Par Jonathan Cook
Netanyahu a été forcé de dissoudre le parlement composé de 120 membres pour empêcher son principal rival, Benny Gantz, d’avoir la chance de former une coalition gouvernementale à sa place.
Gantz, un ancien général de l’armée qui dirige le parti Bleu et Blanc, a remporté 35 sièges, autant que le Likoud, le parti de Netanyahu, aux élections d’avril, mais il avait moins d’alliés potentiels pour former une majorité. En septembre, les Israéliens voteront donc à nouveau.
La raison officielle de la dissolution du Parlement est la rupture entre Netanyahu et Avigdor Lieberman, son ancien ministre de la Défense. Ils sont entrés en conflit parce que Lieberman voulait que les Juifs ultra-orthodoxes fassent leur service militaire comme les autres Israéliens.
Mais en réalité, Lieberman a, semble-t-il, décidé de se servir de cette question relativement marginale pour déclencher une crise et renverser le premier ministre.
Pour former une majorité d’extrême droite, Netanyahu avait besoin non seulement du petit parti de Lieberman, Yisrael Beiteinu, mais aussi des partis ultra-orthodoxes, qui s’opposent farouchement à la conscription.
Netanyahu était si désespéré qu’au dernier moment il a tenté – sans succès – de se concilier Avi Gabbay, le chef du parti travailliste centriste. Les travaillistes ont été écrasés en avril, et n’ont eu que six sièges, leur plus mauvais résultat à ce jour.
Netanyahu a raison de s’en faire. Il est convoqué à une audition en octobre, et on s’attend à ce qu’il fasse l’objet de multiples inculpations pour corruption.
Avec la dissolution du Parlement, il n’a plus le temps de faire voter, avant octobre, les deux projets de loi qui auraient pu le protéger de ces inculpations. Il avait besoin, d’une part, d’une loi d’immunité l’exemptant de procès, et d’autre part, d’une “loi dérogatoire” pour empêcher la Cour suprême d’Israël d’utiliser son pouvoir de contrôle pour déclarer inconstitutionnelle la loi d’immunité.
Comme prix d’entrée des travaillistes dans la coalition, Netanyahu exigeait leur soutien à la loi d’immunité. Gabbay a refusé.
Ayman Odeh, le chef du plus grand parti de la minorité palestinienne d’Israël, soit un cinquième de la population, a tourné en dérision les négociations frénétiques de Netanyahu.
Il a bien fait rire d’autres législateurs en racontant que Netanyahu avait promis aux partis palestiniens de “mettre fin à l’occupation” et de “reconnaître le tort historique de la Nakba”, la dépossession des Palestiniens par Israël en 1948, en échange de leur soutien à la loi de l’immunité.
Lieberman a aussi humilié Netanyahu, mais sans humour. Il a compris que le premier ministre n’était pas en mesure de marchander.
En proposant un projet de loi visant à enrôler les Juifs ultra-orthodoxes dans l’armée, Lieberman se concilie les Juifs laïques. Il espère que cela lui vaudra de nouveaux partisans aux élections de septembre, ce qui lui permettra de redevenir un faiseur de rois.
Netanyahu ne pourra donc pas compter sur le soutien de Lieberman, ce qui incitera le Likoud à laisser tomber son leader.
Mais Lieberman a un autre moyen, plus discret, d’améliorer son jeu.
La ligne de front dans la nouvelle élection comme dans la précédente, se situe entre les partis d’extrême droite, dirigés par Netanyahu, et les partis de centre-droit, dirigés par Gantz.
Lieberman peut maintenant limiter les risques. L’extrême droite est devenue plus ouvertement religieuse, avec la montée en puissance des colons idéologiques et la croissance rapide de l’électorat ultra-orthodoxe.
Or les partisans de Lieberman, sont constitués d’un nombre déclinant d’immigrants mécontents de l’ex-Union soviétique, ultra-nationalistes mais implacablement laïques.
C’est pourquoi il veut gagner de l’influence sur le parti Bleu et Blanc de Gantz, qui est aussi largement laïque.
Ces dernières semaines, un mouvement de “résistance” a émergé en Israël contre Netanyahu, faisant écho à celui qui s’est levé contre Donald Trump aux Etats-Unis. Avec Gantz comme figure de proue, il s’est mobilisé contre la menace que Netanyahu fait peser sur le système israélien de pouvoirs et contre-pouvoirs.
Ce qui a déclenché le mouvement, c’est la violente attaque de l’extrême droite contre la Cour suprême, la dernière institution relativement libérale. La loi de dérogation, qui neutraliserait le tribunal, a matérialisé, pour le centre-droit, l’érosion croissante des règles démocratiques, même les plus anodines.
Des dizaines de milliers d’Israéliens ont participé à une manifestation le mois dernier contre Netanyahu et ses manœuvres juridiques.
Mais Odeh, le dirigeant le plus en vue de la minorité palestinienne, n’était pas invité – jusqu’à ce que Gantz change d’avis à la dernière minute.
Sans les 10 sièges ou plus des partis palestiniens au parlement dans son camp, Gantz a actuellement peu d’espoir de l’emporter sur Netanyahu lors des prochaines élections.
Lieberman, un colon, a une aversion toute particulière pour les députés palestiniens. Il a même appelé à leur exécution. Il peut essayer de séparer Gantz d’Odeh, en l’assurant que son parti Yisrael Beinteinu lui offrira les clés du château après les élections de septembre.
Mais qu’est-ce que les Palestiniens ont à faire de tout ce remue-ménage ?
S’il réussit à gagner à nouveau les élections, Netanyahu tentera d’éviter un procès et de continuer comme avant.
S’il est battu et que son successeur est aussi un membre du Likoud, il est peu probable qu’il se montre plus modéré ou plus ouvert au désir des Palestiniens d’avoir un État. Au cours de la dernière décennie, le Likoud a notablement évolué vers l’extrême-droite.
Mais Gantz, la seule alternative plausible, n’est pas non plus un pacifiste. Il a présidé à la terrible destruction de Gaza en 2014, il est en faveur du maintien de la plupart des colonies de peuplement et n’offrira, en guise de processus de paix, que des belles paroles.
S’il devait avoir besoin de Lieberman pour constituer un gouvernement, M. Gantz serait obligé d’accentuer les éléments les plus à droite du programme, déjà très à droite, de son parti.
Toutefois, devant l’agitation politique actuelle, l’administration Trump pourrait renoncer à promouvoir son plan de paix, l’ “Accord du siècle”, après la conférence initiale pour l’investissement prévue pour la fin juin.
Ce serait un sursis. Tout porte à croire que ce plan serait catastrophique pour les Palestiniens et qu’il inclurait l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie.
Mais même si cette menace-là était levée, le prochain gouvernement israélien – qu’il soit dirigé par Netanyahu, un autre membre du Likoud, ou Gantz – ne s’écartera probablement pas du consensus israélien, un consensus dont le plan de Trump est simplement censé accélérer la réalisation.
Les colonies de peuplement poursuivront leur expansion, le vol des terres palestiniennes continuera, et la perspective d’un État viable pour les Palestiniens s’éloignera toujours plus.
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
2 juin 2019 – Jonathan-Cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet