Ces paroles – prononcées par un participant aux Jeux olympiques qui a voulu manifester un geste de soutien au peuple palestinien – sont une réponse cinglante à l’accusation d’antisémitisme qui est systématiquement lancée aux militants partisans de la justice.
La distinction nécessaire faite entre le « peuple juif » et l’État d’Israël est celle qu’Israël lui-même cherche à effacer, car il veut détourner toute critique de ses politiques, rejetant la faute sur une prétendue haine anti-juive. En tant que tel, ces mots ne représentent pas en eux-mêmes un bouleversement, mais une nouvelle approche de la solidarité. Pourtant, au moment même où le judoka égyptien Islam El-Shehaby les prononçaient la semaine dernière au Brésil, une nouvelle étape était franchie : le boycott sportif s’était invité au sein des Jeux Olympiques de 2016.
“Serrer la main de votre adversaire n’est pas une obligation écrite dans les règles de judo. Cela se fait entre amis et il n’est pas mon ami,” a expliqué El Shehaby, après que son acte de solidarité ait entraîné son renvoi des jeux, pour “manque d’esprit sportif.”
Un jour avant le refus de El-Shehaby de serrer la main de l’athlète olympique israélien contre qui il devait se mesurer, un autre judoka, la saoudienne Joud Fahmy, s’était retirée de la compétition afin de ne pas avoir à affronter un athlète israélien, dut-elle gagner et parvenir ainsi au round suivant.
Refus de toute normalisation avec l’occupant
Deux jours plus tôt, l’équipe libanaise avait refusé de laisser les athlètes israéliens monter dans le même bus qui les avaient ramassés en premier, en route pour la cérémonie d’ouverture. Les athlètes libanais ont obstinément bloqué la porte, ce qui a empêché les Israéliens de pénétrer dans le bus. Suite à cela, le Comité international olympique a dû envoyer un bus spécial pour les Israéliens.
Alors que les Jeux Olympiques sont sans aucun doute une compétition sportive, ils sont aussi et à un degré équivalant, une question nationale pour les pays qui envoient leurs athlètes aux jeux. A la fin de chaque journée comme ensuite à la fin des jeux, nous avons un compte détaillé des médailles par pays. Bien qu’il nous soit dit que les Jeux ne sont rien de plus que des nations qui se réunissent, c’est en réalité tout autre chose pour les pays qui s’opposent les uns aux autres.
Quand un athlète est en compétition, le nom et le drapeau de son pays sont affichés, aussi visibles que son propre nom. L’hymne national du vainqueur est joué au cours de la cérémonie de remise des médailles, et tous sont supposés montrer leur respect pour ce pays. Il n’est pas surprenant que la formidable médaillée d’or Gabby Douglas ait été clouée au pilori par ses compatriotes pour son refus de porter sa main au coeur pendant l’hymne national américain (même si elle était par ailleurs très respectueuse dans son attitude), et l’une des images politiques les plus emblématiques dans l’histoire des Jeux olympiques restera celle des poings levés en symbole du Black Power par Tommie Smith et John Carlos aux Jeux olympiques de 1968 à Mexico.
Bien évidemment que le fait que les athlètes libanais, égyptiens et saoudiens snobent les membres de la délégation israélienne est un acte politique ! Et bien sûr, Israël se plaint que ces athlètes “exportent dans les jeux de Rio les conflits de leurs pays respectifs avec Israël.”
Des actes de refus en accord avec l’appel du BDS
Les actions de ces athlètes sont en accord avec l’appel palestinien pour la solidarité mondiale, sous la forme de la campagne BDS, dont fait partie le boycott sportif d’Israël. Un boycott sportif est un geste individuel avec les plus grandes conséquences négatives pour la personne qui l’exerce, et ces athlètes vont probablement être interdits de toute compétition. Pourtant, les athlètes arabes qui ont refusé la normalisation avec les Israéliens ont été critiqués comme s’ils avaient violé “l’étiquette” et “l’esprit olympique.” Ce qui conduit à se demander si ce n’est pas encore un cas où l’exceptionnalisme israélien s’impose et où cet État raciste et violent est laissé totalement impuni, sans aucune responsabilité pour ses agressions contre les athlètes palestiniens ?
Au cours des dernières années, Israël a empêché les responsables et athlètes olympiques palestiniens de quitter leur pays. Il a restreint leur liberté de mouvement, rendant pratiquement impossible la pratique de leur discipline dans des installations adéquates, et il a été jusqu’à blesser aux jambes des joueurs de football palestiniens.
Où était la critique lorsque ces crimes ont été commis ? Il y a deux ans, une campagne internationale pour exclure Israël de la FIFA, en raison de ses violations des droits de l’homme, avait échoué à faire pression sur l’organisation internationale pour qu’elle censure ce pays.
Si aucune organisation officielle n’est prête à tenir Israël pour responsable, les individus peuvent alors s’en charger. La rebuffade par certains athlètes de la délégation israélienne est un geste noble dans ce qui est une arène politique, et il nous incombe d’apprécier ce geste pour ce qu’il est : un refus de la normalisation avec un pays qui bombarde les jeunes garçons jouant sur la plage, qui empêche les jeunes nageurs de profiter d’une piscine et qui interdit aux espoirs olympiques à Gaza de s’entraîner et se réunir avec leurs compatriotes en Cisjordanie. Nous pouvons alors sûrement apprécier l’exquise ironie des bus séparés dans le village olympique pour la délégation d’un pays qui construit des routes réservées à ses citoyens juifs pour les transporter vers leurs colonies juives dans des territoires illégalement occupés.
Menaces de l’UEFA
Alors que les athlètes olympiques étaient en compétition à Rio, un autre événement a parcouru la moitié du globe avec un message politique aussi clair : nous n’avons cure de « civilités » envers un état d’Apartheid. A Glasgow, en Écosse, les fans du Celtic FC écossais avaient organisé un événement baptisé “Fly the Flag for Palestine, for Celtic, for Justice,” lors d’un match contre l’équipe israélienne Hapoel Beer Sheva. La page Facebook de l’événement est claire sur sa perception de la réalité politique d’Israël, et les organisateurs expliquent que le déploiement des drapeaux permettra “d’invoquer nos droits démocratiques à afficher notre opposition à l’apartheid israélien, au colonialisme et aux innombrables massacres commis contre le peuple palestinien.”
Les supporters avaient été avertis par l’UEFA qu’ils pourraient faire face à des amendes ou à la fermeture d’une partie de leur stade s’ils brandissaient le drapeau palestinien. Mais, comme John Wight l’a écrit: « les supporters celtiques sont généralement parmi les plus politiquement conscients dans la société. Pour eux le Celtic FC est plus qu’un club de football… c’est une institution politique et sociale, celle qui a toujours défendu et doit continuer à défendre la justice face à l’injustice, au racisme, à l’oppression et contre l’Apartheid, quelque soit le lieu et le moment où il apparaît”.
Le rejet du colonialisme et du racisme
Partout dans le monde, le drapeau, palestinien – comme le kuffiyeh – a pris une dimension au-delà du nationalisme pour symboliser une politique progressiste, un mouvement collectif contre la violence étatique et contre le colonialisme. Et alors que la partie commençait, des drapeaux palestiniens sont apparus partout dans les travées. Une mer de drapeaux palestiniens a accueilli l’équipe israélienne, au mépris des règles de l’UEFA et avec le risque pour le Celtic FC d’être pénalisé. Oui, tous ces drapeaux étaient sans aucun doute une expression de solidarité avec le peuple palestinien. Mais c’était aussi un rejet du système qui sous-tend l’oppression du peuple palestinien, un rejet de l’apartheid, du colonialisme et du racisme.
Brandir des centaines de drapeaux palestiniens lors d’un match du Celtic FC a révélé une conscience collective de la discrimination, la marginalisation, la dépossession, et un rejet du discours sioniste. Chaque drapeau qui flottait dans ce stade privait Israël de la normalité et du vernis de sa « démocratie ». Et les médias du monde entier ont servi de caisse de résonance à ce geste collectif.
Au-delà du boycott des produits de consommation dans les épiceries, la campagne BDS a réussi à porter un coup majeur à l’image d’Israël. Les artistes continuent d’annuler des concerts programmés à Tel-Aviv, les associations universitaires votent pour boycotter les institutions israéliennes complices, les églises excluent de leurs portefeuilles d’actions les sociétés qui tirent profit des pratiques illégales d’Israël, et les événements récents en Écosse et aux Jeux olympiques de 2016 sont la façon propre aux athlètes de dire : aucune normalisation avec les représentants d’un État paria.
Avant que ces gestes ne soient transformés en incidents prétendument antisémites par la hasbara [propagande] sioniste, il incombe aux militants et organisateurs de la campagne BDS d’expliquer le contexte de la rebuffade, de ce défi, et du refus de faire bénéficier de « l’esprit sportif » un pays qui viole les droits fondamentaux de tout un peuple.
* Nada Elia est écrivain. Elle termine actuellement un ouvrage sur le militantisme dans la diaspora palestinienne.
21 août 2016 – MondoWeiss