Ces derniers jours, les médias israéliens et internationaux ont annoncé à coup de grand titres ronflants que la Turquie et Israël s’apprêtaient à renouer leurs relations diplomatiques rompues après que les commandos de marine israéliens ont assassiné 10 citoyens turcs sur le Mavi Marmara en 2010 ( dont un citoyen des États-Unis).
Le froid entre les deux pays avait interrompu le commerce et la coopération militaire israélienne avec l’une des plus grandes et les plus influentes nations musulmanes de la région. Avant le massacre, la Turquie et l’armée d’Israël organisaient des exercices militaires conjoints, les agences de renseignement échangeaient librement des informations, et le commerce bilatéral prospérait.
Je dois ajouter que la majeure partie du pétrole qu’ISIS a pompé en Irak a fini en Israël via les ports turcs. Les deux pays apparaissent donc comme des alliés dans ce commerce illicite.
Depuis 2010, la Turquie pose trois conditions principales à la reprise des relations : la compensation financière des victimes, les excuses d’Israël, et la levée du siège israélien de Gaza. Comme indiqué dans la presse, deux de ces trois conditions vont être remplies. Israël va verser 20 millions de dollars aux familles des victimes. Il a déjà présenté des excuses. Mais Israël refuse catégoriquement de lever le siège.
Au lieu d’insister pour que toutes ses demandes soient satisfaites, Erdogan a cédé.
Israël a seulement accepté de laisser la Turquie et l’Allemagne construire un nouvel hôpital à Gaza, une nouvelle usine de traitement des eaux usées et une centrale électrique. La Turquie sera également autorisée à aider à la reconstruction des 20 000 maisons détruites en 2014. Mais elle sera forcée de décharger tous les matériaux nécessaires au port israélien d’Ashdod.
C’est assez ironique parce que tout l’objet du voyage du Mavi Marmara était de briser le blocus israélien. Après qu’Israël a détourné le navire et kidnappé ses passagers, il les a conduits à Ashdod, où les autorités israéliennes ont immédiatement volé pour des millions de dollars de matériel électronique et d’effets personnels appartenant aux victimes. Ce qui signifie que la Turquie a finalement entériné ce à quoi le Mavi Marmara voulait mettre fin.
L’autre côté tristement ironique de l’accord turco-israélien est que, dès que la prochaine guerre entre Israël et Gaza éclatera, ces projets turcs seront parmi les premiers qu’Israël détruira. Tout comme, lors de l’opération « Bordure protectrice », il a détruit tous les bâtiments du gouvernement, l’Université islamique et des infrastructures telles que les centrales électriques et les stations d’épuration. Dans un assaut antérieur, Israël avait bombardé le chantier de la reconstruction du port de Gaza financée par les néerlandais et les français.
Les gisements de pétrole et de gaz en Méditerranée orientale
Alors qu’est-ce la Turquie a gagné exactement et qu’est-ce que Gaza a perdu ? Ce qui est très important pour la Turquie, c’est qu’Israël prévoit d’extraire d’énormes quantités de pétrole et de gaz au large de sa côte méditerranéenne. Un certain nombre de nations et de groupes militants s’opposent au projet israélien. Gaza et le Liban affirment que des parties de ces gisements sont sur leur territoire.
Le Hezbollah se prépare, sans aucun doute, à saboter l’exploitation des gisements situés au large de la côte libanaise.
Israël tente de toutes ses forces d’assurer la sécurité de ces nouvelles plates-formes pétrolières. Pendant l’interruption de ses relations avec la Turquie, Israël a négocié avec Chypre et la Grèce l’expédition de ses produits vers l’Europe. Mais la Turquie, avec ses forces militaires puissantes, constituait une menace.
Maintenant, avec la Turquie de retour dans l’équipe, Israël n’a pas seulement à se soucier d’un ennemi de moins, il pourra éventuellement recevoir de l’aide de l’armée turque pour protéger ses installations.
Qu’est-ce que la Turquie retire de l’accord ? Elle va couvrir une partie importante du coût probable du projet, environ 2 milliards de dollars, et elle percevra un pourcentage sur les dizaines de milliards de revenus du gaz et du pétrole qui passeront par le territoire turc. C’est facile de deviner ce qu’Erdogan a fait quand il a dû choisir entre la fidélité à Gaza et cette manne financière.
Le nouveau chef du Mossad israélien, Yossi Cohen, a déclaré dernièrement qu’il s’était rendu secrètement en Turquie. Bien que les médias israéliens prétendent qu’il y est allé pour demander à la Turquie de mettre fin aux activités du Hamas sur son sol, les médias turcs ont dit qu’il était venu parler du pétrole.
Selon Haaretz, la Turquie a décidé d’interdire toutes les activités militaires du Hamas sur son sol (je n’ai entendu qu’une seule fois, au cours de cette période, Israël prétendre qu’un membre du Hamas planifiait une attaque terroriste depuis la Turquie). L’activité politique du Hamas continuera ici.
Même s’il est possible que les deux sujets, le pétrole et le Hamas aient été abordés, je pense que Cohen est surtout venu, les yeux brillants, faire miroiter des dollars et des barils de pétrole.
Bien que ce sujet n’ait pas été mentionné dans les médias, Israël et la Turquie ont également des intérêts communs en Syrie, où la nation musulmane soutient les rebelles sunnites (certains disent ISIS lui-même) et lutte contre le régime d’Assad sur le front nord ; et Israël soutient les rebelles al-Nusra sur le front sud.
La forme que cette coopération pourrait prendre n’est pas claire. Mais vous pouvez être sûr que ces deux-là vont explorer toutes les options.
Les médias israéliens mentionnent aussi un autre visiteur au palais présidentiel turc de style ottoman : le chef du Hamas, Khaled Meshal. Cette visite ne sera pas agréable pour le dirigeant du Hamas. Erdogan va lui dire que l’engagement de la Turquie envers Gaza a fait long feu. Le Hamas ne pourra pratiquement rien y faire.
Quant à toutes les fanfaronnades d’Erdogan de ces dernières années sur sa fidélité à Gaza en face de la barbarie israélienne, tout cela ne vaudra plus rien.
Les deux groupes qui ne profiteront pas des profits réalisés sur le pétrole et le gaz sont les Gazaouis et les Israéliens. Oui, vous avez bien lu. Quelques oligarques, anciens généraux de Tsahal et anciens chefs des renseignements israéliens qui se sont reconvertis en consultants récolteront presque tous les milliards. Bibi et le Likoud prendront aussi une part du butin.
Quant à l’Israélien moyen, il n’y a pas la moindre chance qu’il en tire le moindre profit. N’oubliez pas qu’Israël est le plus pauvre des 32 pays de l’OCDE et la cinquième économie la plus inégale. Il y a 18 familles israéliennes qui détiennent 60% du capital des entreprises du pays. Il n’y aura aucun ruissellement de la richesse vers les pauvres d’Israël. On sait donc d’avance qui seront les gagnants et les perdants.
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Auteur : Richard Silverstein
* Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne.Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006 A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai : Israël and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).
25 juin 2016 – Richardsilverstein.com – Dominique Muselet