Par Romana Rubeo, Ramzy Baroud
Le 4 février, des représentants du mouvement palestinien Hamas, se sont rendus à Moscou pour informer le gouvernement russe des derniers développements sur les pourparlers d’unité entre le mouvement islamique et ses homologues palestiniens, en particulier le Fatah.
Ce n’était pas la première fois que des responsables du Hamas se rendaient à Moscou pour des missions similaires. En fait, Moscou continue de représenter une référence politique important pour le Hamas, volontairement isolé par les soutiens occidentaux d’Israël. Plusieurs gouvernements arabes sont également impliqués dans ce déni, et ils ont sans aucun doute, fait très peu pour briser le siège israélien sur Gaza.
La proximité Russie-Hamas porte déjà ses fruits. Le 17 février, des expéditions du vaccin russe COVID-19, Spoutnik V, sont arrivées à Gaza via Israël, témoignage de cette relation qui se renforce.
Alors que la Russie seule ne peut pas provoquer un changement de paradigme complet dans le cas de la Palestine, le Hamas estime qu’une alternative russe au soutien aveugle et inconditionnel des États-Unis à Israël est possible, sinon urgente.
Récemment, nous avons interviewé le Dr Daud Abdullah, l’auteur de Engaging the World: The Making of Hamas’s Foreign Policy, et M. Na’eem Jeenah, directeur de l’Afro-Middle East Centre à Johannesburg, qui a publié le livre du Dr Abdullah.
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L’ouvrage d’Abdullah sur le Hamas est une lecture incontournable, car il offre une vision unique du Hamas, affranchissant le débat sur le Mouvement [de la résistance islamique] du carcan de la perception des médias occidentaux qui traitent le Hamas comme une organisation terroriste, ainsi que des questions reconventionnelles. Dans ce livre, le Hamas est considéré comme un acteur politique, dont la résistance armée n’est qu’une des composantes d’une stratégie complexe et de grande envergure.
Pourquoi la Russie ?
Alors que Moscou continue de consolider sa présence dans la région en se présentant comme un partenaire politique et, par rapport aux États-Unis, un médiateur plus équilibré entre Israël et les Palestiniens, le Hamas voit le rôle croissant de la Russie comme une occasion rare de sortir de l’isolement imposé par les États-Unis et Israël.
«La Russie était membre du Quatuor qui a été créé en 2003 mais, bien sûr, en tant que membre du Conseil de sécurité (des Nations Unies), elle a toujours eu la capacité d’alimenter le discours sur la Palestine», a déclaré Abdullah, ajoutant que à la lumière de «la disparition progressive de l’influence américaine, la Russie s’est rendu compte qu’il y avait un vide naissant dans la région, en particulier après les soulèvements (arabes)».
«En ce qui concerne le Hamas et la Russie, la relation a décollé après les élections (palestiniennes) de 2006, mais ce n’était pas à l’initiative du Hamas; c’était (le président russe Vladimir) Poutine qui, lors d’une conférence de presse à Madrid après les élections, a déclaré qu’il était disposé à accueillir les dirigeants du Hamas à Moscou. Parce que la Russie cherche une place dans la région.»
La volonté du Hamas de s’engager avec les Russes a plus d’une raison, la principale étant que Moscou, contrairement aux États-Unis, a refusé de se conformer à la représentation israélienne du Mouvement. «La différence fondamentale entre la Russie et l’Amérique et la Chine… est que les Russes et les Chinois ne voient pas le Hamas comme une ‘organisation terroriste ‘; ils ne l’ont jamais fait, contrairement aux Américains, et cela leur a donc permis de s’engager ouvertement avec le Hamas», a écrit Abdullah.
Entre “objectifs stratégiques et flexibilité tactique”
Dans son livre, Abdullah écrit sur les accords d’Oslo de 1993, qui ont représenté un moment décisif, non seulement pour le Hamas mais aussi pour toute la lutte de libération palestinienne. Le passage à un «processus de paix» dirigé par les États-Unis a contraint le Hamas à maintenir un équilibre délicat «entre les objectifs stratégiques et la flexibilité tactique».
Abdullah a écrit :
“Le Hamas considère les relations extérieures comme une partie intégrante et importante de son idéologie politique et de sa stratégie de libération. Peu après l’émergence du Mouvement, des politiques étrangères ont été élaborées pour aider ses dirigeants et ses membres à dépasser cette tension entre idéalisme et réalisme. Ce pragmatisme est évident dans le fait que le Hamas a pu établir des relations avec les régimes de Mouammar Kadhafi en Libye et de Bachar al-Assad en Syrie, tous deux farouchement opposés aux Frères musulmans.”
Et il a ensuite développé, à l’occasion de notre entretien :
“D’emblée, le Hamas a adopté certains principes concernant ses relations internationales, puis ensuite dans la définition d’une politique étrangère. Parmi ceux-ci se trouvent le maintien de son indépendance de décision, le non-alignement dans des blocs conflictuels, le refus de l’ingérence dans les affaires d’autres États.”
M. Jeenah, écrivain, a également parlé de cet «équilibre délicat».
«C’est un équilibre délicat et difficile à maintenir car, à ce stade, lorsque les mouvements sont considérés et se considèrent comme des mouvements de libération, ils doivent avoir des normes morales et éthiques plus élevées que, par exemple, les gouvernements», a déclaré Jeenah.
«De fait, nous nous attendons à ce que les gouvernements fassent des choix difficiles mais, avec les mouvements de libération, ce n’est pas le cas, car ils sont tous axés sur l’idéalisme et la création d’une société idéale, etc…»
Pour illustrer son propos, Jeenah se réfère à la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud qui, à bien des égards, est comparable à la lutte palestinienne pour la liberté :
“Lorsque le mouvement de libération en Afrique du Sud s’est retrouvé en exil, ils ont adopté une position similaire. Alors que certains d’entre eux pouvaient avoir une allégeance particulière à l’Union soviétique ou à la Chine, d’autres avaient également de fortes relations dans les pays européens, qu’ils considéraient comme faisant partie du plus grand empire. Néanmoins, ils avaient la liberté d’y opérer. Certains d’entre eux ont opéré dans des pays africains où il y avait des dictatures, et ils ont obtenu la protection de ces États.”
Le Hamas et la question de l’unité nationale
Dans son livre, qui assurément sera une lecture de référence sur le sujet, Abdallah énumère six principes qui guident l’agenda politique du Hamas. L’un de ces principes directeurs est la «recherche d’un terrain d’entente».
En abordant la question du factionnalisme palestinien, nous avons soutenu que, bien que le Fatah n’ait pas réussi à créer une plate-forme commune et théoriquement démocratique permettant aux Palestiniens d’interagir politiquement, le Hamas ne peut être totalement irréprochable. Si tel était pourtant le cas, peut-on alors affirmer que le Hamas a réussi dans sa recherche d’un terrain d’entente si difficile à trouver ?
Abdullah répond :
“Permettez-moi de commencer par ce qui s’est passé après les élections de 2006. Bien que le Hamas ait gagné de manière incontestable et qu’il aurait pu former un gouvernement, il a décidé d’opter pour un gouvernement d’unité nationale. Ils ont offert à (le président de l’Autorité palestinienne) Mahmoud Abbas et au (son parti) Fatah de se joindre à un gouvernement d’unité nationale. Ils ne voulaient pas gouverner par eux-mêmes. Et cela, pour moi, est emblématique de leur vision, de leur engagement en faveur de l’unité nationale.”
Mais la question de l’unité nationale, aussi désirée et urgente soit-elle, ne dépend pas que des Palestiniens.
“L’OLP est l’organisation qui a signé les accords d’Oslo», a déclaré Abdullah, «et je pense que c’est l’une des faiblesses du Hamas : alors qu’il veut l’unité nationale et une réforme de l’OLP, le fait est Israël et l’Occident feront tout pour interdire au Hamas de faire partie de l’OLP, car ce serait la fin d’Oslo.”
Des élections sous occupation militaire
Le 15 janvier, Abbas a signé un décret officiel pour la tenue d’élections palestiniennes, d’abord présidentielles, puis législatives, puis des élections au sein du Conseil national palestinien (PNC) de l’OLP, qui a toujours servi de parlement palestinien en exil. La première phase de ces élections est prévue le 22 mai.
Mais cela résoudra-t-il le problème endémique de la représentation politique palestinienne ? De plus, est-ce la véritable évolution historique des mouvements de libération nationale – la démocratie sous occupation militaire, suivie de la libération, au lieu de l’inverse ?
Jeenah a parlé de cette dichotomie: «D’une part, les élections sont l’occasion pour les Palestiniens d’exprimer leurs choix. D’un autre côté, qu’est-ce que l’élection vraiment ? Nous ne parlons pas d’élections démocratiques pour l’État, mais pour une autorité bantoustan, avec plus de restrictions que sous l’autorité sud-africaine.»
De plus, la «puissance occupante israélienne» ne commettra pas l’erreur qu’elle a commise la dernière fois. Elle ne permettra pas une telle liberté où Hamas avait remporté les élections. Je ne pense pas qu’Israël le permettra maintenant.»
Pourtant, il y a une lueur d’espoir dans ce scénario peu prometteur. Selon Jeenah, «je pense que la seule différence que cette élection pourrait faire est de permettre une sorte de réconciliation entre Gaza et la Cisjordanie.”
Le Hamas, la CPI et les crimes de guerre
Ensuite, il y a la question importante de l’enquête à venir sur les crimes de guerre, par la Cour pénale internationale (CPI). Pourtant, lorsque la CPI a accepté d’examiner les allégations de crimes de guerre en Palestine, il est probable que non seulement les présumés criminels de guerre israéliens fassent l’objet d’une enquête, mais l’enquête pourrait également envisager l’interrogatoire des Palestiniens. Cela ne devrait-il pas concerner le moins du monde le Hamas ?
Dans les guerres israéliennes contre Gaza en 2008, 2012 et 2014, le Hamas, ainsi que d’autres groupes armés n’avaient d’autre choix que de «défendre la population civile», a déclaré Abdullah, soulignant que le «concept primordial» est que le Mouvement «croit dans le principe du droit international. »
Si le Hamas «peut restaurer les droits du peuple palestinien par des voies légales, alors ce sera beaucoup plus facile pour le Mouvement, plutôt que de devoir opter pour la lutte armée», a affirmé Abdullah.
Comprendre le Hamas
Sans aucun doute, il est crucial de comprendre le Hamas, non seulement dans le cadre du discours analytique sur la Palestine, mais dans le discours politique quotidien concernant la Palestine. Et en fait, dans toute la région. Le livre d’Abdullah est lui-même essentiel à cette compréhension.
Jeenah a fait valoir que le livre d’Abdullah n’était pas nécessairement un «texte d’introduction au mouvement Hamas. Il a un objectif particulier, qui est le développement de la politique étrangère du Hamas. L’importance de cela, en général, est d’abord qu’il n’existe pas de texte qui traite spécifiquement de la politique étrangère du Hamas. Ce que fait ce livre, c’est présenter le Hamas comme un véritable acteur politique.»
L’évolution du discours et du comportement politiques du Hamas depuis sa création, selon Jeenah, est «fascinante».
Beaucoup sont d’accord. Commentant le livre, un historien israélien de premier plan, le professeur Ilan Pappé, a écrit :
“Ce livre conteste avec succès la représentation erronée et courante du Hamas en Occident. C’est une lecture incontournable pour toute personne engagée dans la question de Palestine et intéressée par une introduction honnête à cet important mouvement palestinien.”
* Editrice du site internet Palestine Chronicle, Romana Rubeo est traductrice freelance et vit en Italie. Elle est titulaire d’une maîtrise en langues et littératures étrangères et spécialisée en traduction audiovisuelle et journalistique. Ses centre d'intérêt sont principalement la politique et la géopolitique.Suivez ses comptes Facebook et Twitter. * Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.Auteur : Romana Rubeo
Auteur : Ramzy Baroud
2 mars 2021 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
Présentation intéressante d’un ouvrage original sur le Hamas.
Mais on reste sur notre faim. Comment l’auteur analyse-t-il les relations du Mouvement avec les pays voisins ? La Russie ne peut pas prendre la place des USA. Les acteurs locaux ont davantage de responsabilités. Nous aimerions en savoir plus sur la stratégie de la Résistance islamique et ses applications en ce qui concerne par exemple l’Egypte, la Syrie, le Qatar…
Merci pour votre message. Nous ne pouvons que recommander la lecture de l’ouvrage en question, en attendant (et souhaitant) une version française, même si que partielle.