle tentait d’aider à évacuer des blessés palestiniens manifestant près de la clôture de la frontière entre Gaza et Israël. Le lendemain, ses obsèques avaient réuni plusieurs milliers de personnes.
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Une enquête préliminaire israélienne avait affirmé que « aucun tir n’a visé délibérément ou directement » la jeune femme tout en interrogeant la réalité de sa fonction d’infirmière bénévole. Pourtant, les Nations unies à New York avait publié un communiqué pour exprimer leur inquiétude au sujet de ce meurtre, estimant que Razan al-Najar était alors « clairement identifiée comme membre du personnel médical » par son gilet portant le signe du Croissant rouge.
Iyad Alasttal a alors décidé de filmer les parents de la jeune infirmière tuée à l’âge de 22 ans ; « Chaque vendredi, il y avait des blessés et des morts. Je passais les informations à des ONG pour faire savoir la situation sur place. Avec cet assassinat, il fallait faire plus. J’ai décidé de faire ce documentaire sur Razan et j’ai démarré le tournage un mois après sa mort. J’ai contacté l’UJFP qui a décidé de s’associer à l’AFPS et Le Temps de la Palestine pour lancer une souscription. Je ne la connaissais pas avant mais j’ai découvert qui elle était après sa mort. Elle a été visée délibérément. La moitié droit de son corps a été entièrement détruit par des une balle explosive. L’armée israélienne a pris le prétexte qu’elle avait un sac à dos et qu’elle s’était approché d’un blessé. Razan était civile, bénévole, elle portait des signes distinctifs du PMRS sur elle (sa veste et son badge). Le tireur d’élite israélien les voyait clairement dans sa lunette de visée. Elle était protégée par des conventions internationales. Si je n’avais pas fait ce documentaire, ça aurait été pour moi comme être complice de ce crime » explique-t-il.
Les parents de la jeune infirmière ont accepté de témoigner et d’accompagner Iyad Alasttal pour présenter le documentaire à l’étranger.
Depuis mars dernier, c’est un autre projet qui occupe Iyad Alasttal : Gaza stories. Gaza Stories est un projet multimédia palestinien en français et en anglais, qui veut montrer au reste du monde la résilience des Palestiniens de Gaza et comment ils arrivent à vivre au quotidien.
Depuis le 30 mars 2019 plus de 50 films ont été réalisés et diffusés via les réseaux sociaux et les nombreux soutiens. Constituée autour d’Iyad Alasttal, une équipe de cinéastes et journalistes gazaouis qui réalisent des films, reportages, documentaires et informations filmées sur la vie quotidienne et les questions politiques, économiques, sociales, associatives, artistiques et culturelles.
« Aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux, l’information passe très vite, mais aussi la désinformation ou les fake-news. Notre mission est de donner à voir des points de vue des Palestiniens de Gaza » détaille Iyad Alasttal.
Gaza Stories propose donc une histoire hebdomadaire, généralement chaque vendredi. Une banque d’images est aussi disponible pour tous les médias qui souhaiteraient travailler sur Gaza et sa situation. « Nous pouvons fournir des images aux médias. Notre objectif est de lier des partenariats avec les médias étrangers. On a contacté des médias pour leur proposer une collaboration. Nous avons sur place toutes le compétences humaines et techniques pour faire un excellent travail ».
A travers ce projet, on découvre le quotidien de Gaza. Rana par exemple, jeune palestinienne, qui, dans la cour de la maison familiale, sculpte d’immenses statues éphémères. Son frère a été blessé durant les marches de la terre et c’est pour exorciser cette douleur que Rana a choisi ce moyen d’expression.
Dans une autre histoire, les gens se pressent pour faire les derniers achats de l’Aïd el-Fitr.
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Puis il y a l’histoire de Saïd et de son refuge pour animaux abandonnés. Ibrahim en habit traditionnel du mesaharati ou conteur qui parcoure Gaza la nuit avec son tambourin. Oum Hani qui nous explique comment réaliser des atayefs puis nous livre sa recette du kaak. Des rires et des jeux d’enfants dans un parc d’attraction. La riche histoire de Gaza que Waled conserve et protège dans son petit musée. Une nouvelle recette, le poulet mandi. Des petits riens de la vie quotidienne qui font mémoire d’une vie, société et culture vivantes.
« Gaza Stories est né du désir de montrer l’autre visage de Gaza. Tout le monde pense que ce territoire est comme Tora Bora, destruction et ruines. Mais c’est surtout 2 millions d’habitants qui vivent, travaillent, font, agissent. Je voulais montrer la vie quotidienne. J’essaie de varier les sujets pour montrer la vie d’un peuple, des histoires singulières. L’idée est née de discussions avec des militants français. J’ai construit le projet, cherché le matériel nécessaire, et nous avons lancé une cagnotte qui nous a bien aidé. Je travaille avec une équipe qui évolue. Je cherche des collaborateurs qui comprennent la dimension militante du projet. Ce peut être compliqué de filmer à Gaza ; obtenir les autorisations nécessaires, que les gens acceptent d’être suivis et filmer. Qu’ils soient à l’aise devant la caméra. C’est tout un travail. Ce sont surtout les autorisations pour filmer qui peuvent être compliquées à obtenir » détaille Iyad Alasttal.
Toute la force de Gaza stories est de réussir à faire oublier la caméra. On voit aussi une petite fille folle d’équitation et qui devant sa fenêtre observe simplement qu’elle s’est habituée aux vrombissements des drones israéliens « Les drones israéliens ne quittent jamais le ciel de Gaza. C’est une prison à ciel fermé. Le ciel est entièrement contrôlé par l’armée israélienne » explique Iyad. Il y a aussi ces vidéos d’amputés, handicapés, rescapés des marches de la terre. Un quotidien de résilience et de combat qui prend la forme pour eux de continuer à faire du sport malgré le handicap.
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Pour le moment, les Gaza stories sont seulement traduites en français, « Mon but est de faire Gaza stories en anglais et en français. Mais en langue française, il y a un manque d’images sur Gaza, cela équilibre en un sens ».
Mais Gaza stories en normalisant la vie quotidienne à Gaza n’entretient-il pas l’idée qu’au fond la vie à Gaza est supportable, voire simple ? Iyad Alasttal a conscience de cet écueil. « Il y a Gaza côté souffrance mais aussi il faut se rappeler qu’il y a Gaza avec de la vie. Ce sont deux réalités. Le monde entier a une vision sombre de la Palestine. S’il voit la souffrance en Cisjordanie, celle de Gaza est décuplée. Mais il y a aussi une résistance. Exister c’est résister. C’est ce que font les palestiniens. Tout est acte de résistance, le quotidien et les gestes de vie ».
Peut-être est-ce pour cela que certaines vidéos de Gaza stories s’attachent à retracer la mémoire, l’histoire et les traces de la présence palestinienne. Que ce soit à travers le savoir-faire artistiques ou les musées, toute une vigueur et vitalité d’une société menacée de sociocide et est ainsi rappelée par le réalisateur. « J’ai fait plusieurs vidéos qui montrent l’importance à l’histoire. Des gazaouis qui retracent l’histoire de la présence palestinienne sur cette terre. Si on observe la politique israélienne, ils essaient de confisquer la culture palestinienne, voire moyen-orientale : nourriture, musique, symboles. C’est une grande bataille culturelle et économique qui se joue aussi. Voilà pourquoi j’ai par exemple filmé cette dame palestinienne qui faisait des gâteaux traditionnels. Chacun se fait le gardien d’une mémoire qu’il garde vivante ».
Iyad Alasttal en est certain, les Palestiniens continueront leur lutte, « Israël croit qu’avec le temps les palestiniens vont oublier et se résigner ; mais c’est le contraire qui arrive. La lutte et la résistance se renforcent. Au regard de l’histoire, d’autres régimes sont tombés, mur de Berlin, l’Algérie coloniale, l’Apartheid sud-africain. Les palestiniens sont un peuple très éduqué et qui a le sens de l’histoire » explique-t-il.
Auteur : Hassina Mechaï
* Hassina Mechaï est une journaliste franco-algérienne qui vit à Paris. Diplômée en droit et relations internationales, elle est spécialisée dans l’Afrique et le Moyen-Orient. Ses sujets de réflexion sont la gouvernance mondiale, la société civile et l’opinion publique, le soft power médiatique et culturel. Elle a travaillé pour divers médias français, africains et arabes, dont Le Point, RFI, Afrique magazine, Africa 24, Al Qarra et Respect magazine.Son compte Twitter.
24 novembre 2019 – Middle East Monitor – Communiqué par l’auteure