Par Huda Skaik
Depuis Gaza, Huda Skaik raconte plus d’un an de déplacement avec sa famille, la destruction dont ils ont été témoins, la violence qu’ils ont fuie et la famine qu’ils ont subie.
Dès le premier jour de la guerre d’Israël contre Gaza, ma famille a pris la décision difficile de quitter notre maison dans le district de Jawazat, car notre quartier est constamment pris pour cible. Nous avons cherché refuge dans la maison de ma grand-mère, décédée tragiquement deux mois plus tôt. Nous avons emporté des choses essentielles comme de la nourriture, des vêtements, des documents importants et des cartes d’identité, pensant que nous ne serions absents que quelques semaines au plus.
Cependant, comme beaucoup le savent maintenant, la situation a rapidement dégénéré au-delà de nos attentes.
La maison de ma grand-mère se trouvait au cœur du quartier de Rimal dans la ville de Gaza, près du parc Al-Jundi Al-Majhoul, qui était autrefois un quartier animé mais qui est aujourd’hui réduit en ruines.
A peine trois jours après le début de la guerre, l’électricité a été coupée et n’a pas été rétablie depuis.
Très rapidement, les réserves de gaz, de nourriture et de biens de première nécessité ont également diminué. Les légumes, les fruits, les poulets et les snacks ont disparu des rayons des supermarchés. En effet, à mesure que la situation économique à Gaza s’aggravait, la vie devenait de plus en plus difficile pour tout le monde.
Catastrophe inimaginable
Je me souviens très bien de ces premiers jours, où hommes, femmes et enfants faisaient la queue pendant de longues heures pour obtenir du pain et de l’eau. Mon frère faisait la queue pour une miche de pain dès le matin et attendait toujours à la fin de la journée.
Les hommes priaient ensemble pour la fin de la guerre et pour la patience face à une perte et une douleur accablantes. Nous nous asseyions ensemble, écoutant les émissions radiophoniques de journalistes comme Wael Dahdouh, Ismail al-Ghoul et Anas al-Sharif qui rapportaient en direct depuis le front, nous donnant un aperçu des horreurs qui se déroulaient autour de nous.
À la tombée de la nuit, le ciel était éclairé par les flashs aléatoires des projecteurs israéliens. Nous dormions tous dans la même pièce, espérant que si nous devions mourir, nous mourrions ensemble. Les nuits étaient terrifiantes, nous entendions les bombes exploser, les sirènes d’ambulance et les cris. Je sentais la terre trembler à chaque missile israélien, c’était comme si on m’arrachait le cœur de la poitrine.
Nous avons entendu le bourdonnement des drones qui nous transpercent le cerveau, le bruit des missiles, des obus d’artillerie et des avions de chasse F-16. Nous avons également entendu les ambulances transportant les blessés et les martyrs. La seule chose qui calmait mon anxiété était la présence de ma famille.
Au cours des premières semaines de la guerre, la partie ouest de la ville de Gaza – y compris des zones comme Rimal, Al Shataa, et les environs de l’hôpital Al Shifa et de l’hôpital Al Quds – a été lourdement ciblée. Malgré les avertissements d’évacuation des hôpitaux, les médecins ont choisi de rester auprès de leurs patients. Les attaques ont été sans distinction et dévastatrices.
Au milieu de tout cela, j’ai souvent trouvé du réconfort sur le balcon de ma grand-mère, où je m’asseyais pour lire des livres et écrire dans mon journal au coucher du soleil, en essayant de trouver la beauté au milieu de la brutalité de la guerre. Mais même ces brefs moments de calme étaient interrompus par le bruit assourdissant des attaques.
Les choses ont pris une tournure encore plus amère lorsque des mosquées, des boulangeries, des églises, des écoles, des universités et des hôpitaux ont été bombardés. Les atrocités étaient incroyables, surtout après le bombardement de l’hôpital baptiste (Al Ahli), un lieu que nous pensions être un refuge et non un site de génocide.
Faux ordres d’évacuation
Dans les premiers jours de la guerre d’Israël, des rumeurs ont circulé sur un ordre d’évacuation à Rimal, ce qui a poussé de nombreux Palestiniens à fuir la région. En conséquence, ma famille s’est également installée dans la maison de mon autre grand-mère, à l’est de Gaza. Cependant, quelques jours plus tard, lorsqu’il est apparu clairement que l’ordre d’évacuation n’était qu’une fausse rumeur répandue pour semer la panique parmi les habitants, nous sommes retournés à Rimal.
Lors de la deuxième semaine de la guerre, l’armée israélienne a largué des tracts exhortant les habitants de la ville de Gaza à se diriger vers le sud, en direction de Wadi Gaza. Mais nous sommes restés déterminés, ne voulant pas abandonner nos maisons et nos terres.
Puis, en novembre 2023, les forces d’occupation israéliennes ont lancé une invasion à grande échelle de Rimal au petit matin, sans avertissement préalable. Nous avons échappé de justesse aux bruits des tirs d’artillerie à proximité et avons demandé refuge chez un cousin dans l’ouest de Gaza.
Le lendemain, nous avons marché pendant des heures, portant de lourds sacs, et traversé les quartiers de la vieille ville et d’Al-Zaytoun, où se trouvaient les maisons de proches. Nous y sommes restés avec eux pendant un mois.
Au cours du bref cessez-le-feu du même mois, mon père et mon frère retournèrent dans notre maison de Rimal pour évaluer les dégâts. Ils découvrirent que l’armée israélienne avait stationné dans notre maison et qu’elle avait laissé derrière elle des restes de nourriture et de matériel. Les destructions étaient énormes. La maison de ma grand-mère a été totalement détruite.
Puis, en décembre, l’est de Gaza a été envahi, en particulier les zones de Shuja’iyya et d’Al-Zaytoun, alors que nous nous trouvions dans la maison de mon oncle. Nous y sommes restés coincés pendant une semaine. Finalement, nous avons décidé de retourner à Rimal malgré le danger, parce que nous avions compris que nulle part il n’y avait vraiment de sécurité.
Sans cesse déplacés
Pour moi, les premiers mois de la guerre ont été marqués par des déplacements, des déménagements d’une maison à l’autre, d’un quartier à l’autre. Le mois de décembre a marqué la fin de notre déplacement dans la ville de Gaza. Nous avons regagné notre maison à pied, sous le feu des drones, de l’artillerie et des balles des snipers.
Une semaine après notre retour, notre famille élargie – mon grand-père, ma grand-mère, mes oncles et mes tantes – est venue nous rejoindre. Nous survivions avec un seul repas par jour : du thé le matin et du riz le soir, en essayant de faire fonctionner le gaz et de nous adapter à la pénurie de nourriture.
Je me rendais souvent avec mon père au marché situé près de l’hôpital Al-Shifa et je voyais l’hébreu écrit sur les murs par les militaires israéliens qui avaient également hissé leur drapeau. Le chemin était pavé de bâtiments détruits et endommagés.
Décembre a également été le mois où la famine s’est répandue dans le nord de Gaza. La farine et les conserves étaient rares, et de nombreux produits de base avaient disparu des rayons des supermarchés. Nous ne pouvions manger que du riz, mais sans yaourt ni salade pour le rendre plus facile à avaler. Lorsque c’était possible, nous achetions et stockions de la nourriture pour les mois à venir (malgré les prix élevés), car nous ne savions pas combien de temps ce génocide allait durer.
Nous nous couchions tôt, vers 18 heures, dans l’obscurité totale.
En janvier 2024, l’armée israélienne s’est retirée des zones entourant les maisons de ma grand-mère et de mes oncles. Ils sont retournés dans ce qui restait de leurs maisons, mais la dévastation était au-delà de tout ce que nous aurions pu imaginer.
Cependant, à la fin du mois, les forces israéliennes ont de nouveau lancé une invasion de Rimal et de la région de Jawazat, nous encerclant avec des chars. Nous avons été assiégés pendant neuf jours et, le 6 février, ils ont pris d’assaut notre maison, bombardé la région et nous ont forcés à fuir une fois de plus. Cette fois, c’était vers le sud, en pleine nuit, et seulement après avoir enduré des heures d’interrogatoire dans un froid glacial.
Nous avons fui à pied pendant sept heures, jusqu’au camp de réfugiés d’Al-Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. L’armée avait déclaré qu’il s’agissait d’une « zone sûre », mais nous savions qu’il ne fallait pas se fier à cette désignation.
La vie dans le sud est si dure. J’ai goûté à l’amertume du déplacement dans les tentes. Le froid de l’hiver nous ronge les os alors que nous nous serrons les uns contre les autres, nous rappelant constamment notre situation.
Les mots « déplacé », « tente », « pas de signal », « évacuation », « zone sûre », « Netsarim », « Philadelphie », « Rafah », « Deir », « bois de chauffage », « eau douce », « eau salée », « Takiya », « Mawasi » et « aide » résonnent chaque jour, résumant la laideur des conditions qui nous sont imposées.
Cette guerre génocidaire a brisé nos vies, nos avenirs autrefois radieux étant désormais réduits à de pâles ombres. Elle nous a volé nos rêves, notre joie, nos maisons et nos êtres chers.
En marchant dans les rues où nous avons été déplacés, je me demande comment nous en sommes arrivés là. Comment sommes-nous devenus des étrangers sur notre propre terre ? Même la Nakba n’a pas été aussi cruelle que la brutalité à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. La barrière de séparation de Netzarim, les bombardements incessants, les souffrances sans fin – tout cela nous a poussés à bout, mais notre amour pour notre patrie perdure.
Malgré la dévastation, malgré la douleur, mon amour pour Gaza reste inébranlable. C’est un amour pour la terre, les gens, la mer, les magasins, les rues – tout ce qui nous a été arraché.
Auteur : Huda Skaik
* Huda Saik est étudiante en littérature anglaise à l'université islamique de Gaza. Elle rêve d'un avenir de professeur, de poète et d'écrivain. Elle croit au pouvoir de la narration et des mots qui résonnent avec l'esprit des Palestiniens. Elle cherche à éclairer l'essence de Gaza, en partageant sa signification profonde avec le monde.
28 décembre 2024 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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