Par Fareed Taamallah
Pendant que l’attention du monde entier est concentrée sur l’horrible génocide à Gaza, en Cisjordanie occupée, Israël assassine des centaines de Palestiniens, s’empare de plus en plus de terres et asphyxie l’économie.
Pendant que l’attention du monde entier est concentrée sur l’horrible génocide à Gaza, en Cisjordanie occupée, Israël assassine des centaines de Palestiniens, s’empare de plus en plus de terres et asphyxie l’économie.
Le 22 mai, à la suite des décisions de la Cour internationale de justice contre Israël et de la reconnaissance de la Palestine par trois pays européens, le ministre israélien des finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, a pris des « mesures punitives sévères » à l’encontre de l’Autorité palestinienne.
Il a notamment bloqué le transfert des recettes fiscales perçues par Israël au nom de l’Autorité palestinienne, ce qui pourrait entraîner l’effondrement de cette dernière.
Depuis sa création dans le cadre des accords d’Oslo de 1993, l’Autorité palestinienne est enfermée dans des accords politiques, économiques et de sécurité imposés par Israël et ses alliés. L’un des plus importants est l’accord économique de Paris de 1994, qui était censé ne durer que cinq ans.
Il a instauré la dépendance de l’économie palestinienne à l’égard de l’économie israélienne et a donné à l’État d’occupation les moyens de rendre cet accord temporaire permanent.
Le génocide de Gaza s’accompagne d’une violence redoublée en Cisjordanie
Pour l’essentiel, l’accord a intégré l’économie palestinienne dans celle d’Israël par le biais d’une union douanière, Israël contrôlant toutes les frontières, les siennes et celles de l’Autorité palestinienne.
Cela signifie que la Palestine n’a toujours pas d’accès indépendant à l’économie mondiale. Selon l’accord, le gouvernement israélien est chargé de collecter les taxes sur les marchandises importées en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qu’il transfère au Trésor de l’Autorité palestinienne en échange d’une commission de 3 %.
Normalement, cet argent – en moyenne 190 à 220 millions de dollars américains – devrait être transféré à l’Autorité palestinienne chaque mois. L’Autorité palestinienne a besoin de ces fonds pour payer les salaires de ses employés et faire fonctionner ses institutions.
La décision de Smotrich n’est pas la première que le gouvernement israélien prend à l’encontre de l’Autorité palestinienne et de l’économie palestinienne en général. Elle s’inscrit dans une longue série de mesures déclarées et non déclarées visant à saper l’autorité.
En effet, l’AP représente le gouvernement potentiel d’un futur État palestinien auquel se sont toujours opposés les gouvernements israéliens successifs, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Les transferts ont été bloqués sous de nombreux prétextes, y compris celui de punir l’AP pour toute mesure politique qu’elle prend, comme l’adhésion à la Cour pénale internationale en 2015, par exemple.
L’État d’occupation retient systématiquement une partie des fonds depuis 2019, sous prétexte que l’AP verse des allocations aux familles des prisonniers et martyrs palestiniens, ce qu’Israël qualifie de « soutien au terrorisme ».
Depuis le 7 octobre, le gouvernement d’occupation israélien a également déduit des recettes fiscales le montant que l’AP verse normalement à ses institutions dans la bande de Gaza, qui s’élève à environ 75 millions de dollars par mois, ce qui a entraîné une crise économique majeure.
Il est clair qu’Israël veut séparer complètement la Cisjordanie de la bande de Gaza, bien que tous deux soient des territoires palestiniens occupés et fassent partie du futur État palestinien prévu.
En septembre de l’année dernière, le ministre palestinien des finances, Shukri Bishara, a annoncé qu’Israël retenait 800 millions de dollars à l’Autorité palestinienne.
Selon les données fournies par le ministère des finances à Ramallah le mois dernier, le montant total des recettes fiscales retenues par Israël s’élevait à 1,6 milliard de dollars, soit l’équivalent de 25 à 30 % du budget annuel total de l’Autorité palestinienne.
Cette situation a entraîné un déficit financier sans précédent dans la trésorerie de l’Autorité palestinienne, menaçant sa capacité à fournir des services de base tels que la santé, l’éducation et la sécurité, et à payer les salaires des employés publics qui reçoivent des salaires partiels depuis des années.
En raison de ces déductions, le gouvernement palestinien n’a pas été en mesure de payer l’intégralité des salaires de ses employés depuis novembre 2021, alors qu’il s’était engagé à en payer 80 à 85 % jusqu’au déclenchement de la guerre contre les Palestiniens de Gaza. Ce pourcentage a progressivement diminué pour atteindre 50 % au cours des deux derniers mois.
Les fonctionnaires sont désormais dans l’incapacité de s’acquitter de leurs obligations financières mensuelles envers les banques et les écoles.
Les institutions publiques palestiniennes ont réduit les heures de travail afin d’économiser de l’argent, ce qui a entraîné une réduction des services, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation dans les écoles et les universités. L’enseignement se fait principalement en ligne.
Les fonctionnaires palestiniens – dont je fais partie – n’ont pas reçu un salaire complet depuis 2021, et le montant total des arriérés équivaut à six mois de salaires.
Collectivement, cela représente environ 750 millions de dollars, auxquels s’ajoutent 800 millions de dollars de dettes envers le secteur privé, ce qui a eu un impact majeur sur les hôpitaux privés et les sociétés pharmaceutiques.
Le secteur privé du commerce et des services est paralysé parce qu’il ne peut plus remplir ses obligations financières, ni se procurer des marchandises et des services.
Outre les dépenses du gouvernement, en particulier les salaires des 147 000 fonctionnaires, l’économie palestinienne repose sur deux autres piliers qui ont été gravement endommagés depuis le 7 octobre : le marché du travail israélien et le secteur privé.
Israël interdit aux travailleurs palestiniens d’entrer dans l’État d’occupation, ce qui signifie que 200 000 d’entre eux ont perdu leur unique ou principale source de revenus et sont au chômage.
Cette situation a réduit le pouvoir d’achat des familles palestiniennes, ce qui a eu un effet d’entraînement sur les entreprises privées et a augmenté encore le chômage.
On estime à 500 000 le nombre de Palestiniens au chômage en Cisjordanie occupée, des milliers d’emplois ayant été perdus.
La diminution du soutien financier accordé à l’Autorité palestinienne par les États arabes a encore aggravé la situation. En outre, l’autorité a atteint sa limite d’emprunt auprès des banques, ce qui a rendu encore plus difficile le paiement des salaires des employés et accentué la baisse de la consommation.
Tout cela conduit à la quasi-paralysie de l’économie palestinienne et exerce une forte pression sur les citoyens ordinaires qui ne peuvent plus trouver de travail et n’ont que peu ou pas d’économies pour couvrir les besoins de base. Cette situation risque de déclencher des crises sociales, politiques et économiques majeures.
À tout cela s’ajoute le fait qu’Israël a assassiné plus de 500 Palestiniens en Cisjordanie depuis octobre et en a arrêté 9 000, la plupart sans inculpation ni jugement.
Les camps de réfugiés et les villes du territoire occupé ont vu leurs infrastructures vitales détruites dans le cadre de punitions collectives abjectes et sadiques, ayant pour but de saper la lutte légitime contre l’occupation.
Nous, Palestiniens de Cisjordanie occupée, nous aurions honte de nous plaindre de nos problèmes, aussi graves soient-ils, alors qu’un épouvantable génocide se déroule sous nos yeux à Gaza.
Nous préférons garder le silence pour ne pas détourner l’attention de ce qui se passe là-bas. Nous comprenons qu’Israël cherche à séparer Gaza de la Cisjordanie pour détruire la solidarité et l’unité de la société palestinienne.
En vérité, nous, en Cisjordanie, préférerions mourir de faim avec nos frères de la bande de Gaza plutôt que de voir l’Autorité palestinienne cesser de remplir ses obligations envers eux et envers les familles des martyrs et des blessés.
Auteur : Fareed Taamallah
10 juin 2024 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet