Par Imad K Harb
Les Palestiniens ont perdu leurs alliés arabes du fait que les régimes arabes sont de plus en plus autoritaires et de plus en plus dépendants des États-Unis.
Lorsque les forces sionistes se sont lancées dans le nettoyage ethnique de la Palestine pour créer l’État d’Israël en 1948, le monde arabe a été choqué par la tragédie qui frappait le peuple palestinien.
Elle a suscité la colère des nations arabes qui menaient leurs propres luttes anticoloniales et a élevé la libération de la Palestine au rang de cause panarabe.
Mais au fur et à mesure que les régimes arabes, tant républicains que monarchiques, se renforçaient, la cause palestinienne a progressivement perdu de son attrait et de son utilité aux yeux de leurs dirigeants.
L’abandon des Palestiniens par les régimes arabes est directement lié à leur nature non démocratique et à leur dépendance politique permanente à l’égard des États-Unis, principal soutien d’Israël et de son projet de colonisation.
La Palestine apparaît aujourd’hui comme une question secondaire dans l’agenda politique arabe, au moment où de nombreux États font la paix et normalisent leurs relations avec Israël, le seul État colonial qui subsiste dans le monde arabe, tout en imputant la responsabilité de ce triste état de fait à la scission politique en Palestine.
La censure autocratique de la Palestine
La cause palestinienne a toujours été, et demeure dans les faits, au cœur des préoccupations du public arabe. Elle est aussi un des totems de sa liberté d’expression.
Autrefois, les régimes avaient du mal à empêcher leurs peuples d’exprimer leur solidarité avec les Palestiniens qui vivent comme des citoyens de seconde zone en Israël, sous occupation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et dans des conditions sordides dans les camps de réfugiés de toute la région.
Mais à mesure que les gouvernements arabes devenaient plus autoritaires et plus puissants, il est devenu plus difficile de défendre la cause palestinienne. Le contrôle croissant du discours public, la censure grandissante et l’escalade de la violence politique ont réduit au silence toute dissidence dans le monde arabe.
Non seulement il est interdit d’appeler au changement démocratique dans les pays arabes, mais les expressions de solidarité avec les Palestiniens font également l’objet d’une répression brutale, car les régimes cherchent à contrôler le discours sur la cause palestinienne.
Cette mainmise sur la manière dont la lutte palestinienne est présentée au public a pour but de dissimuler le fait que les régimes arabes ont quasiment renoncé à tout effort politique significatif en faveur des Palestiniens.
Leur soutien officiel se limite à une rhétorique trompeuse et à des gestes symboliques car ils veulent avant tout éviter la confrontation avec Israël et son mentor, les États-Unis.
Ce choix, préjudiciable à la lutte palestinienne et à la solidarité populaire arabe, a permis aux gouvernements arabes, confrontés à une myriade de problèmes politiques, économiques et sociaux, de consacrer leur énergie à leur propre survie.
L’abandon de la Palestine aux mains des États-Unis
En 1977, quelques mois avant son voyage fatidique en Israël, qui a ouvert la voie à un accord de paix entre l’Égypte et Israël sous l’égide des États-Unis, le président égyptien Anouar el-Sadate a déclaré avec humour que Washington détenait « 99 % des cartes » au Moyen-Orient.
L’effondrement de l’Union soviétique, 14 ans plus tard, a renforcé cette réalité et la dépendance des pays arabes à l’égard des États-Unis n’a fait que croître depuis lors.
Cherchant à maintenir de bonnes relations avec la superpuissance, les régimes arabes ont donné à Washington – principal fournisseur d’armes et soutien militaire d’Israël – le contrôle des efforts de paix dans la région. Les dirigeants arabes se sont donc privés de la possibilité d’influer positivement sur les décisions concernant les Palestiniens.
Lentement mais sûrement, les droits du peuple palestinien ont été relégués au second plan par des gouvernements arabes qui voyaient dans les États-Unis le principal garant de leur survie politique et de leurs intérêts économiques immédiats.
Le processus de normalisation entre certains États arabes et Israël, sous la houlette de l’administration Trump, n’est qu’un nouvel exemple de l’abandon progressif de la cause palestinienne par les Arabes.
Il a culminé avec les accords dits d’Abraham qui, malgré tous les « avantages » promis, ne répondaient à aucune des aspirations sociales et nationales des Palestiniens.
En fait, la normalisation arabe avec Israël n’a fait qu’enhardir l’État sioniste, qui a redoublé de violence, et ouvrir la voie à l’annexion de facto de la Cisjordanie occupée.
L’escalade de la violence des colons à l’encontre du peuple palestinien, y compris le récent pogrom contre le village palestinien de Huwara, et les appels ouverts des responsables israéliens à l’épuration ethnique sont le reflet de la certitude inébranlable d’Israël de pouvoir commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en toute impunité.
En réponse à l’agression israélienne, les gouvernements arabes se contentent désormais de vaines protestations.
L’excuse de la scission politique palestinienne
La Palestine n’a pas eu de direction politique unifiée depuis 2007, date à laquelle le Hamas a pris la tête du gouvernement de la bande de Gaza à la place de l’Autorité palestinienne (AP) contrôlée par le Fatah.
Pire encore, l’AP, qui est l’organe internationalement reconnu pour gouverner les territoires palestiniens occupés, a perdu presque toute sa légitimité aux yeux de la population palestinienne.
La scission politique palestinienne n’a pas seulement joué en faveur d’Israël, elle est aussi devenue une excuse commode pour les régimes arabes qui ne veulent pas faire avancer la cause palestinienne.
Ils se disent cyniquement que si les Palestiniens – qui luttent depuis de dizaines d’années pour leur indépendance- n’ont pas de position unifiée, pourquoi et comment le monde arabe pourrait-il œuvrer en leur faveur ?
De plus, la plupart des régimes arabes se sont ralliés à l’AP qui a adopté les mêmes méthodes autoritaires qu’eux. Elle refuse de rendre des comptes au peuple palestinien et ne fait pratiquement rien pour défendre les droits nationaux et les droits humains des Palestiniens.
En blâmant la désunion palestinienne et en prétendant soutenir les Palestiniens par l’intermédiaire de l’AP, les régimes arabes ont essentiellement abdiqué leur responsabilité à leur égard.
Abandonnés par les dirigeants arabes, les Palestiniens se retrouvent sans alliés apparents dans leur lutte contre une occupation et un apartheid de plus en plus brutaux.
Le « processus de paix » négocié par les États-Unis est manifestement une farce et les institutions internationales, telles que les Nations unies, sont trop faibles – ou plutôt intentionnellement affaiblies par les États-Unis – pour prendre des mesures significatives en leur faveur.
Et pourtant, le statu quo qui préside à la dépossession palestinienne, à la vie sous une occupation brutale et à l’apartheid israélien ne peut pas durer. La question palestinienne reste la plaie ouverte du monde arabe.
Aujourd’hui, il est clair que les Palestiniens sont seuls pour mener leur lutte de libération – une lutte fondée sur un projet national incluant tous les secteurs de la société palestinienne en Palestine et dans la diaspora et reposant sur les idées d’inclusion, de pluralisme et de démocratie.
Les institutions nationales palestiniennes ossifiées doivent être renouvelées par le biais de processus démocratiques ouverts, y compris l’élection de nouveaux dirigeants pour prendre la relève des anciennes élites qui ont échoué.
La société civile palestinienne, les institutions éducatives et sociales, le mouvement de jeunesse et d’autres organisations doivent également participer à l’élaboration de ce projet national.
Quant à l’ordre politique arabe, il a prouvé qu’on ne pouvait pas compter sur lui tant il est autoritaire et dépendant du pouvoir même qui soutient Israël et appuie ses politiques coloniales.
Le monde arabe sera peut-être un jour capable d’aider les Palestiniens, mais il faudra d’abord qu’il entame son propre processus de démocratisation et de renaissance.
Auteur : Imad K Harb
* Imad K Harb est directeur de la recherche et de l'analyse au Centre arabe de Washington DC.
14 mai 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet