Par Adnan Abu Amer
Le 9 septembre, le Hamas a publié une déclaration officielle qui a surpris, condamnant les arrestations de certains de ses partisans qui résident en Arabie saoudite. Depuis avril, des dizaines de Palestiniens, citoyens jordaniens et saoudiens, ont été arrêtés et accusés d’appartenir au Hamas et de soutenir le Hamas en collectant des dons pour cette organisation.
Certains auraient été torturés, d’autres ont été déportés. Beaucoup ont vu leurs avoirs gelés et leurs transferts financiers contrôlés. En outre, des contrôles stricts sur les envois de fonds dans les territoires palestiniens ont été imposés, ce qui les a presque complètement coupés depuis cet été.
Pendant des mois, le Hamas est resté silencieux, dans l’espoir qu’une médiation politique puisse résoudre le problème. De hauts responsables du Hamas ont contacté à plusieurs reprises les autorités saoudiennes à ce sujet et ont également demandé à plusieurs responsables arabes de le faire.
La déclaration officielle condamnant la campagne saoudienne contre ses partisans suggère que les efforts de médiation ont échoué et que les tensions ne sont pas résolues. Il semble que l’engagement de l’Arabie saoudite vis-à-vis du gouvernement Trump et de son “accord du siècle“, ainsi que sa campagne diplomatique contre l’Iran, ont précipité cette crise.
Les relations entre les Saoudiens et le Hamas
Après la formation du Hamas dans les années 1980, ses dirigeants ont pendant des années entretenu de bonnes relations avec l’Arabie saoudite. Bien que les autorités saoudiennes n’aient jamais financé directement le groupe, elles ont toutefois autorisé la collecte de fonds sur leur territoire.
Au début des années 2000, le Hamas a commencé à se rapprocher de l’Iran, ce qui a inévitablement affecté les relations avec l’Arabie saoudite. En 2007, à la suite de la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes et des affrontements avec le Fatah qui ont suivi à Gaza, Riyad a tenté de négocier la réconciliation entre les deux organisations, mais sans succès, ce qui a créé du ressentiment dans l’attitude des Saoudiens envers les dirigeants du Hamas.
Lorsque le printemps arabe a éclaté en 2011 et que des manifestations de masse contre le régime d’Assad se sont propagées à travers la Syrie, le Hamas s’est trouvé de plus en plus en désaccord avec l’Iran. Lorsque le soulèvement s’est transformé en guerre civile, le mouvement a décidé de soutenir l’opposition syrienne, rompant ainsi les relations avec Téhéran qui se rangeait du côté de Damas.
Cette évolution positive pour les Saoudiens a été éclipsée par le coup d’État militaire égyptien de 2013 qui a destitué le président égyptien Mohamed Morsi. Le soutien saoudien à la destitution du premier président égyptien élu démocratiquement et l’opposition du Hamas, ont exacerbé leurs relations, ce qui a mis fin aux visites officielles des dirigeants du Hamas à Riyad.
Le nouveau régime au Caire a accru la pression sur Gaza, tandis que la crise des relations avec le Fatah s’intensifiait parallèlement. En conséquence, se sentant de plus en plus isolé, le Hamas s’est de nouveau rapproché de l’Iran en 2017.
Depuis lors, les relations avec Téhéran se sont nettement améliorées, comme en témoignent une visite officielle d’une délégation du Hamas dans ce pays en juillet de cette année et leur rencontre avec le guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei.
Une nouvelle crise
Le début du rapprochement entre l’Iran et le Hamas a coïncidé à peu près avec le renversement de la stratégie américaine vis-à-vis de l’Iran. L’administration Trump s’est retirée de l’accord nucléaire et a annoncé une politique de “pression maximale” à l’égard de Téhéran, que l’Arabie saoudite et Israël ont publiquement salué.
Dans le même temps, Washington a effectivement lié sa politique iranienne à ses efforts pour parvenir à un “accord de paix” entre Israéliens et Palestiniens, qui implique le soutien des États arabes et leur normalisation avec Israël. L’Arabie Saoudite a clairement exprimé son soutien au plan.
Dans ce contexte, les attitudes officielles à l’égard de la Palestine ont commencé à changer.
Le prince héritier Mohammed bin Salman (MBS) a commencé à faire pression dès 2017 sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle accepte l’accord américain. En 2018, des informations circulaient selon lesquelles il aurait proféré des menaces et offert de l’argent pour encourager le président palestinien Mahmoud Abbas à accepter les termes de l’accord américain.
Puis, plus tôt cette année, Riyad a tourné son regard vers Gaza. En avril, les partisans du Hamas ont été arrêtés pour la première fois, notamment le Dr Mohammed al-Khodary, responsable des relations bilatérales depuis plus de 20 ans. Cela a été suivi d’un net changement de la rhétorique saoudienne sur les médias sociaux et traditionnels.
En mai, le journal saoudien La Mecque a publié une liste de 40 personnalités islamiques du monde entier qualifiées de terroristes influencés par les idées des Frères musulmans. Parmi eux se trouvaient le fondateur du Hamas, Cheikh Ahmed Yassin, l’ancien dirigeant Khaled Meshaal, l’actuel dirigeant Ismail Haniyeh et les commandants militaires Mohammad al-Deif et Yahya al-Sinwar.
Ensuite, lors de l’offensive israélienne contre Gaza le même mois, des activistes et blogueurs saoudiens ont écrit des tweets de solidarité avec Israël et ont attaqué le Hamas, l’accusant de travailler pour l’Iran et la Turquie et exigeant qu’Israël s’oppose à ce qu’ils ont appelé le “terrorisme meurtrier” du Hamas. Ces commentaires ont été très bien accueillis par Israël…
Selon des responsables du Hamas auxquels j’ai parlé, l’Arabie saoudite aurait déclaré que le Hamas devait “résoudre ses problèmes avec les Américains”. Bien que la signification précise de cette formule ne soit pas claire, les dirigeants du Hamas estiment que cette campagne a pour but de faire pression sur eux pour leur faire accepter le “deal du siècle” du gouvernement Trump et mettre fin à la résistance armée contre l’occupation israélienne.
En plus de vouloir satisfaire la volonté américaine de faire pression sur le mouvement et tarir ses sources de financement, la campagne saoudienne contre le Hamas cherche également à freiner son rapprochement avec l’Iran.
Et maintenant ?
La décision du Hamas de rendre publique la campagne saoudienne contre ses membres montre clairement qu’il refuse d’entretenir de meilleures relations avec l’Arabie saoudite au prix d’une interruption de ses relations avec l’Iran. Dans le passé, il a maintenu des relations équilibrées avec les deux pays et il souhaite que cela continue.
La résistance du Hamas à la pression saoudienne pourrait pousser Riyad à intensifier sa campagne contre le groupe. La diabolisation dans les médias saoudiens va probablement continuer, de même que les efforts pour couper ses canaux de financement.
Le royaume pourrait également exercer des pressions politiques et économiques sur les autres pays arabes pour qu’ils réduisent leurs liens avec le Hamas, et faire pression pour que la Ligue arabe le désigne comme une organisation terroriste, comme ce fut le cas avec le Hezbollah en 2016.
Si la pression saoudienne persistait et augmentait, cela aurait sans aucun doute une incidence négative sur la situation précaire du Hamas dans la région et renforcerait en conséquence ses relations avec l’Iran, qui a rétabli son soutien militaire et financier au groupe.
Alors que le Hamas se sentira de plus en plus poussé dans les cordes, ce sont les Palestiniens qui en paieront le prix, les conditions de vie et le désastre économique continuant de s’aggraver dans la bande de Gaza.
Pour le moment, le Hamas semble désireux de ne pas rompre complètement ses relations avec l’Arabie saoudite, malgré les actuelles tensions. Il tentera de résister à la tempête dans l’espoir que la situation politique dans le royaume et dans la région évolue et conduise à un dégel éventuel des relations.
Dans le contexte de l’alignement grandissant des pays arabes sur les positions des États-Unis et de l’Arabie saoudite, les Palestiniens voient dans cette crise une preuve supplémentaire qu’ils ont été en grande partie abandonnés par les gouvernements arabes et placés à la merci de leur occupant et de ses soutiens occidentaux.
* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé en Histoire de la question palestinienne, sécurité nationale, sciences politiques et civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.
23 septembre 2019 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine
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Analyse historique intéressante. Un détail…qui a son importance : le président Morsi a bien été renversé par un coup d’Etat militaire, il ne faut donc pas parler de destitution, comme se plaisent à le dire les médias pro-sionistes.