Par Hamid Dabashi
L’histoire se souviendra de la Grande Marche du retour comme d’une initiative audacieuse et brillante qui a vaincu l’agression israélienne.
Le monde se souviendra à jamais du massacre israélien de Palestiniens pacifiques et sans défense le 14 mai 2018 à Gaza – le jour même où une délégation de sionistes infâmes emmenée par Ivanka Trump, la fille de Donald Trump, a célébré le transfert officiel de Tel Aviv à Jérusalem de l’ambassade des États-Unis à la colonie de peuplement israélienne.
Les Palestiniens et beaucoup d’autres nations ont d’innombrables souvenirs de ce type de fléaux.
Le massacre du peuple Lakota à Wounded Knee le 29 décembre 1890 par l’armée états-unienne, le massacre de Jallianwala Bagh par les Britanniques en Inde le 13 avril 1919 et le massacre de My Lai par l’armée états-unienne au Vietnam le 16 mars 1968 sont quelques exemples d’une portée comparable à celle de ce que les Israéliens ont fait aux Palestiniens sans défense le 14 mai 2018.
A la fin de cette journée, le ministère de la santé de Gaza a fait savoir que l’armée israélienne soutenue par les États-Unis et l’UE avait assassiné 60 Palestiniens et en avait blessé 2771 – le tout en moins de 24 heures. Les tireurs d’élite israéliens, sous le commandement direct de leurs officiers, sous le commandement direct de leur ministre de la défense, Avigdor Lieberman, sous le commandement direct de leur premier ministre Benjamin Netanyahu, ont assassiné des Palestiniens sans défense.
Netanyahu est le chef de guerre démocratiquement élu d’Israël, élu lors d’élections libres et équitables. Il représente véritablement et démocratiquement l’ensemble de la colonie de peuplement et tous les colonisateurs qui se disent “Israéliens”.
Dans un rapport ultérieur d’Israël, le New York Times expliquait en détail comment les Israéliens, dans l’ensemble, se fichaient bien du nombre de Palestiniens massacrés par leur armée. “Un jour après que leurs soldats eurent tué 60 Palestiniens pour la plupart non armés à Gaza”, le New York Times a rapporté sur sa page Facebook, que “les Israéliens étaient provocateurs, sur la défensive ou blasés,” et “dans certains coins affichaient une bonne dose de ils-l’ont-bien-cherché”.
Israël est Netanyahu. Netanyahu est Israël. Netanyahu et Israël sont le colonialisme de peuplement que les Palestiniens appellent la Nakba ou la “Catastrophe”.
* Hamid Dabashi est un professeur irano-américain titulaire de la chaire Hagop Kevorkian en Etudes iraniennes et Littérature comparée à l’Université Columbia de New York. Collègue et ami d’Edward Saïd, il poursuit sa réflexion critique dans le champ des études postcoloniales. Son compte twitter : @HamidDabashi
Articles du même auteur.
Le 14 mai, plus de 1 300 Palestiniens ont été blessés par des tirs à balles réelles et, sans surprise, certaines des armes utilisées dans le massacre étaient des fusils de fabrication états-unienne. Quand la “biographie présidentielle” de Barack Obama sera écrite, nous nous souviendrons des 38 milliards de dollars d’assistance militaire dont il a fait cadeau aux soldats israéliens pour qu’ils puissent tuer des hommes, des femmes et des enfants palestiniens.
Entre le 30 mars et le 16 mai, l’armée israélienne a assassiné de sang froid sous les yeux du monde entier plus de 110 Palestiniens, dont 12 enfants, deux journalistes et un auxiliaire médical. Plus de 12 700 Palestiniens ont été blessés au cours des manifestations, la plupart d’entre eux nécessitant une hospitalisation.
Après ce massacre commis par les Israéliens contre des Palestiniens pacifiques, Benjamin Netanyahu et tous les autres dirigeants israéliens doivent répondre des crimes de guerre israéliens.
Tous les présidents états-uniens, sans exception, depuis 1948, des plus populaires aux plus détestés, morts ou vivants, doivent également répondre de leur soutien inconditionnel à un État qui commet systématiquement des crimes de guerre depuis des décennies.
Il en va de même pour Nikki Haley et tous les autres ambassadeurs américains à l’ONU avant elle qui ont opposé leur veto à la condamnation d’Israël par la communauté internationale. Et pour l’entière prestation des “médias occidentaux“, qui travestissent et falsifient ces faits pour disculper leur colonie de peuplement préférée. Et pour tout artiste, tout universitaire, toute personnalité publique qui franchit la frontière tracée par le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions pour chanter et danser sur les cadavres des Palestiniens afin de divertir les Israéliens.
Nous nous souviendrons
De par leur initiative historique, brillante et audacieuse, appelée Grande Marche du retour, les Palestiniens ont laissé derrière eux tous leurs dirigeants politiques (le Fatah comme le Hamas), sont remonté 70 ans en arrière au moment de leur expulsion pernicieuse de leur patrie et ont mis les occupants israéliens sur la défensive. Le prince saoudien sioniste Mohammed bin Salman leur avait dit « de se taire ». Ils lui ont montré qu’ils ne le feraient pas.
En raison de leur héroïsme, le drapeau israélien, le terme même “Israël” est aujourd’hui – comme il l’a toujours été – synonyme de meurtriers de masse, de massacres, de voleurs de terre, de génocide progressif, de crimes de guerre. Tout ce que les Palestiniens ont fait, c’est de manifester pour leur droit au retour, et les soldats israéliens ont commencé à leur tirer dessus en masse.
Depuis le 30 mars, les Palestiniens accomplissent un acte spectaculaire de désobéissance civile non violente. Israël et ses alliés politiques et médiatiques en Occident ont tout fait pour diminuer l’importance et le pouvoir de ce que les Palestiniens ont réalisé.
Il y a eu des éditoriaux répugnants dans le Washington Post et le New York Times ; il y a eu des déclarations scandaleuses de la part de gouvernements occidentaux ; il y a également eu une régurgitation aveugle de la ligne de défense israélienne qui rend le Hamas responsable de la violence par de prétendus progressistes comme Bernie Sanders. Ce qui met fin à son rôle d’agent moral de changement aux États-Unis. Il n’est désormais plus très différent de Hilary Clinton et du reste du Parti démocrate.
Mais malgré tous ces efforts malveillants pour salir la marche, la vérité brille toujours avec éclat. Les Palestiniens ont envoyé un signal à tous les êtres humains dignes de ce nom et civilisés de la planète Terre pour qu’ils transmettent leur message et fassent honneur à leur soulèvement révolutionnaire pour récupérer leur patrie et garantir leurs libertés civiles.
En un geste politique ingénieux et courageux, les Palestiniens ont montré Israël pour ce qu’il est – un projet colonial illégitime – rien de moins, rien de plus – et ils l’ont fait tandis que les sionistes célébraient leur “indépendance”, que les Palestiniens appellent à juste titre la Nakba. La Grande Marche du Retour a été le triomphe symbolique et moral de la Nakba palestinienne sur “l’indépendance” israélienne.
Comme toutes les autres forces d’occupation de la patrie de quelqu’un d’autre, l’armée israélienne pense être le narrateur de ce qui s’est passé le 14 mai – ou dans les semaines sanglantes qui ont précédé ce jour-là. Ce n’est pas le cas.
Les Palestiniens (et non le Hamas) sont pleinement aux commandes. Aujourd’hui, des générations après les travaux pionniers d’Edward Said, Mahmoud Darwish, Michel Khleifi, Ghassan Kanafani et Mona Hatoum, les Palestiniens sont pleinement maîtres de leur représentation – dans les domaines de l’érudition, de l’art, de la poésie et de la littérature.
Leur âme invincible
Le 14 mai, le sort de notre humanité s’est écrit à Gaza – personne ce jour là ne pouvait rester simple spectateur. Soit vous êtes un être humain avec une conscience morale et du côté des Palestiniens, soit vous êtes de l’autre côté. Ce fut une bataille épique entre le bien sans défense et le mal sauvagement armé.
Que reste-t-il à faire après le massacre du 14 mai ? Tout ! Ce jour-là, les Palestiniens ont donné au monde une leçon inestimable – un cours de maître de leur pouvoir de dignité et de défi. Par un acte audacieux de mobilisation révolutionnaire non violente, ils ont dit au monde que les Palestiniens n’iraient nulle part – que la Palestine est à eux, qu’ils sont les maîtres de leur destin – les habitants de leur patrie – et que ni leurs dirigeants corrompus ou incompétents, ni les colonisateurs éhontés qui occupent leur pays n’ont leur mot à dire dans cette affaire.
Le 14 mai, les Palestiniens ont restauré notre humanité en nous renvoyant à l’école pour apprendre la signification renouvelée de l’immortel “Invictus” (de William Ernest Henley, 1849-1903).
“De la nuit qui m’enveloppe,” chantaient-ils le corps criblé de balles, les os broyés, et l’âme belle:
“Noire comme un gouffre insondable
Je remercie les dieux quels qu’ils soient
Pour mon âme invincible.
Pris en tenaille par des circonstances cruelles
Je n’ai ni grimacé, ni gémi.
Sous les coups du hasard
J’ai la tête ensanglantée, mais haute.
Au-delà de ce lieu de colère et de pleurs
Ne surgit que l’horreur de l’ombre,
Et pourtant la menace des ans
Me trouve, et me trouvera sans peur.
Quelle que soit l’étroitesse de la voie,
Les épreuves en réserve,
Je suis le maître de mon destin :
Je suis le capitaine de mon âme.”
Auteur : Hamid Dabashi
22 mai 2018 – aljazeera.com – Traduction: Chronique de Palestine – MJB