
A la date du 23 mars 2025, et depuis que l'Etat génocidaire a rompu le cessez-le-feu et repris son assaut mardi dernier, plus d'un millier de Palestiniens ont été assassinés dans les bombardements israéliens - Photo : Doaa Albaz /Activestills
Par Saleema Gul
Le sang de Gaza tache non seulement les mains d’Israël, des États-Unis et de l’Occident, mais aussi celles de 2 milliards de musulmans qui restent silencieux et les bras croisés.
Il y a une semaine, les musulmans du monde entier ont célébré l’Aïd al-Fitr le dimanche 30 mars. Des millions et millions de personnes ont célébré l’événement en portant de beaux vêtements, en décorant leur maison et en dégustant des desserts sucrés, comme le veut la tradition islamique lors des fêtes de l’Aïd.
Mais à Gaza, l’Aïd a été célébré sous le poids d’un immense chagrin.
Dans un article poignant pour The New Arab, le journaliste palestinien Abubaker Abed, de Gaza, écrit :
« Pendant 538 jours, j’ai cru à tort que le monde musulman viendrait à notre secours… Je vous le demande maintenant : comment pouvez-vous vous réjouir alors que nous sommes enveloppés dans des linceuls ? Comment pouvez-vous porter vos plus beaux vêtements alors que nous sommes enveloppés dans des linceuls ? Comment pouvez-vous savourer des sucreries alors que les enfants de mon quartier dessinent de la nourriture dans le sable ? »
Il poursuit : « Vous aurez plus besoin de Gaza que Gaza n’aura besoin de vous. » Ses paroles ne sont pas une exagération. Elles sont une mise en accusation. Elles sont aussi un avertissement.
APrès d’un mois depuis le blocus : Le fait que ma famille et moi puissions à nouveau avoir recours à la nourriture pour animaux me fait plus peur que jamais. Je n’arrive pas à croire que je pourrais en manger pour la troisième fois.
MLa malnutrition et la nourriture pour animaux domestiques sont comme de l’huile sur le feu.
Vous ne pourrez pas traduire ce sentiment par des mots…— Abubaker Abed (@AbubakerAbedW) March 28, 2025
Ce qu’a écrit Abed, dans un état de malnutrition, de forte lucidité morale et d’angoisse brute, est un miroir tendu au monde musulman, un miroir qui reflète non seulement son silence, mais aussi sa décadence.
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Qu’avons-nous vraiment fait pour Gaza ? C’est la seule question qui mérite d’être posée en cette fête de l’Aïd.
« Nous nous soucions » n’est pas la même chose que « nous avons agi »
Selon le suivi en direct d’Al Jazeera, depuis le début du génocide, plus de 61 709 Palestiniens ont été tués, dont 17 492 enfants, 111 588 blessés, et 14 222 portés disparus et présumés morts.
Ces chiffres ne tiennent pas compte des décès causés par la famine, la malnutrition ou le manque de soins médicaux, car la majorité des hôpitaux de Gaza ont été détruits par Israël, qui continue de bloquer l’entrée des fournitures médicales et des médicaments essentiels.
Et pourtant, l’état d’esprit dans une grande partie du monde musulman, bien que compatissant, semble sur le fond indifférent.
L’empathie sans action est de la complicité. Nous devons nous demander si ce que nous avons fait pour Gaza et le reste de la Palestine occupée est vraiment suffisant.
Les paroles d’Abed sont percutantes parce qu’elles sont douloureusement vraies : « Vous ne vous êtes jamais vraiment opposés à vos gouvernements, ni ne les avez poussés à mettre fin à leur commerce et à leurs relations avec Israël. »
Si certains peuvent affirmer que les musulmans du monde entier sont plus engagés que jamais, cet engagement ne s’est pas traduit par une action soutenue et coordonnée.
Les chefs d’État musulmans publient des déclarations soigneusement formulées. Les manifestants scandent des slogans dans les rues, mais le son dépasse rarement leurs propres chambres d’écho.
Beaucoup ont maintenu la dynamique dans des villes comme New York et Londres. Sur les campus, les étudiants continuent de résister au péril de leur vie. Mais ces poches de résistance maintenue coûte que coûte, sont des exceptions, pas la règle.
Les groupes WhatsApp qui bourdonnaient autrefois de réunions stratégiques axées sur la Palestine se font de plus en plus rares, noyés sous les spams. On constate une baisse notable de l’énergie, du sentiment d’urgence et de l’engagement collectif.
Pendant ce temps, les principaux pays musulmans n’ont exercé aucune pression économique ou politique coordonnée sur Israël. Au contraire, beaucoup ont renforcé leurs liens.
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Ce qui est plus troublant, c’est l’absence de réponse publique sérieuse pour demander des comptes à ces gouvernements.
Mais il est vrai qu’une grande partie du monde arabe et musulman est dirigée par des dictateurs, des autocrates ou des gouvernements qui dépendent du soutien occidental pour leur survie. Mais le monde musulman doit se poser la question suivante : est-ce une excuse suffisante ?
Les Palestiniens doivent-ils tout donner alors que nous nous réfugions derrière la peur ? Et comment le changement pourra-t-il se produire si les gens ne se mobilisent pas contre une injustice massive par une mobilisation massive ?
Du sang palestinien en échange de milliards de dollars
La décadence morale est profonde lorsque l’on suit l’argent.
Le 7 mars 2025, Newsweek a annoncé que l’Arabie saoudite prévoyait d’investir 1300 milliards de dollars aux États-Unis. « Il n’y a personne d’autre dans le monde actuellement qui puisse rivaliser avec MBS pour titiller l’attention de Trump », a déclaré Fawaz Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics, dans une interview accordée à Newsweek.
Pour ne pas être en reste, Reuters a annoncé le 21 mars 2025 que les Émirats arabes unis avaient accepté d’investir 1400 milliards de dollars dans l’économie américaine à la suite d’une réunion avec Trump à la Maison Blanche.
Selon Global Firepower, la Turquie, le Pakistan, l’Iran et l’Égypte figurent tous parmi les 20 premières armées mondiales. L’Arabie saoudite se classe au 24e rang et dispose du plus important budget de défense des pays musulmans, avec 55,6 milliards de dollars.
Des dizaines de pays musulmans ont une capacité militaire et économique considérable.
L’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite ont même aidé à intercepter des missiles en provenance d’Iran, renforçant ainsi la sécurité d’Israël alors que Gaza s’effondre.
Ce n’est pas de la lâcheté. C’est de la trahison. Pendant ce temps, le sang coule littéralement dans les rues de Gaza dans les derniers massacres.
Diplomatie en trompe-l’oeils
Alors que l’Occident s’unit pour permettre le génocide – en fournissant des armes, des fonds et une couverture politique – les États musulmans rivalisent pour voir qui peut s’enfoncer le plus profondément dans la dépravation morale.
Le 4 mars 2025, les Émirats arabes unis ont publiquement approuvé le plan de reconstruction de Gaza par l’Égypte, en contradiction directe au plan de Trump visant à nettoyer Gaza ethniquement et à la rebaptiser en station balnéaire de luxe, une « Riviera » coloniale et dystopique.
Pourtant, selon Middle East Eye, les Émirats arabes unis ont simultanément œuvré pour saboter ce même plan.
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Un responsable américain a déclaré au média : « Les Émirats arabes unis ne pouvaient pas être le seul État à s’opposer au plan de la Ligue arabe lorsqu’il a été adopté, mais ils le sabordent avec l’administration Trump. »
Cette duplicité n’est pas un cas unique. Les Émirats arabes unis ont déstabilisé des régions entières allant de Gaza au Darfour tout en se présentant comme un leader sur le plan diplomatique.
Une foi de façade
Le Coran est sans ambiguïté sur l’injustice : « Qu’avez-vous à ne pas combattre dans le sentier d’Allah, ceux qui sont opprimés, hommes, femmes et enfants, qui ont l’angoisse en leur cœur ? » (Coran 4:74)
Le Dr Asim Qureshi, directeur de recherche à CAGE International, prévient que le monde musulman est confronté non seulement à une crise politique, mais aussi à un effondrement moral et spirituel.
Dans une lettre ouverte aux érudits islamiques, il pose la question suivante : « Si les érudits sont les héritiers des prophètes, pourquoi ont-ils créé un tel fossé entre l’enseignement religieux et l’action dans le monde réel ? »
Pourtant, une grande partie des dirigeants religieux n’offre guère plus que des campagnes de charité et des prières. Comme le note Qureshi, le monde musulman subventionne en fait la violence sioniste en reconstruisant constamment ce qu’Israël détruit : « La richesse de cette Oumma finit par profiter à un système sioniste engagé dans le colonialisme de peuplement et l’apartheid. »
L’Indonésie, classée au 13e rang militaire, a réagi à la destruction de plus de 1000 mosquées en s’engageant à en construire 100 de plus. Pendant ce temps, la mosquée al-Aqsa à Jérusalem reste menacée, alors que des groupes fascistes se préparent ouvertement à construire un troisième temple juif sur son emplacement.
Ces groupes ne rêvent pas seulement de démolir al-Aqsa, ils s’y préparent activement. Alors, quel est le plan du monde musulman pour défendre al-Aqsa, l’un des sites les plus sacrés de l’islam ?
Fait significatif, d’éminents érudits musulmans, au risque de leur vie, ont publié une fatwa appelant à la résistance armée pour défendre Gaza.
Ce décret exhorte les pays à majorité musulmane à intervenir politiquement, économiquement et militairement contre le génocide en cours.
Ce changement pourrait marquer un tournant décisif pour le monde musulman.
Tout comme le monde s’est un jour uni pour mettre fin aux actions du régime nazi visant à exterminer le peuple juif pendant l’Holocauste, il pourrait peut-être enfin reconnaître le droit de défendre Gaza en vertu du droit international et du droit naturel.
Derniers mots. Dernières chances ?
Le 24 mars 2025, Israël a assassiné le journaliste Hossam Shabat.
Quelques heures avant son meurtre, Shabat a lancé un appel aux musulmans, et non à leurs gouvernements, pour leur demander de l’aide.
Ses derniers mots, diffusés après sa mort, résonnent aujourd’hui plus fort que la plupart des nôtres ne le feront de leur vivant.
« Au cours des 18 derniers mois, j’ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple. J’ai documenté les horreurs du nord de Gaza minute par minute, déterminé à montrer au monde la vérité qu’ils ont tenté d’enterrer. J’ai dormi sur les trottoirs, dans les écoles, dans des tentes, partout où je pouvais. Chaque jour était une bataille pour la survie. J’ai enduré la faim pendant des mois, mais je n’ai jamais quitté mon peuple.
Grâce à Dieu, j’ai accompli mon devoir de journaliste. J’ai tout risqué pour rapporter la vérité, et maintenant, je suis enfin en paix, ce que je n’ai pas connu au cours des 18 derniers mois. J’ai fait tout cela parce que je crois en la cause palestinienne. Je crois que cette terre est la nôtre, et ce fut le plus grand honneur de ma vie de mourir en la défendant et en servant son peuple.
Je vous demande maintenant de ne pas cesser de parler de Gaza. Ne laissez pas le monde détourner le regard. Continuez à vous battre, continuez à transmettre nos récits, jusqu’à ce que la Palestine soit libre. »
— Pour la dernière fois, Hossam Shabat, du nord de Gaza.
Gaza ne doit pas être le cimetière de la réputation morale du monde musulman.
Si ne serait-ce qu’une fraction de leur puissance économique, politique et militaire était utilisée de manière unie comme levier, Gaza pourrait devenir le symbole du tournant du monde musulman.
Shabbat, qui a tout donné, y compris sa vie, nous a laissé ces mots :
« Je vous demande maintenant de ne pas cesser de parler de Gaza. Ne laissez pas le monde détourner le regard. Continuez à vous battre, continuez à transmettre nos récits, jusqu’à ce que la Palestine soit libre. »
Auteur : Saleema Gul
* Saleema Gul est une militante basée à Houston qui milite depuis plus de vingt ans pour la justice sociale et les droits de l'homme.
6 avril 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
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