Les murs du bureau d’Izzeldin Abuelaish à l’Université de Toronto sont couverts de photographies, mais une, en particulier, se distingue des autres.
Trois de ses filles, Bessan, Mayar et Aya, sont assises sur une plage de la bande de Gaza. La marée est basse, et les filles – âgées de 13, 15 et 20 – ont écrit leurs noms en grosses lettres sur le sable. Mayar est pieds nus, Aya regarde droit vers la caméra, et Bessan fait un large sourire en regardant son nom.
Pour Abuelaish, la photo est un rappel de la promesse qu’il a faite.
“Je suis déterminé à ce que justice soit rendue à mes filles”, a déclaré le médecin palestinien de 62 ans à Al Jazeera, sa voix à la fois confiante et pleine d’espoir. Après des années de combat, sa plainte sera finalement entendue devant un tribunal israélien le mois prochain.
Quelques semaines seulement après que cette photo ait été prise, la brutale guerre israélienne de 2008-2009 sur la bande de Gaza approchait de sa fin. Le 16 janvier 2009, des chars de l’armée israélienne ont bombardé la maison de la famille Abuelaish dans le camp de réfugiés de Jabaliya, tuant Bessan, Mayar, Aya et leur cousine de 17 ans, Nour.
“Quand elles ont été tuées, j’ai juré à Dieu, j’ai juré à mes filles, que je n’abandonnerai jamais, que je n’aurai jamais de cesse,” raconte Abuelaish à Al Jazeera.
“Dès les premiers jours, j’ai dit que si [la mort] de mes filles était le dernier sacrifice sur la voie de la paix entre Palestiniens et Israéliens, alors je l’accepterai. Mais ce n’était pas le dernier, et cela me rend triste, me met en colère. Que puis-je faire de plus ?”
La femme d’Abuelaish était décédée depuis peu d’une leucémie quand Israël a commencé l’assaut mortel, long de trois semaines, sur Gaza. À la fin de la guerre, près de 1400 Palestiniens ont été tués, dont la majorité étaient des civils.
Des groupes de défense des droits de l’homme ont documenté l’utilisation par l’armée israélienne de munitions au phosphore blanc sur les zones surpeuplées de Gaza pendant la guerre, ainsi que le ciblage des infrastructures civiles. Les Nations Unies ont accusé Israël d’avoir commis des violations généralisées des droits de l’homme, y compris des crimes de guerre, et d’utiliser une “force disproportionnée” tout en s’attaquant aux civils palestiniens.
Dans le cas de la maison d’Abuelaish, l’armée israélienne a déclaré à l’époque que les soldats répliquaient dans les zones où ils avaient été visés. L’armée a prétendu plus tard qu’elle pensait voir des “observateurs” du Hamas près de la maison d’Abuelaish.
Abuelaish n’a pas accepté cette explication, mais sa tentative d’amener le gouvernement israélien à prendre ses responsabilités et à présenter ses excuses pour la mort de ses filles et de sa nièce était infructueuse. Au lieu de cela, les autorités israéliennes ont simplement parlé de ses proches comme “dommages collatéraux”, dit-il.
“Il est contraire à l’éthique de parler d’un être humain comme d’un dommage collatéral … Nous devons interdire que ce mot soit corrélé avec un être humain”, explique-t-il. “C’était encore plus douloureux pour moi parce que la plaie était ouverte et qu’elle saignait encore, et que c’était comme si nous ajoutions du sel sur la blessure.”
Près de deux ans après la mort de ses filles, Abuelaish a mené mené son combat pour la responsabilité jusque devant les tribunaux israéliens, où il a déposé une plainte civile demandant des excuses officielles. Un an plus tard, Abuelaish a déclaré qu’il avait été forcé de déposer une caution de 20 000 shekel (5300 dollars) pour chacune de ses filles et pour sa nièce, afin que l’affaire soit entendue.
Les audiences auront lieu cette année dans un tribunal de Beer Sheva, dans le sud d’Israël, les 15 et 19 mars.
Abuelaish a déclaré que toute indemnisation qui lui serait accordée servirait à construire des écoles en Palestine, en Israël, en Jordanie, en Afghanistan et au Canada grâce à l’organisation caritative qu’il a créée en mémoire de ses enfants : la Fondation des Filles pour la vie.
Abuelaish et ses enfants survivants ont déménagé au Canada en 2009, peu de temps après la tragédie. Il travaille maintenant comme professeur agrégé au Département de santé publique de l’Université de Toronto. À la fin de 2015, tous les membres de sa famille ont obtenu la citoyenneté canadienne.
“J’appelle toutes les personnes à se joindre à nous dans cette mission de donner espoir et vie malgré la mort”, a déclaré Abuelaish. “Cette fondation est dédiée à donner de l’espoir au monde et à prouver aussi que de cette tragédie [pourrait sortir quelque chose de] bien.”
Il a appelé le premier ministre canadien Justin Trudeau à soutenir son procès et à envoyer une lettre au gouvernement israélien pour soutenir sa demande d’excuses. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a fait savoir à Al Jazeera que le gouvernement ne faisait pas de commentaires sur les procès civils entre les particuliers et un État étranger…
Mais Abuelaish n’a pas perdu espoir, ni abandonné la volonté d’obtenir finalement justice pour ses proches.
“Cela ne fera jamais disparaître ma détermination à aller de l’avant”, dit-il. “Cette colère, je veux qu’elle soit utilisée pour faire plus – ne pas être vaincu, ne pas être brisé, ne pas abandonner ou oublier mes filles bien-aimées, parce que je suis responsable devant elles et le resterai jusqu’à dernier souffle.”
* Jillian Kestler-D’Amours est une journaliste écrivant pour Al Jazeera. Elle a couvert l’actualité en Israël, en Palestine, en Turquie et au Canada, et elle écrit principalement sur les migrations, les groupes minoritaires, la politique et les droits de l’homme.
18 février 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah