La Cisjordanie et la prolongation du génocide de la Palestine

Des Palestiniens sont rassemblés sur les lieux d'une frappe aérienne israélienne sur un café populaire du camp de réfugiés de Nur Shams, à l'est de Tulkarm, en Cisjordanie. Dix-huit personnes ont été tuées dans l'attaque, dont deux mineurs. De nombreux Palestiniens ont également été blessés lors de cette attaque, qui a causé d'importants dégâts dans le camp. Les forces israéliennes ont utilisé un avion de chasse pour mener à bien cette attaque aérienne, qui est rarement utilisée en Cisjordanie. Il s'agit du plus grand nombre de morts dans une seule attaque en Cisjordanie depuis la seconde Intifada. Au total, 741 Palestiniens de Cisjordanie ont été tués par les forces israéliennes depuis le 7 octobre 2023 - Photo : Wahaj Bani Moufleh / Activestills

Par Nadine Sayegh, Shams Hanieh

Au cours du mois dernier, la Cisjordanie a été le théâtre de la plus grande invasion militaire des forces d’occupations israéliennes (IOF) depuis des décennies, avec un assaut accru de raids, de démolitions de maisons, de sièges, de déplacements forcés et de destructions d’infrastructures essentielles.

Vers 22h45 (Palestine) le 3 octobre, l’armée israélienne a bombardé un café situé dans un immeuble de quatre étages dans le camp de réfugiés de Tulkarm. L’attaque a tué au moins 18 personnes dans ce qui est qualifié de « plus grand massacre » en Cisjordanie depuis la seconde Intifada.

C’est également la première fois en vingt ans qu’Israël utilise des avions de guerre F-16 pour frapper. L’armée israélienne a affirmé avoir assassiné, avec le Shin Bet, Zahi Yaser Abd al-Razeq Oufi, chef du réseau du Hamas à Tulkarem. Des sources locales ont également confirmé le martyre de Ghaith Radwan, de la brigade Quds, au cours de l’attaque.

Cette violence fait partie intégrante des pratiques coloniales israéliennes en place depuis 1948, mais ces politiques se sont intensifiées depuis le 7 octobre 2023, et plus particulièrement depuis la fin du mois d’août de cette année.

L’invasion la plus récente, baptisée « Opération camps d’été » par les FDI, a principalement visé les gouvernorats de Tubas, Jénine et Tulkarem, ainsi que l’invasion des villes d’al-Khalil (Hébron) et de Naplouse, tuant 39 Palestiniens et en blessant 150 autres en 10 jours.

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Ces raids se sont poursuivis depuis, avec une attaque à Qabatiya tuant sept personnes, une autre attaque à Tubas blessant trois personnes, une incursion dans le camp de réfugiés de Balata à Naplouse, ainsi qu’un raid sur le bureau d’Al Jazeera à Ramallah, qui a interrompu ses activités pendant 45 jours.

Ces événements sont liés à ceux qui se déroulent actuellement à Gaza et, plus encore, au contexte historique d’un génocide prolongé, malgré les efforts déployés par le régime israélien pour séparer la Cisjordanie et Gaza et les classer comme deux entités.

Al Jazeera a rapporté que, selon des sources palestiniennes officielles, les attaques des soldats et des colons israéliens ont tué 723 Palestiniens en Cisjordanie, dont 160 enfants, depuis le 7 octobre.

Violence et résistance en Cisjordanie

L’incursion à Jénine a commencé le 28 août et a duré 10 jours. Des centaines de soldats sont descendus dans la ville à bord de bulldozers et de véhicules blindés. La semaine suivante a vu la destruction de près de 70 % des rues de Jénine, des frappes aériennes sur des maisons familiales, la privation de l’accès à l’eau pour 80 % du camp de Jénine, le blocage des télécommunications et de l’accès aux hôpitaux, ainsi que le déplacement forcé de familles de plusieurs quartiers.

Tulkarm a également été la cible de frappes aériennes et de déplacements forcés, avec 350 structures résidentielles et de subsistances endommagées ou détruites, et plus de 100 personnes déplacées.

Les déplacements ont été sévèrement limités, le personnel médical s’efforçant d’atteindre les victimes des frappes aériennes, et plus de 10 000 personnes dans le camp de réfugiés de Nur Shams subissant des coupures d’eau ainsi qu’un débordement des eaux usées.

Les forces israéliennes ont frappé le camp d’al-Far’a à Tubas, ont restreint l’accès médical aux blessés et ont endommagé un générateur d’électricité ainsi que la route principale autour du camp.

Les responsables israéliens ont affirmé que cet assaut de violence visait les groupes de résistance armés basés principalement dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie.

Cependant, comme c’est le cas à Gaza, les forces israéliennes ont pris pour cible la vie civile au-delà des infrastructures de résistance, à la fois comme moyen de punition collective et pour détruire l’accès aux besoins vitaux.

Bien que cela puisse être décrit comme une escalade en Cisjordanie, le projet colonial israélien a longtemps détruit et attaqué la vie palestinienne en Cisjordanie, à la fois depuis le 7 octobre et avant, dans le cadre d’un génocide prolongé.

En substance, Israël agresse les Palestiniens, à Gaza, en Cisjordanie, dans les camps et dans la diaspora depuis la création de l’État sioniste, en utilisant les mêmes tactiques avec une intensité fluctuante pour tous les Palestiniens, tout en essayant d’effacer leur existence.

Pour mettre en évidence cette violence brutale, globale et durable, le parallèle le plus frappant que l’on puisse établir est celui des événements survenus en 2002 au cours de la deuxième Intifada : l’opération israélienne « Bouclier défensif ». Cette opération militaire visait à détruire « l’infrastructure de la terreur » dans les villes et les camps de réfugiés de Cisjordanie.

Lors de la bataille de Jénine en avril 2002, les forces israéliennes ont attaqué le camp de réfugiés de Jénine et l’ont assiégé pendant 10 jours. Selon Al Jazeera, des commandos et des hélicoptères israéliens ont affronté des « combattants légèrement armés et des pièges artisanaux » à travers Jénine.

Tout au long de l’assaut, l’électricité, l’eau et la nourriture ont été coupées, 52 Palestiniens ont été tués, plus de 25 % des résidents du camp de réfugiés de Jénine ont été déplacés et 140 bâtiments résidentiels ont été complètement détruits.

Le quartier de Hawashin a été entièrement rasé et détruit à l’aide de bulldozers blindés. Naplouse a été attaquée et détruite de la même manière au cours de la même période ; les troupes israéliennes ont coupé l’eau, l’électricité et les télécommunications.

Ciblés par des tireurs d’élites, des bulldozers et des bombardements aériens pendant trois jours, 75 Palestiniens ont été tués, 47 % des immeubles d’habitations de la vieille ville de Naplouse ont été endommagés et 7,5 % ont été complètement détruits.

Pour éviter les pièges placés par les combattants palestiniens sur les routes principales, les forces israéliennes se sont déplacées entre les maisons civiles en faisant exploser les murs reliant les maisons voisines.

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Ces tactiques immorales et illégales, telles que l’accaparement de terres, les expulsions et démolitions forcées et la privation de droits et de ressources vitales, constituent une stratégie israélienne dont aucun Palestinien, en Palestine ou ailleurs, n’est vraiment à l’abri.

Il est important de replacer les événements récents dans leur contexte. Toutefois, ce faisant, il est impératif de reconnaître la véritable portée de ce génocide quasi perpétuel et de l’utilisation de la stratégie « diviser pour régner » comme stratégie à long terme.

Un génocide historique et continu

L’État sioniste d’Israël a été fondé sur la souffrance des Palestiniens. Les événements qui ont précédé et accompagné la Nakba de 1948 en témoignent.

Dès la fin de la période du mandat britannique, des milices armées juives telles que l’Irgoun et la Haganah ont commis une série d’actes terroristes contre les Palestiniens, mais aussi contre les Britanniques (voir l’attentat à la bombe de l’hôtel King David en juillet 1946).

Al Jazeera rapporte qu’entre décembre 1947 et mai 1948, « les groupes armés sionistes ont expulsé environ 440 000 Palestiniens de 220 villages.

Avant le 15 mai, certains des massacres les plus tristement célèbres avaient déjà été commis : le massacre de Baldat al-Sheikh, le 31 décembre 1947, qui a tué jusqu’à 70 Palestiniens ; le massacre de Sa’sa’, le 14 février 1948, au cours duquel 16 maisons ont été dynamitées et 60 personnes ont perdu la vie ; et le massacre de Deir Yassin, le 9 avril 1948, au cours duquel environ 110 Palestiniens, hommes, femmes et enfants, ont été massacrés ».

Après ce déplacement initial, les accaparements de terres à grande échelle et les annexions illégales qui ont suivi en 1967 et après les accords d’Oslo se poursuivent encore aujourd’hui, mettant en évidence une continuité chronologique.

Depuis, les Palestiniens ont été déplacés à l’intérieur de leur pays, dispersés dans des camps de réfugiés à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine, et continuellement attaqués et opprimés par la machinerie violente du projet sioniste.

Israël a méthodiquement utilisé les mêmes tactiques, campagnes de bombardement, accaparement de terres, expulsions, assassinats et violences sexuelles, parmi d’innombrables autres, sans discrimination contre les Palestiniens à travers la géographie.

En tandem, ils tentent consciemment de séparer les récits de cette violence en déconnectant, par exemple, les raids en Cisjordanie de la violence à Gaza, bien qu’ils fassent partie intégrante du même génocide prolongé des Palestiniens.

Simultanément, une tentative concertée d’isoler les Palestiniens les uns des autres se poursuit par le biais de la séparation, une autre pratique de la politique d’apartheid.

Dans son essai intitulé « Towards Nakba as a Legal Framework » (Vers la Nakba comme cadre juridique) publié dans la Columbia Law Review au début de l’année, Rabea Eghbariah explique :

« La structure composée de la fragmentation juridique comprend au moins cinq statuts juridiques pour les Palestiniens – citoyens d’Israël, résidents de Jérusalem, résidents de la Cisjordanie, résidents de Gaza ou réfugiés – qui définissent leurs positions socio-juridiques respectives dans le système. Chacun de ces « fragments » est soumis à une dialectique distincte de violence et de privilège juridique relatif dans laquelle les dynamiques de pouvoir et les mécanismes de contrôle opèrent de manière unique et façonnent les expériences de ceux qui se trouvent dans sa sphère. »

Les événements actuels en Cisjordanie et à Gaza sont liés, de même que les populations palestiniennes ailleurs. En outre, les événements restent liés à la violence historique sioniste et doivent être compris comme une continuation de celle-ci. Tenter de déconnecter les événements est en effet une autre stratégie violente.

Il est certainement impossible de nier la violence infligée à Gaza et de la dissocier de celle infligée à l’ensemble du territoire. C’est rendre un mauvais service au peuple palestinien que de décrire ce qui s’est passé au cours de l’année écoulée comme une guerre « avec » ou « contre » Gaza, comme si cette dernière existait en tant qu’entité distincte.

La Nakba, longue de 76 ans

Les universitaires, les agences humanitaires, les gouvernements et, surtout, les Palestiniens ont insisté sur le fait que la violence dans une partie de la Palestine ou contre un groupe de Palestiniens n’est pas séparée du contexte général.

Au début de cette année, le président du Comité des droits des Palestiniens des Nations unies, Cheikh Niang, a déclaré lors d’un événement commémorant la Nakba : « La Nakba de 1948 et la Nakba d’aujourd’hui à Gaza ne sont pas deux événements distincts ».

Il a ajouté qu’il était nécessaire d’instaurer un cessez-le-feu à Gaza et de faire pression pour que les Palestiniens aient un État.

Comment la population de la Cisjordanie peut-elle faire face au génocide ?

Par exemple, les arguments d’Eghbariah soulignent que les événements de 1948 se prolongent. En substance, la violence systémique infligée par Israël – et avant cela, par les milices juives telles que l’Irgoun et la Haganah – est un effort conscient pour éradiquer complètement les Palestiniens par des moyens violents et flagrants similaires à ceux utilisés aujourd’hui.

La Nakba traverse les dimensions temporelles et existe en tant qu’entité propre ; une violence qui prospère à l’intersection du génocide, de l’apartheid, du nettoyage ethnique, des colonies illégales et de l’occupation.

Eghbariah écrit : « La Nakba a donc subi une métamorphose. L’expulsion massive des Palestiniens de leurs maisons au milieu du XXe siècle a transformé la Nakba en un système tenace de domination israélienne ; un « régime de la Nakba » fondé sur la destruction de la société palestinienne et le déni permanent de son droit à l’autodétermination. »

Il ajoute : « Le régime israélien a donc conçu un modèle institutionnel qui repose sur des laboratoires d’oppressions différents et en mutation, formant ensemble une totale domination en évolution, mieux identifiée par le concept de Nakba et sa structure de fragmentation ».

Lorsque les Palestiniens affirment que la « Nakba se poursuit », c’est parce qu’il s’agit d’une réalité vécue par de nombreuses générations. L’oppression et la violence israéliennes à l’encontre des Palestiniens existent depuis la création de l’État sioniste d’Israël, avec des flux et des reflux d’intensités et de natures variables. Comme l’ont montré les récents événements au Liban, cette violence est intrinsèquement expansionniste.


4 octobre 2024 – The Palestine Studies – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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