Par Ramzy Baroud
Un «revers majeur» a été l’expression qui revenait le plus souvent dans de nombreux titres de presse qui traitaient du résultat des élections générales israéliennes du 23 mars.
Bien que cette qualification fasse précisément référence à l’échec du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à obtenir une victoire décisive lors de ces quatrièmes élections en deux ans, ce n’est qu’une partie de ce qui est advenu.
Assurément c’était un revers pour Netanyahu, qui a sollicité à plusieurs reprises les électeurs israéliens – comme dernière bouée de sauvetage – dans l’espoir d’échapper à une litanie de problèmes : les divisions au sein de son parti du Likud, les manœuvres constantes de ses anciens partenaires, ses procès pour corruption, son manque de vision politique où ses intérêts et ceux de sa famille priment sur le reste.
Mais comme ce fut le cas lors des trois élections qui ont précédé, le résultat de cette quatrième consultation a été identique. Cette fois, le camp d’extrême-droite de Netanyahu, donc les partenaires potentiels d’une coalition pour gouverner, se compose en plus du Likud qui a remporté 30 sièges à la Knesset, de partis encore plus “ultras” : le “Shas”, avec 9 sièges, “Le judaïsme unifié de la Torah” avec 7, et le “Sionisme religieux” avec 6.
En disposant seulement de 52 sièges, les bases arrières de Netanyahu sont encore plus vulnérables et plus extrémistes que jamais.
“Yamina”, en revanche, qui dispose de 7 sièges, serait un partenaire logique dans la possible coalition de Netanyahu. Dirigé par un politicien très actif et très à droite, Naftali Bennett – qui a été ministre dans diverses coalitions de droite dirigées par Netanyahu – se situe d’un point de vue idéologique encore plus à droite de Netanyahu.
Homme politique pourri d’ambition, Bennett a depuis des années, tenté d’échapper à la main-mise de Netanyahu et revendiqué la direction de la droite. Bien que rejoindre une autre coalition de droite, à nouveau dirigée par Netanyahu, n’est guère le meilleur des choix, Bennett pourrait revenir temporairement dans le camp de Netanyahu, à contrecœur et par manque d’alternative.
Bennett pourrait cependant emprunter une autre voie – identique à celle empruntée par l’ancien Likudiste, Gideon Saar de “Nouvel espoir” et Avigdor Lieberman de “Yisrael Beiteinu” – consistant à évincer Netanyahu en formant un coalition, même si celle-ci ne devait guère durer.
En effet, un camp anti-Netanyahu n’a pas grand chose en commun, ni en termes de politique, d’idéologie ou d’ethnicité – une composante cruciale de la politique israélienne – autre que leur désir partagé d’en finir avec Netanyahu.
Si une coalition anti-Netanyahu est, d’une façon ou d’une autre, bricolée – unissant “Yesh Atid” (17 sièges), “Kahol Lavan” (8), “Yisrael Beiteinu” (7), le “Parti travailliste” (7), “Nouvel espoir” (6), la “Liste commune” arabe (6), le “Meretz” (6) – la coalition ne parviendrait toujours pas à atteindre le seuil nécessaire de 61 sièges.
Pour éviter de retourner devant les urnes pour la cinquième fois en l’espace d’un peu plus de deux ans, la coalition anti-Netanyahu serait obligée de franchir de nombreuses lignes rouges politiques. Par exemple, les anciens alliés racistes anti-arabes de Netanyahu, à savoir Lieberman et Sa’ar, devraient accepter de se joindre à une coalition qui comprendrait la “Liste commune” arabe.
Cette dernière devrait franchir le même pas, en s’alliant avec des partis politiques ouvertement racistes, chauvins et bellicistes.
Mais ce serait toujours insuffisant et la coalition anti-Netanyahu ne parviendrait toujours pas à obtenir le nombre nécessaire de sièges. Avec 57 sièges, ils ont encore besoin du support de “Yamina” de Bennet ou de la “Liste Arabe Unie (Ra’am)” de Mansour Abbas.
Bennett, connu pour son radicalisme idéologique, imagine bien qu’une coalition avec les Arabes et la gauche pourrait mettre en péril sa position au sein de sa base, à savoir la droite et l’extrême droite. S’il devait se joindre à une coalition anti-Netanyahu, ce serait dans le seul but de faire voter une loi à la Knesset qui empêche les dirigeants traduits devant la justice de participer aux élections.
Tell est l’objectif stratégique de Lieberman depuis un certain temps. Une fois cette mission accomplie, ces partenaires contre-nature de la coalition tomberaient à bras raccourcis les uns sur les autres pour s’approprier les dépouilles du leadership de Netanyahu.
Quant à Mansour Abbas de “Ra’am”, l’histoire est bien différente car non seulement il a trahi l’unité arabe plus que jamais nécessaire face à la menace existentielle posée par la politique israélienne anti-arabe, mais il a aggravé son cas en suggérant qu’il pourrait se joindre à une coalition dirigée par Netanyahu.
Cependant, même pour un Abbas totalement opportuniste, rejoindre une coalition de droite composée de groupes qui hurlent ou peinturlurent dans la rue “Mort aux Arabes” peut être extrêmement risqué.
Du point de vue des Arabes en Israël, la politique d’Abbas tient déjà de la trahison. Rejoindre des kahanistes racistes et violents – qui figuraient sur la liste du “Sionisme religieux” – pour former un gouvernement dont l’objectif serait de sauver la carrière politique de Netanyahu, placerait ce politicien inexpérimenté et risque-tout en contradiction directe avec sa propre communauté arabe palestinienne.
Comme solution alternative [mais peu différente] Abbas fera peut-être le choix de voter en faveur de la coalition anti-Netanyahu sans y participer formellement. Comme dans le cas de Bennett, les deux possibilités feraient d’Abbas un “faiseur de roi” potentiel, un scénario idéal pour soigner son ego mais moins intéressant du point de vue d’une coalition qui, si elle était formée, serait encore plus instable.
Par conséquent, il ne suffit pas de considérer le résultat des dernières élections israéliennes comme un “revers” pour Netanyahu seul. Bien que ce soit exact, c’est aussi un revers pour tous les autres. Netanyahu n’a pas réussi à obtenir une majorité incontestable, mais ses ennemis, eux également, ont échoué à convaincre les électeurs israéliens de la nécessité d’exclure Netanyahu de la politique.
Ce dernier reste le leader incontesté de la droite israélienne et son parti du Likud est toujours en tête des suffrages avec une différence de 13 sièges par rapport à son plus proche rival.
Bien que le prétendu “centre” se soit temporairement unifié lors des dernières élections sous le nom de “Kahol Lavan” (“Bleu et Blanc”), il s’est rapidement désintégré, et cela est également vrai pour les partis arabes autrefois unis. Se séparant juste avant ces quatrièmes élections, ces partis ont gaspillé les suffrages arabes et, avec eux, tout espoir que la politique israélienne raciste, militariste et religieusement fanatique puisse être contestée de l’intérieur.
Finalement, que Netanyahu reste ou s’en aille, le prochain gouvernement israélien restera très certainement fermement ancré à droite. De plus, avec ou sans le plus ancien Premier ministre d’Israël, il est peu probable qu’Israël puisse trouver une figure politiquement unificatrice, capable de marquer la politique du pays au-delà d’un culte de la personnalité à la mode Netanyahu.
Quant aux questions de mettre fin à l’occupation israélienne de la Palestine, de démanteler le système d’apartheid et, avec lui, les colonies juives [toutes illégales au regard du droit international], elles restent hors de portée car ces sujets étaient totalement exclus des débats qui ont précédé les dernières élections.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
24 mars 2021 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah