Par Adnan Abu Amer
Depuis l’apparition du coronavirus fin février dans les territoires palestiniens et en Israël, plusieurs secteurs ont été successivement touchés, et l’économie palestinienne s’est révélée être totalement dépendante d’Israël et de ses décisions. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les travailleurs palestiniens en Israël et la source des revenus de dizaines de milliers de familles dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
La crise sanitaire a aussi révélé l’incapacité de l’Autorité palestinienne (AP) à fournir des alternatives économiques locales.
Ghassan al-Khatib, ancien ministre palestinien du travail et de la planification à Ramallah, a déclaré à Al-Monitor : “Avant comme après l’épidémie de coronavirus, les Palestiniens sont sous le contrôle d’Israël, et ils sont complètement dépendants de son économie malgré les tentatives de désengagement. Un grand nombre de Palestiniens travaillent en Israël, et Israël contrôle également nos points de passage, ce qui a des conséquences désastreuses sur notre économie. Ajoutez à cela les conséquences politiques d’une pareille dépendance”.
L’indicateur le plus important de la dépendance économique des Palestiniens vis-à-vis d’Israël est le nombre de Palestiniens qui travaillent en Israël. Plus de 150 000 Palestiniens travaillent en Israël avec des permis officiels, tandis que 60 000 travaillent illégalement. Chaque Palestinien perçoit un revenu quotidien moyen de 250 shekels israéliens (70,50$ ou 65€), ce qui signifie que des centaines de millions de dollars sont ainsi injectés sur le marché palestinien chaque mois. L’arrêt du travail des Palestiniens en Israël à la suite de la crise du coronavirus a privé des dizaines de milliers de familles d’argent liquide.
Contrairement à la Cisjordanie, le nombre de travailleurs et de commerçants de Gaza qui travaillent en Israël ne s’élève qu’à 5000 personnes, ce qui fait que leur contribution à l’économie locale est moins cruciale.
Cependant, les marchés de Gaza sont inquiets depuis que les importations de Chine et de Turquie ont cessé ; Gaza importe entre autres des téléphones, des ordinateurs, des jouets et des vêtements. Les répercussions de la pandémie sur l’économie de Gaza finiront par se faire sentir, surtout après l’épuisement des stocks, et les commerçants, qui souffrent déjà de la situation économique et du faible pouvoir d’achat, auront de grandes difficultés financières. Ils seront alors contraints d’augmenter leurs prix, ce qui aura des répercussions sur les consommateurs.
Oussama Nofal, directeur de la planification et des politiques au ministère de l’économie à Gaza, a déclaré à Al-Monitor : “Depuis le début de la pandémie, qui a entraîné un retard dans l’arrivée des denrées alimentaires à Gaza en provenance d’Israël en raison des mesures sécuritaires et sanitaires, nous avons décidé d’augmenter nos importations en provenance d’Égypte pour compenser la pénurie dans la bande de Gaza. La situation agricole à Gaza est meilleure qu’en Cisjordanie, car nous sommes autosuffisants en légumes, et nous avons même décidé d’en exporter [en Cisjordanie] car nous avons reçu beaucoup de demandes du fait du manque de produits israéliens, des prix élevés et de la rareté des marchandises là-bas. Les agences gouvernementales de Gaza ont distribué un million de dollars d’aides financières aux agriculteurs, pour préserver la sécurité alimentaire, construire des silos pour le blé et diversifier les sources d’importation étrangères”.
Le 23 mars, le ministère de l’agriculture de Gaza a décidé de stopper l’exportation de produits agricoles afin d’empêcher la monopolisation des marchés locaux et la hausse des prix. L’exportation de fleurs de Gaza a aussi pris fin, portant un coup dur aux agriculteurs qui ont déjà subi des pertes après la fermeture des salles de réception à Gaza.
Les Palestiniens de Cisjordanie sont confrontés à un grave problème de baisse du pouvoir d’achat et de manque de liquidités depuis le retour de dizaines de milliers de travailleurs d’Israël. De plus, les institutions économiques sont fermées, les projets commerciaux suspendus, et l’AP empêche ses citoyens de se déplacer d’une ville à l’autre. Tous ces facteurs vont augmenter la pauvreté à un moment où les revenus ne cessent de diminuer.
Mohammed Abu Jayab, économiste et rédacteur en chef du journal économique Al-Eqtesadia à Gaza, a déclaré à Al-Monitor : “Il existe des preuves évidentes de la dépendance commerciale des Palestiniens vis-à-vis d’Israël. Les mesures sanitaires adoptées dans les aéroports, les points de passage et les ports israéliens ont largement touché les Palestiniens car elles les ont empêchés d’importer des marchandises. Les Palestiniens ont également été affectés par la baisse de la valeur du shekel israélien au cours des dernières semaines, car la plupart des Palestiniens sont payés en shekels alors que leurs dettes et leurs emprunts sont libellés en dollars. Du coup, ils ont du mal à payer leurs annuités. Depuis février dernier Israël interdit l’exportation de marchandises palestiniennes dans ses ports, ce qui a engendré des pertes importantes pour Gaza qui n’a pas pu exporter des tonnes de récoltes et de légumes”.
Au vu de la situation économique difficile, les usines de couture de Gaza ont commencé à fabriquer des masques de protection et à les exporter vers Israël, fournissant ainsi des emplois à des centaines de travailleurs. Ces usines produisent quelque 50 000 masques par jour.
Un rapport de la Banque mondiale a révélé le 17 avril que si la crise du coronavirus se prolonge avec son cortège de conséquences économiques, et si les Palestiniens ne peuvent pas retourner travailler en Israël, l’économie palestinienne se contractera de 7%.
Ces estimations inquiétantes laissent craindre un sérieux effondrement de l’économie, ce que les Palestiniens ne peuvent pas se permettre. Il va sans doute falloir recommencer à lubrifier les rouages économiques à l’aide de mesures conciliant les besoins sanitaires et les exigences économiques.
Naser Abdel Karim, professeur d’économie à l’Université arabo-américaine de Jénine, a déclaré à Al-Monitor : “La crise du coronavirus a accru la dépendance économique des Palestiniens vis-à-vis d’Israël, surtout après que les travailleurs palestiniens n’ont plus eu le droit d’aller travailler en Israël, et que le commerce extérieur a diminué à cause du contrôle israélien des points de passage. Cela a mis en danger l’approvisionnement des marchandises et des denrées alimentaires.
L’AP – incapable de fournir des alternatives économiques à ses citoyens – craint que les Palestiniens ne se révoltent contre le bouclage économique et s’inquiète de voir émerger une activité économique anarchique et désorganisée, qui augmentera la difficulté de contrôler les flux d’argent.
Le ministre palestinien des finances, Shukri Bishara, a annoncé le 12 avril avoir demandé à Israël un prêt mensuel de 500 millions de shekels israéliens (141 millions de dollars) jusqu’à la fin de la crise du coronavirus.
La crise financière de l’AP, due principalement à la chute des revenus et à la diminution de l’activité commerciale, se répercutera inévitablement sur la bande de Gaza. L’AP a payé les salaires de ses employés au mois de mars, mais on s’attend à ce que l’AP soit bientôt incapable de remplir ses obligations étant donné qu’elle va manquer de liquidités à cause de la baisse des taxes locales et de la diminution des dons internationaux.
Cela augmentera le déficit budgétaire et finira par affecter la bande de Gaza.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes.
24 avril 2020 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet