« Jénine dans le viseur », un film d’Ehab Ghafri

7 janvier 2024 - Des personnes en deuil font leurs adieux à six Palestiniens tués par une attaque de drone israélien dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Depuis le 7 octobre, Israël a intensifié ses attaques dans toute la Cisjordanie, tuant au moins 332 personnes et en blessant des milliers d'autres - Photo : Wahaj Bani Moufleh / Activestills

Par Vivian Petit

En 2002, Ehab Ghafri avait quatorze ans lors de l’invasion du camp de réfugiés de Jénine, situé au nord de la Cisjordanie. L’armée israélienne en avait pris le contrôle, jusqu’à raser au bulldozer l’un des quartiers du camp. Parmi ses souvenirs d’adolescence, Ehab Ghafri mentionne le fait d’avoir ramassé les restes de corps qui jonchaient les rues.

L’homme est aujourd’hui psychologue et il traite les traumatismes engendrés par l’occupation. Il est aussi artiste de rue, metteur en scène au théâtre et cinéaste.

Puisqu’il considère que la Palestine représentée par le cinéma palestinien de fiction est celle imaginée par les Occidentaux qui financent les productions, le réalisateur a préféré se tourner vers le documentaire.

Son film Jénine dans le viseur, présenté lors d’une tournée européenne de deux mois qui vient de s’achever, constitue son premier long métrage. Les bénéfices générés sont aujourd’hui reversés aux secouristes et aux travailleurs sociaux de Jénine pour permettre la réparation des ambulances criblées de balles, le financement de la crèche du camp ou la distribution de paniers aux réfugiés.

Le film, indépendant des sociétés de production, réalisé avec un budget modeste, constitue la version courte de Jenin from start to now, dont deux des trois épisodes sont déjà montés et visibles sur youtube.

« Jénine, Jénine » : la vérité, rien que la vérité

Pendant deux ans, Ehab Ghafri a filmé le camp de Jénine, où 16 000 habitants sont concentrés en un kilomètre carré. En ouverture du documentaire, nous apprenons que le cimetière déborde, et que 90% des tombes sont celles de personnes tuées par l’armée israélienne.

Après le 7 octobre 2023, une annexe au cimetière a dû être aménagée. Shobash Shobsh, un adolescent, s’y rend quotidiennement pour rendre hommage à l’un de ses amis. Quant au corps de Janeel Al-Omari, l’un des fondateurs de la Brigade de Jénine, tué en 2022, il est toujours détenu par Israël.

Interviewé par le réalisateur, Mahmoud Abuhallah, vieux militant du camp, écarte les analyses strictement idéologiques ou religieuses autant que la géopolitique de comptoir pour expliquer l’engagement des jeunes dans l’un des groupes armés, tous fédérés au sein de la Brigade de la ville.

La résistance est essentiellement une réponse à l’oppression et à l’humiliation engendrées par l’occupation.

Jénine dans le viseur comporte pourtant peu d’image de combattants. On aperçoit les posters en mémoire des martyrs, puis une fresque à la gloire des figures de la résistance, surnommée la Cène par les habitants du camp.

Le reste du temps, des interviews ou des images de la vie civile nous font comprendre que c’est la vie dans son ensemble qui est prise pour cible par l’armée israélienne.

À Jénine, dans les six mois qui ont suivi le 7 octobre 2023, 32 incursions militaires ont déclenché la destruction totale de 65 logements, et la démolition partielle de 850 maisons.

Les canalisations et les infrastructures d’accès à l’électricité sont fréquemment détruites par les bulldozers, laissant 16 000 personnes sans eau ni électricité.

Les menaces contre l’UNRWA (l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens) et la réduction de l’aide internationale apportée au camp sont aussi évoquées. Entretemps, une large majorité des députés israéliens a voté l’interdiction des activités de l’agence, censée entrer en vigueur le 31 janvier prochain.

Aujourd’hui, la Brigade de Jénine semble provisoirement défaite.

Non loin de là, il en est de même des Lions de Tulkarem, qui se proclament solidaires de toutes les brigades existantes tout en refusant la tutelle d’une quelconque organisation politique. Ses membres sont soit emprisonnés soit tués.

À Tulkarem comme à Jénine, une part d’entre eux a été abattue par les services de l’Autorité palestinienne, dans le cadre de la « coopération sécuritaire » avec l’occupant.

Malgré l’intensification de la colonisation et du massacre en cours, l’Autorité palestinienne, dépendante des financements européens, poursuit sa collaboration avec l’occupant sous prétexte d’un engagement signé avec l’Union Européenne en 2008 l’engageant à lutter « contre le terrorisme international ».

La version de Jénine dans le viseur récemment diffusée en France s’achève sur les noms des 165 personnes tuées à Jénine depuis octobre 2023. Six autres Palestiniens y ont été abattus depuis.

27 novembre 2024 – Transmis par l’auteur

Soyez le premier à commenter

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.