La guerre israélienne contre les défenseurs des droits de l’homme

Des manifestants palestiniens fuient les gaz lacrymogènes lors d'une manifestation non violente au cours de laquelle le ministre palestinien Ziad Abu Eid est mort après avoir été maltraité par les troupes israéliennes d'occupation, le 10 décembre 2014 - Photo : Oren Ziv/Activestills.org

Par Romana Rubeo, Ramzy Baroud

Le 21 octobre, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a annoncé la publication d’un ordre militaire désignant comme des “organisations terroristes” six groupes palestiniens de défense des droits de l’homme de premier plan.

Gantz a prétendu que ces groupes étaient secrètement liés au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation politique marxiste qu’Israël considère, comme la plupart des partis politiques palestiniens, comme une “organisation terroriste”.

Les organisations palestiniennes incluses dans l’ordonnance israélienne sont Addameer Prisoner Support and Human Rights, Al-Haq, le Bisan Center for Research and Development, Defense for Children Palestine, Union of Agricultural Work Committees (UAWC) et l’Union of Palestinian Women’s Committees.

Les organisations palestiniennes citées dans l’ordonnance israélienne Addameer, Al-Haq (Al-Haq), Bisan, l’Union of Agricultural Work Committees (UAWC), l’Union of Palestinian Women’s Committees (UPWC) et la section palestinienne de l’organisation Defense for Children International-Palestine (DCI-P), basée à Genève.

Compte tenu de l’importance de ces organisations en Palestine et de leurs réseaux mondiaux parmi les organisations de la société civile partageant les mêmes vues, la décision israélienne a provoqué un tollé général.

L’une des nombreuses déclarations de condamnation a été une déclaration conjointe des groupes de défense des droits de l’homme, Amnesty International (AI) et Human Rights Watch (HRW), dans laquelle ils ont qualifié la décision de Gantz de “décision effroyable et injuste”, qui représente “une attaque du gouvernement israélien contre le mouvement international des droits de l’homme.”

Des réactions, mais purement verbales

AI et HRW, qui documentent depuis de nombreuses années les violations israéliennes des droits humains des Palestiniens, comprennent parfaitement que la désignation de “terroriste” s’inscrit dans une longue pratique :

“Depuis des décennies, les autorités israéliennes d’occupation ont systématiquement cherché à museler la surveillance des droits humains et à punir ceux qui critiquent son régime répressif à l’égard des Palestiniens. Si les membres du personnel de nos organisations ont fait l’objet d’expulsions et d’interdictions de voyager, les défenseurs palestiniens des droits humains ont toujours supporté le poids de la répression. Cette décision constitue une escalade alarmante qui menace de mettre un terme au travail des organisations de la société civile les plus importantes de Palestine.”

Il est tout aussi important que la déclaration des principales organisations de défense des droits de l’homme ne manque pas de souligner que “l’incapacité de la communauté internationale, depuis des décennies, à dénoncer les graves violations des droits de l’homme commises par Israël et à leur imposer des conséquences significatives a encouragé les autorités israéliennes à agir de manière aussi grossière”.

Fidèle à elle-même, la communauté internationale a réagi à la décision de Gantz, mais en restant dans la rhétorique et sans aucune action substantielle.

Dans une déclaration commune, des experts des Nations unies ont qualifié la décision israélienne d’ “attaque frontale contre le mouvement palestinien des droits de l’homme et contre les droits de l’homme partout dans le monde”.

Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a critiqué la décision “arbitraire” d’Israël et a mis en garde contre les “conséquences de grande envergure qui en résulteront”, en termes de travail, de financement et de soutien aux organisations visées.

De nombreux gouvernements dans le monde ont également condamné la décision israélienne et se sont fait l’écho du sentiment exprimé par les experts de l’ONU. Même les États-Unis ont exprimé leur “préoccupation”, en utilisant le même langage prudent et peu contraignant.

Gaza, mai 2021 – Transport de toute urgence vers l’hôpital d’un tout jeune enfant blessé et terrorisé par un bombardement israélien – Photo: Ma’an News

Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a déclaré aux journalistes le 23 octobre, à Washington, que son pays “estime que le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et d’une société civile forte est d’une importance capitale pour une gouvernance responsable et réactive”. Au lieu d’une condamnation pure et simple, M. Price a toutefois déclaré que les États-Unis “s’adresseront à leurs partenaires israéliens pour obtenir davantage d’informations sur les raisons de ces désignations”.

Cependant, à l’instar d’autres gouvernements, et certainement à la différence d’AI et de HRW, Price n’a fait aucun lien entre la décision israélienne du 21 octobre et les nombreuses autres pratiques passées visant les groupes de défense des droits humains et de la société civile en Palestine et, plus récemment, en Israël également. Il convient également de noter que le lien supposé entre ces organisations et le FPLP socialiste n’est pas une nouveauté.

Voici quelques exemples de la manière dont Israël a tenté de réduire au silence certaines de ces organisations, qui ont aujourd’hui été déclarées “terroristes”.

Raids, arrestations et menaces de mort

Addameer

En décembre 2012, l’armée israélienne a fait une descente au siège d’Addamer à Ramallah, confisquant des ordinateurs portables et une caméra vidéo. Les bureaux de l’Union des comités de femmes palestiniennes avaient également été perquisitionnés par les forces d’occupation israéliennes le même jour. L’organisation est l’une des six désormais désignées par Israël comme “terroristes”.

En septembre 2019, les bureaux d’Addameer ont été perquisitionnés une fois de plus. Ce raid militaire israélien n’avait toutefois pas suscité autant d’attention ou d’indignation, malgré la violence qui l’accompagnait, et encore moins la violation flagrante des droits humains. Ensuite, Al-Haq – l’un des six autres groupes palestiniens de fait interdits – avait publié une déclaration avertissant que “la propriété privée des organisations de défense des droits de l’homme en territoire occupé est particulièrement protégée en vertu de l’article 46 du règlement de La Haye (1907)”.

Comme on pouvait s’y attendre, ces contraintes juridiques n’ont guère eu d’importance pour Israël.

Al-Haq

Le personnel d’Al-Haq a été confronté à de nombreuses restrictions au fil des annéess. Shawan Jabarin, le directeur général d’Al-Haq, a été interdit de voyage à plusieurs reprises depuis 2006.

En mars 2009, Israël a empêché Jabarin de se rendre aux Pays-Bas pour y recevoir un prix au nom de son organisation, pour être ensuite autorisé en novembre 2011, à se rendre au Danemark.

Les obstacles israéliens ont commencé à prendre des tournures encore plus sinistres lorsque, en mars 2016, Jabarin a commencé à recevoir des menaces de mort par téléphone. Ces appels anonymes ont commencé à arriver “dans le contexte d’un harcèlement croissant d’Al-Haq et de ses membres, dans le contexte de leur récent travail à la Cour pénale internationale (CPI) pour obtenir justice pour les violations des droits humains commises dans les territoires palestiniens occupés”, a rapporté le site web de Front Line Defenders.

Defense for Children International-Palestine

En juillet, puis en août 2021, les forces israéliennes ont fait une descente dans les bureaux de Defense for Children International – Palestine (DCIP) à Al-Bireh, en Cisjordanie occupée. Elles ont saisi des ordinateurs, des disques durs et d’autres matériels, alléguant un lien entre l’organisation et le FPLP.

Cette allégation avait déjà été avancée en 2018, lorsque UKLFI (UK Lawyers for Israel) a persuadé Citibank et the Arab Bank PLC de cesser de fournir des services bancaires à DCIP, en fournissant ce qu’ils ont défini comme des “preuves des liens étroits” avec le FPLP.

L’objectif des invasions répétées et à grande échelle des troupes d’occupation dans les familles palestiniennes, est de terroriser toute une population en la faisant vivre dans un sentiment permanent d’instabilité et d’absence de sécurité – Photo : via B’Tselem

S’il est vrai que les récentes mesures israéliennes contre les ONG palestiniennes sont la continuation d’une politique déjà ancienne, il existe des différences fondamentales entre la perception croissante d’Israël, aujourd’hui, comme un État d’apartheid et la perception erronée dans le passé, à savoir qu’Israël serait comme une oasis de démocratie.

Même les institutions et les groupes internationaux qui n’ont pas encore qualifié Israël d’État d’apartheid commencent à se familiariser avec la nature antidémocratique du gouvernement israélien.

Un changement “tectonique”

En décembre 2019, et après des années de marchandage, la CPI a acté qu’ “il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur la situation en Palestine, conformément à l’article 53(1) du Statut (de Rome).” Malgré d’intenses pressions israéliennes et occidentales, le dernier obstacle à l’enquête a été levé en février dernier, puisque la CPI a finalement approuvé la demande du Procureur d’ouvrir une procédure judiciaire concernant les crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés, y compris Gaza.

Cette étape juridique a été renforcée par des déclarations majeures, l’une faite par le propre groupe de défense des droits d’Israël, B’tselem, en janvier, et l’autre par HRW en avril, qui ont toutes deux qualifié la politique israélienne en Palestine – et pas seulement dans les territoires occupés – d’ “apartheid”.

Ce changement critique dans la position juridique internationale concernant le nouveau statut peu flatteur d’Israël a été stimulé par les actions violentes d’Israël à Jérusalem-Est, à Gaza et dans toute la Palestine en mai. Contrairement aux guerres précédentes, les événements de mai ont fait basculer la sympathie vers les Palestiniens, qui se battent pour leur liberté, leurs foyers et d’autres droits humains fondamentaux.

Le changement a également été notable au sein des institutions politiques nord-américaines, ce qui est sans précédent à tous points de vue. Un nombre croissant de députés américains critiquent désormais ouvertement l’État d’Israël, en raison d’un changement radical de l’opinion publique américaine et, là encore, sans précédent, ils n’en paient pas le prix fort comme cela a souvent été le cas par le passé en raison de la grande influence du lobby sioniste à Washington.

Le 21 mai, la BBC citait les propos du sondeur américain John Zogby : “Le changement est spectaculaire, il est tectonique”. “En particulier, les jeunes générations sont considérablement plus favorables aux Palestiniens – et ce décalage d’âge a été pleinement affiché avec le parti démocrate”, a noté la BBC.

Les pertes d’Israël ne sont pas seulement morales ou politiques, mais aussi économiques. En juillet dernier, le géant international de la crème glacée Ben & Jerry’s a décidé de cesser de vendre ses produits dans les colonies juives illégales tout en condamnant fermement l’occupation israélienne, une décision qualifiée de “légitime et nécessaire” par Amnesty.

Quelques mois plus tard, le fabricant de vêtements de sport Nike lui a emboîté le pas en annonçant qu’il mettrait fin à la vente de ses produits dans les magasins israéliens à partir de mai 2022, sans toutefois justifier sa décision par un raisonnement politique.

Si Israël continue de s’attaquer à ses détracteurs, il ne semble plus se comporter selon une stratégie centralisée.

En l’absence d’un leadership fort après le détrônement de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu et la formation d’un “gouvernement d’unité” composite, le nouveau gouvernement israélien ne semble pas capable de bloquer les critiques internationales sur sa conduite en Palestine occupée. La notion selon laquelle tout ce que fait Israël peut se justifier comme une forme d’ “autodéfense” n’est tout simplement plus un argument de vente solide.

La guerre de mai est l’exemple parfait de cette affirmation.

Dans le cas des ONG interdites, par exemple, à part l’envoi d’un représentant de l’agence de renseignement israélienne, le Shin Bet, et d’un autre du ministère israélien des Affaires étrangères à Washington le 25 octobre avec des “renseignements pertinents” pour justifier sa décision, Tel Aviv a continué à mener les mêmes politiques qui exposent encore plus son apartheid aux yeux de la communauté internationale.

En effet, le 27 octobre, Israël a annoncé la construction de milliers de nouveaux logements dans des colonies juives illégales, la première mesure de ce type sous la présidence de Joe Biden.

Une illustration parfaite de la nature frénétique de la réponse israélienne est apparue le 29 octobre, lorsque l’envoyé israélien aux Nations unies, Gilad Erdan, lors de son discours à l’Assemblée générale, a déchiré en morceaux un rapport publié par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU illustrant les violations continues du droit international par Israël.

“Le Conseil des droits de l’homme a attaqué et condamné Israël dans 95 résolutions, contre 142 résolutions contre le reste du monde”, a déclaré Erdan. “La place de ce rapport déformé et partial est dans la poubelle de l’antisémitisme”, a-t-il fulminé.

L’apartheid israélien devient une évidence pour tousHRW et d’Amnesty condamnant la mise hors-la-loi de facto des ONG palestiniennes et, une fois de plus, l’enquête de la CPI sont autant de signes de cette prise de conscience.

La question demeure : Israël sera-t-il en mesure d’utiliser son pouvoir, son influence et ses moyens de pression dans les sociétés occidentales pour forcer le monde à accepter et à coexister avec un régime d’apartheid à part entière en Palestine ? Et si oui, alors, pour combien de temps ?

L’exemple de l’apartheid sud-africain a montré que, malgré des décennies d’apartheid et la tolérance initiale, sinon le soutien, par les sociétés occidentales de la séparation raciale légalisée en Afrique du Sud, l’horloge a fini par tourner. Avant même la fin officielle de l’apartheid dans ce pays en 1994, il devenait évident que les jours du régime raciste de Pretoria étaient comptés.

Cette évolution radicale a été possible grâce à une prise de conscience internationale croissante de la nature de l’apartheid, en particulier au niveau des sociétés civiles.

Un scénario similaire semble se dessiner dans le cas de l’apartheid israélien en Palestine. Une masse critique de soutien aux droits des Palestiniens est en train de se construire dans le monde entier, grâce au mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) et à des centaines de groupes de la société civile pro-palestiniens dans le monde entier.

Pendant des années, Israël a semblé vouloir contrer l’influence de la solidarité de la Palestine dans le monde en utilisant une stratégie centralisée. D’importantes sommes d’argent ont été consacrées, ou promises, à cette fin, et une société partiellement contrôlée par le gouvernement a même été créée, en 2017, pour guider la campagne mondiale israélienne.

Une grande partie de tout cela n’a cependant donné guère de résultats, car la campagne BDS continue de se développer, et le débat sur la Palestine et Israël passe progressivement de celui d’un “conflit” politique à la reconnaissance du racisme, de l’apartheid et du mépris total du droit international par Israël.

Bien sûr, il faudra plus de temps, plus d’efforts et certainement plus de sacrifices de la part des Palestiniens et de leurs partisans pour exposer l’apartheid israélien au reste du monde.

Maintenant qu’Israël semble avoir accepté qu’il ne peut pas faire grand-chose pour inverser la tendance, il accélère ses efforts coloniaux, tout en se préparant à une longue confrontation.

Il incombe désormais à la communauté internationale de contraindre Israël à démanteler son régime d’apartheid. Bien que ce soit en fin de compte les peuples qui se libèrent eux-mêmes, la solidarité internationale est essentielle au processus de libération nationale. C’était le cas en Afrique du Sud, et ce sera le cas en Palestine aussi.


24 novembre 2021 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah