Par Zarefah Baroud
Israël est signataire de la Convention contre la torture et pourtant il continue à torturer les Palestiniens en toute impunité.
Le 15 juin 2016, les forces israéliennes ont arrêté Mohammed El-Halabi, le directeur de la branche de Gaza de World Vision, une organisation chrétienne d’aide humanitaire. Mohammed était accusé d’avoir détourné de l’argent de World Vision vers des groupes de résistance à Gaza.
Les enquêtes menées à la fois par World Vision et par le gouvernement australien n’ont trouvé aucune preuve de détournement ou de mauvaise utilisation des fonds.
Mohammed a néanmoins été soumis à 52 jours d’interrogatoire et de torture. Son père, Khalil El-Halabi, a témoigné des tortures subies par son fils pendant ces mois de détention : “Les agents des services de renseignement israéliens lui ont placé un sac sale sur la tête et l’ont pendu au plafond pendant de longues périodes.”
Mohammed a également été privé de sommeil et fréquemment tabassé par les officiers israéliens qui le giflaient, “lui donnaient des coups de pied, en particulier dans les parties génitales, puis l’étranglaient jusqu’à ce qu’il ait l’impression d’être sur le point de mourir… Parfois, ils le plaçaient dans une petite pièce et jouaient de la musique extrêmement forte jusqu’à ce que la douleur dans ses oreilles devienne insupportable. En été, ils le déshabillaient, puis le soumettaient à des jets d’air chaud. Ils répétaient le même processus en hiver, mais avec de l’air froid, à la place.”
Plus de cinq ans plus tard, Mohammed est toujours en détention en Israël.
Pour les détenus palestiniens en Israël, ces expériences sont malheureusement loin d’être exceptionnelles. À l’occasion du 37e anniversaire de la rédaction par les Nations Unies de la Convention contre la torture (UNCAT), la communauté internationale doit exiger qu’il soit mis fin à la torture systémique des détenus palestiniens par Israël.
L’UNCAT a été mise en œuvre le 26 juin 1987 et ratifiée par Israël le 3 octobre 1991. La participation d’Israël peut sembler surprenante au vu des nombreuses violations des droits de l’homme dont il a été accusé au cours des dernières décennies, y compris le recours à la torture, par des organisations de défense des droits de l’homme très respectées, telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch.
Jusqu’en 1999, la torture était considérée comme un moyen légal d’obtenir des aveux en Israël, en particulier pour les détenus palestiniens “de sécurité”.
Cependant, une fois qu’elle a été rendue illégale par la Cour suprême d’Israël, le procureur général israélien a promis de protéger tout interrogateur qui continuerait à utiliser des “moyens spéciaux”. Et en effet, des moyens spéciaux ont continué à être employés, Israël faisant de larges exceptions à cette loi, notamment dans ce qu’il appelle les scénarios de “bombe à retardement”.
Selon Amnesty International, “les agents du Shin Bet ont torturé des centaines de Palestiniens en invoquant le scénario de la “bombe à retardement”.”
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Non seulement ces exceptions permettent à ces pratiques flagrantes et pourtant routinières de se poursuivre sans conséquence, mais elles violent directement l’article 2 de la Convention.
L’article 2 section 2 stipule : “Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.” Israël a été critiqué par le Comité des Nations unies contre la torture pour son incapacité à respecter cette norme incontournable.
En outre, l’incapacité des tribunaux israéliens à définir pleinement ce qu’ils considèrent comme de la torture n’exonère pas Israël de son obligation envers la définition de la torture de l’UNCAT. Selon la Convention, le terme de “torture” est défini comme suit :
“Aux fins de la présente Convention, le terme ‘torture’ désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.”
Les formes courantes de torture physique et mentale qui sont souvent pratiquées par les interrogateurs et les officiers israéliens, généralement sur des Palestiniens pendant les interrogatoires et en détention, comprennent le menottage douloureux, le maintien dans des positions de stress douloureuses et la privation de sommeil.
Il y a également eu des rapports et des comptes rendus de menaces de viol, et de viols ou d’agressions sexuelles réels, principalement sur des femmes palestiniennes, par le personnel pénitentiaire israélien.
D’anciens détenus ont également rapporté avoir été forcés d’assister à la torture d’autres prisonniers pour les effrayer et les obliger à se soumettre dans les interrogatoires, ou même avoir été menacés de détenir et de torturer des membres de leur famille, ce qui a été fait à plusieurs reprises.
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Les abus physiques et mentaux et la torture des enfants palestiniens sont également d’une inquiétante banalité. L’organisation de défense des droits Defense for Children International – Palestine (DCIP) a recueilli les déclarations sous serment de 752 enfants détenus entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2019.
Ces témoignages ont révélé que 95% des enfants avaient les mains et les pieds liés, 72% étaient soumis à des violences physiques, 21% étaient soumis à des positions de stress et 18 % étaient détenus à l’isolement pendant deux jours ou plus.
Le 22 octobre, DCIP et cinq autres groupes de défense des droits ont été désignés comme des organisations “terroristes” par le ministère israélien de la Défense, dans un effort cruel pour criminaliser leur activité de défense des détenus palestiniens, enfants et adultes.
Nombre de ces abus sont justifiés par la distinction qu’établit Israël entre les prisonniers “de sécurité” et les prisonniers criminels, ainsi que par les larges limites de ce qui est considéré comme une infraction de sécurité. Cela permet à Israël de pratiquer la torture sous prétexte de neutraliser les menaces à la sécurité de l’État. Notamment, les infractions de “sécurité” en Israël incluent l’acte de jeter des pierres, la condamnation la plus courante chez les enfants.
Selon un rapport de Human Rights Watch, “les autorités israéliennes ont incarcéré des centaines de milliers de Palestiniens pour ce qu’elles considèrent comme des ‘infractions à la sécurité’ depuis 1967, y compris des centaines de personnes, à pratiquement tout moment, placées en détention administrative sur la base de preuves tenues secrètes, sans inculpation ni procès, pour des périodes renouvelables pouvant s’étendre sur plusieurs années.”
La classification de prisonnier ou de détenu sous le terme de “sécurité” est particulièrement importante car elle prive cette personne de certains droits généralement accordés aux autres prisonniers en Israël.
Par exemple, selon le rapport 2020 du Département d’État américain sur les droits de l’homme, cette classification exempte les interrogateurs israéliens de filmer et d’enregistrer les interrogatoires de ces détenus, ce qui permet aux interrogateurs aux pratiques abusives d’échapper à toute responsabilité.
Bien que la perspective d’une mise en accusation puisse sembler peut encourageante, des efforts législatifs ont été déployés récemment aux États-Unis pour imposer des mécanismes permettant de tenir Israël pour responsable, notamment l’introduction du projet de loi de la membre du Congrès Betty McCollum, HR 2590 : Défense des droits humains des enfants et des familles palestiniens vivant sous occupation militaire israélienne (Defending the Human Rights of Palestinian Children and Families Living Under Israeli Military Occupation Act).
Le HR 2590 soulève la question de la détention israélienne par le biais de tribunaux militaires et vise à conditionner l’aide au traitement des violations des droits de l’homme qui se produisent régulièrement dans le cadre de ce système injuste.
Alors que l’on commémore l’adoption de la Convention des Nations unies contre la torture, il faut aussi se souvenir des nombreux Palestiniens qui, comme Mohammed El-Halabi, ont été torturés par un pays qui n’a cessé de se soustraire à toute obligation de rendre compte de ses actes devant les Nations unies.
Auteur : Zarefah Baroud
* Zarefah Baroud est titulaire d'un master en études politiques de l'Université de Washington, où elle a effectué des recherches sur les programmes d'aide américains à l'armée israélienne. Zarefah Baroud a publié divers articles sur CounterPunch, Common Dreams, Socialist Worker et d'autres, et elle travaille en tant qu'associée aux médias numériques pour l'organisation American Muslims for Palestine.Zarefah est doctorante au Centre européen d'études palestiniennes de l'Université d'Exeter. Son compte Twitter.
10 décembre 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah