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Mohammed Mehsen, 15 ans, dans le camp de réfugiés de Jabaliya - 4 février 2025 - Photo : Abubaker Abed
Par Abubaker Abed
Je n’avais pas vu le nord de Gaza depuis 15 mois : des gravats et de la poussière, c’est tout ce qui reste.
La destruction du nord de Gaza dépasse l’imagination. Dimanche, j’ai quitté ma maison, située à Deir al-Balah, pour aller à la ville de Gaza, c’était la première fois que je me rendais au nord après 15 mois de génocide israélien. Le trajet de trois heures et de 16 kilomètres a été difficile, au milieu des débris et de la poussière – il n’y a plus rien d’autre.
Chaque pâté de maisons semble avoir été frappé par plusieurs tremblements de terre puissants.
L’ampleur de la catastrophe m’a physiquement affecté. Aucun bâtiment n’a été épargné par l’agression israélienne. J’étais accablé. Mes yeux piquaient à cause de la poussière qui imprégnait l’air. À divers endroits, des clôtures métalliques et des fils barbelés entouraient des remparts de sable où l’armée israélienne avait établi des points de contrôle.
J’ai escaladé des collines de décombres et j’ai pris soin d’éviter ce qui ressemblait à des munitions non explosées.
Lorsque je suis finalement arrivé dans la ville de Gaza, dans le quartier de Sheikh Ejleen, près de la route côtière, mes cheveux et mes sourcils étaient gris de poussière.
Devant moi, il n’y avait que des tas de morceaux de béton. Les gens fouillaient les décombres, à la recherche de tout ce qu’ils pouvaient trouver.
Les bâtiments pittoresques et les cafés du littoral où j’avais l’habitude de me rendre n’existent plus, ils ont tout simplement disparu. L’université Al-Aqsa, où j’aurais dû obtenir mon diplôme en 2024, est en ruines. Il ne restait que des livres déchirés et des chaises cassées.
Les bâtiments encore debout étaient brûlés, partiellement détruits, au bord de l’effondrement. Il n’y avait plus de lumière nulle part.
En traversant les quartiers dévastés de Tal al-Hawa et d’al-Remal, mon cœur battait fort dans ma poitrine ; j’avais peur de ce que j’allais découvrir au fur et à mesure que j’avançais. Mais lorsque je suis arrivée à l’entrée du camp de réfugiés de Jabaliya, mon cœur s’est arrêté.
Pendant que les gens essayaient de rentrer dans leurs maisons, les forces israéliennes brûlaient tout ce qui se trouvait autour. Les piles de décombres étaient comme des montagnes qui nous bloquaient la vue. L’horizon était assombri par des nuages de fumée noire provenant des incendies que les troupes israéliennes allumaient avant de se retirer.
La ville où vivaient, depuis 80 ans, des centaines de milliers de réfugiés palestiniens devrait être rebaptisé « ville des décombres ». C’est à cela qu’elle a été réduite. Une bombe nucléaire larguée sur le camp n’aurait pas causé autant de dégâts.
J’ai dû m’asseoir pour reprendre mes esprits. Les gens montaient des tentes sur les ruines de leurs maisons. Des enfants se promenaient, l’air triste et hagard. Des femmes vêtues de vêtements en lambeaux marchaient, parcourant de longues distances à travers les débris pour amener de l’eau depuis des quartiers éloignés de Jabaliya.
À Jabaliya, j’ai parlé à trois enfants dont les maisons avaient été rasées : Mohammed Mehsen, 15 ans, Rateb al-Helou, 12 ans, et Raed Abu-Hussein, 6 ans.
Mohammed et les sept membres de sa famille ont été déplacés de force à de multiples reprises, allant d’un endroit à l’autre dans le nord et toujours en proie à la faim. Son oncle et de nombreux autres membres de sa famille ont été tués et son frère a été blessé à deux reprises. À leur retour au camp de réfugiés de Jabaliya, ils ont trouvé leur maison détruite.
« Au cours des 15 derniers mois, nous n’avons pas pu vivre à proprement parler…. Notre soi-disant vie se résumait à transporter de l’eau et à courir vers les centres de distribution de nourriture. Nous manquions de tout et tout demandait beaucoup d’efforts », m’a dit Mohammed, étouffé par le chagrin.
« Rien n’a changé depuis notre retour, car nous avons retrouvé des tas de décombres. C’est une ville de fantômes, une ville de décombres qui ne peut même pas abriter des animaux ».
« Lorsque j’ai vu pour la première fois ma maison en ruines, mon cœur s’est arrêté. L’élan de joie qui m’avait envahi lorsque le cessez-le-feu est entré en vigueur s’est évanoui », a-t-il ajouté. « Je vis maintenant dans une tente, dans la rue, sans eau, ni nourriture. La seule chose que nous mangeons, ce sont des morceaux de pain ou des conserves ».
Il doit marcher deux kilomètres pour avoir accès à l’eau. « On peut faire deux kilomètres ici, sans trouver un seul bâtiment debout », ajoute-t-il.
« Mon seul espoir est que Jabaliya soit reconstruite et que j’aie une maison, au lieu d’une tente pleine de moustiques et de mouches, et des vêtements et des couvertures. En fait, je n’ai pas eu d’enfance. Notre vie est une suite de souffrances, un vrai cauchemar; nous subissons, année après année, toutes sortes d’attaques barbares et de bombardements inhumains, nous n’avons connu que le fracas et la fureur des armes israéliennes », a-t-il dit.
« J’avais vraiment beaucoup de rêves. C’étaient des rêves simples, comme jouer au football ou étudier à l’école. Mais ils se sont tous évaporés, et il ne m’en reste qu’un seul : déblayer les décombres et reconstruire ».
Rateb et sa famille ont refusé de quitter le nord de la bande de Gaza, mais ils ont été déplacés de leur maison de Jabaliya au moins quatre fois.
« Notre vie est épouvantable », a déclaré Rateb, 12 ans. « Nous nous abritons maintenant sous des morceaux de tentes, notre vie n’a aucun sens. Je suis triste de voir la maison de ma famille, celle de mes oncles et celle de mes voisins, toutes démolies. Je fais encore des cauchemars sur les deux fois où les forces israéliennes nous ont encerclés et attaqués férocement. À cette époque, nous vivions en permanence dans l’angoisse d’être tués. Notre vie n’était qu’agonie et panique. Je ne sais pas comment nous avons fait pour survivre ici, la mort nous menaçait à chaque instant. Le moment le plus difficile que j’ai vécu pendant la guerre a été la mort de mes deux oncles. »
« Nous vivons toujours dans des conditions atroces. Ce qui est différent, c’est que notre tente se trouve maintenant sur les décombres de notre maison. Cela fait deux semaines que nous déblayons les décombres et nous n’avons pas fini. Nous savons que les ruines peuvent s’effondrer à tout moment, mais nous n’avons pas le choix, nous n’avons pas d’autre solution », a-t-il déclaré.
« Je sais qu’ils m’ont tout volé : ma maison, mon école, les membres de ma famille et mon enfance. Mais j’espère encore que les choses s’améliorent. En fait, je n’ai besoin de rien d’autre que de reconstruire ma maison et Gaza. Je ne veux rien de plus. On m’a empêché d’étudier, de manger et d’acheter des vêtements. Mon dernier espoir est d’avoir une vie meilleure très bientôt dans ma maison nouvellement reconstruite, et j’espère que le monde m’aidera à rendre cela possible ».
Raed, qui n’a que 6 ans, est lui aussi resté avec ses parents et ses cinq frères dans le nord de Gaza. Comme toutes les personnes que j’ai rencontrées, leur maison a été réduite à l’état de ruines.
« Tout ce que je vois, ce sont des destructions et des décombres, rien d’autre. C’est très dur pour moi. Mes jambes me font mal à cause du froid la nuit et des longues marches pour aller chercher de l’eau et de la nourriture. Nous n’avons pas de vie ici, nous avons échoué dans une tente sur ce qui était notre maison », a déclaré Raed.
« Pendant toute cette guerre, je n’avais qu’un seul souhait, que mon quartier ne soit pas détruit et que mes oncles ne soient pas tués. Mais je n’ai pas été exaucé. Je ne sais même plus où se trouve mon quartier. Maintenant, je voudrais retourner à l’école et voir Gaza se remettre debout. Je veux être comme n’importe quel autre enfant dans le monde, étudier et manger à ma faim, et pas toujours la même chose ».
Je suis toujours dans le nord de Gaza, je dors dans les décombres de la maison d’un de mes amis. La pluie est torrentielle et menace de nous submerger à tout moment. Les drones israéliens bourdonnent au-dessus de nos têtes. Le cauchemar n’est pas terminé. J’aurais grand besoin d’une tasse d’eau potable et d’une assiette avec de quoi manger.
Mais il faut que Donald Trump sache que, en dépit du calvaire que nous vivons, je préfère être ici que dans n’importe quel château n’importe où dans le monde.
Auteur : Abubaker Abed
* Abubaker Abed est un correspondant de guerre par circonstance à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza. Il a été projeté dans une zone de guerre active pour rendre compte du génocide. Il est journaliste et commentateur de football.
5 février 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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