Par Ylenia Gostoli
Al-Eizariya, Cisjordanie sous occupation – Cet été, Yara al-Sharabati, âgée de 18 ans, a été autorisée pour la première fois depuis 12 ans à être dans la même pièce que son père, lequel purge une peine d’emprisonnement à perpétuité dans une prison israélienne. Elle fut enfin autorisée à le serrer dans ses bras.
Ayman al-Sharabati – affilié aux Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, la branche armée du Fatah – a été arrêté en 1998 pour avoir mené une attaque à Jérusalem qui a tué un Israélien et en a blessé un autre.
Selon Addameer, le groupe de défense des prisonniers palestiniens, les prisonniers accusés par Israël d’avoir commis des infractions à la sécurité [des actions de résistance en ayant recours aux armes] font régulièrement face à l’isolement comme à de sévères restrictions sur les visites familiales, et sont jugés devant les tribunaux militaires. Pour traverser la Cisjordanie et le territoire israélien, les familles des prisonniers doivent demander un permis à l’Administration civile israélienne, un processus assisté par la Croix-Rouge.
La décision de cette organisation de réduire son programme de visites familiales a provoqué un tollé le mois dernier.
Actuellement, 7000 Palestiniens sont détenus dans des prisons israéliennes, dont 458 condamnés à perpétuité. Sept cents sont des détenus administratifs détenus sans inculpation ni jugement.
Yara al-Sharabati a raconté à Al Jazeera ce qui s’est déroulé le 10 juillet, le jour où elle a rencontré son père.
“Quand je suis entré par la porte, j’ai d’un coup réalisé que j’aurai la liberté de l’étreindre. J’ai soudainement eu envie de courir. J’ai donc couru vers lui, et il m’a pris contre lui et m’a serrée. Nous nous sommes étreints pendant près de quatre minutes.
Au début, mon père a dû expliquer aux gardes que ce n’était pas une visite régulière, mais une visite privée. C’est pourquoi notre temps a été très limité.
Puis deux gardes de sécurité, un homme et une femme, nous ont séparés. La gardienne m’a tirée à l’écart, et le garde a fait de même avec mon mon père. Ils ont dit : “Maintenant il est temps de prendre une photo de vous ensemble.” Puis les gardiens ont pris la photo, avec leur appareil, et décrété que la rencontre était terminée.
Il nous restait une minute avant la fin, mais ils ne nous ont concédé à peine quatre minutes ensemble.
Je n’ai pas eu la photo immédiatement. Je l’ai eue après un mois, lorsque les gens qui ont pu visiter mon père l’ont demandée à l’administration de la prison. C’est pourquoi je n’ai pu la publier sur Facebook qu’un mois plus tard.
C’était la deuxième fois que je pouvais embrasser mon père. La première fois, j’avais seulement six ans. J’ai 18 ans maintenant. Je suis née quand il était en prison. Mais quand j’avais six ans, je ne comprenais pas bien, je n’étais pas vraiment consciente que c’était mon papa que j’étais en train d’étreindre. En fait, c’est la première fois que j’avais pleinement conscience de ce que cela signifiait que de le serrer dans mes bras.
Il y a quatre ans, mon père a envoyé une demande au Service pénitentiaire israélien pour une visite privée avec moi. Il l’a déposée d’abord lorsqu’il était à la prison de Nafha, et elle a été rejetée. Il la présenta ensuite à Hadarim, et elle fut encore refusée. Dans la prison de Beer Saba, sa demande a également été rejetée, jusqu’à ce qu’il soit transféré à la prison de Gilboa où sa requête a enfin été acceptée.
Je ne l’avais pas vu depuis trois ans, parce que j’ai cessé d’obtenir des permis de visite. Je ne sais même pas maintenant quand on me donnera un autre permis pour le voir. Je n’en connais pas la raison. Ils disent qu’il y a une interdiction pour cause de sécurité…
Je me souviens quand nous étions petits. Le jour de la visite, on se réveillait à 5 heures du matin. Il était donc difficile pour ma mère de nous réveiller. Nous étions quatre enfants, tous petits.
Nous allions de notre maison à Eizariya [dans la banlieue de Jérusalem] à Bethléem, puis du poste de contrôle de Bethléem à Jérusalem, et de là à la prison où il était détenu.
Même si c’était fatigant et si nous avions posé beaucoup de problèmes à ma mère, au moment où nous regardions à travers le verre et commencions à parler à notre père, toute la fatigue toute la souffrance étaient alors oubliées. Notre journée commençait en général à 5 heures pour se terminer à 23 heures. Nous devions changer de bus, en plus de subir l’inspection au point de contrôle.
Nous lui parlions à travers une glace, mais le verre était très épais. Alors il commençait à nous parler par téléphone, mais la voix n’était pas si claire. Je me demande si sa voix n’était pas délibérément brouillée. Les appels téléphoniques n’étaient pas bons, pas très clairs non plus.
Il m’interrogeait sur l’école, sur ce que je voulais étudier quand je serais grande, et il m’encouragerait toujours à avoir bon moral. Il me demandait toujours de prendre soin de ma mère, de mes frères et sœurs. Il me parlait de la patrie, combien elle est précieuse. Il m’a dit de m’occuper des plantes dans notre jardin, de m’assurer que je les arrosait chaque jour, et de m’occuper de la maison.
Mon père écrivait des poèmes et des nouvelles quand il était en prison, et il me demandait de les lire et de lui faire mes commentaires. Il m’a encouragé à écrire, à lire et à étudier. Il m’a dit qu’étudier est la chose la plus importante et la clé de tout. Je suis maintenant dans ma première année à l’université, étudiant l’imagerie médicale. C’est ainsi que je vais aider ma nation et ma patrie.
Je me souviens qu’une fois, ma mère est allée à la prison d’Ashkelon pour lui rendre visite. Je me souviens qu’elle est rentrée à la maison très déprimée, et quand nous, les enfants, lui avons demandé ce qui se passait, elle n’a pas immédiatement répondu. Nous nous sommes rendus compte que c’était parce qu’elle n’avait pas pu le voir car il avait été transféré dans une autre prison.
La décision de la Croix-Rouge de réduire les visites familiales aux prisonniers ne nous touchera pas. Nous n’avons de toute façon pas de permis. Seule ma tante, la sœur de mon père, peut s’y rendre. Elle a plus de 55 ans, donc elle peut y aller sans permis. Sa belle-mère, qui considère mon père comme son propre fils, n’a pas pu le voir une seule fois en l’espace de 19 ans. Seuls les parents directs sont autorisés à lui rendre visite.
Alaa, mon frère aîné, est autorisé à le voir une fois par an, et il est venu deux fois de France où il étudie, spécialement pour le voir. Les personnes ayant des cartes d’identité de Cisjordanie doivent s’adresser à l’Administration civile israélienne et obtenir le permis par leur intermédiaire. Mais si le prisonnier est puni, alors ils refuseront ce permis à quiconque de sa famille, homme ou femme.
Ce n’était évidemment pas facile pour moi de grandir sans mon père. Je me suis toujours sentie différente des autres écoliers de mon âge qui avaient leur père auprès d’eux pour les emmener d’un endroit à l’autre.
Tous les soirs avant de me coucher, je sens qu’il n’est pas là. Je commence à regarder la photo que nous avons pris ensemble quand j’avais six ans, et maintenant cette nouvelle photo, pour bien me souvenir. Cela me donne une responsabilité supplémentaire, parce que je sens que j’ai toujours besoin de travailler encore plus pour réussir, lui donner du courage et le rendre fier.
Le vide causé par son absence a augmenté au fur et à mesure que je grandissais. Les enfants, quand ils sont trop jeunes, ne comprennent pas.
Mais je sens que je le connais parce que ma mère nous a toujours parlé de lui, de la façon dont il a sacrifié sa vie pour sa patrie. Et d’autres personnes qui le connaissaient aussi, mettent toujours l’accent sur le fait qu’il était un homme très respectueux, très attentionné et bon. Les gens me parlent toujours de lui.
Le jour où je l’ai rencontré, c’était son 48e anniversaire. Il a été emprisonné quand il avait 29 ans.
C’était juste une journée avant qu’ils publient les notes pour notre examen de fin d’année. Il m’a dit de ne pas être inquiète, que tout irait bien. Un jour après cette visite, les résultats étaient publiés. J’avais réussi.”
Auteur : Ylenia Gostoli
* Ylenia Gostoli est journaliste freelance basée à Jérusalem et ses articles sont régulièrement publiés sur al-JazeeraSon compte twitter.
13 septembre 2016 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah