
28 janvier 2025 - Les Palestiniens déplacés retournent dans ce qui reste de leurs maisons dans le quartier de Shuja'iyya, à l'est de la ville de Gaza, où un nouveau camp de tentes a été installé. Depuis le retrait, hier 27 janvier, des forces coloniales israéliennes du « corridor de Netzarim » qui séparait complètement les parties nord et sud de la bande de Gaza, les Palestiniens ont commencé à revenir en grand nombre dans le nord. Des agents de sécurité d'agences occidentales privées ont été déployés pour fouiller tous les véhicules entrant dans le nord depuis le sud via les points de contrôle. Au cours des 15 derniers mois de la guerre génocidaire israélienne, plus de 90 % de la population de Gaza a été déplacée, souvent à plusieurs reprises. 80 % des habitants de la bande de Gaza sont des réfugiés originaires de villes et de villages de Palestine qui ont été dépeuplés en 1948 - Photo : Yousef al-Zanoun / Activestills
La formation du groupe de La Haye est une étape cruciale dans la sauvegarde de l’ordre juridique international. D’autres États doivent suivre pour mettre fin à l’impunité systémique.
En Palestine, les abus et les violations du droit international se sont normalisés, c’est un fait.
Que l’impunité ait été la règle, plutôt que l’exception, au cours des 76 années qui se sont écoulées depuis la création d’Israël est un autre fait. Et pourtant, après 15 mois d’assaut brutal et vengeur d’Israël contre Gaza et ses plus de 2 millions d’habitants pris au piège, la Palestine est à son apogée.
La destruction catastrophique de l’ensemble du paysage, la création de conditions de vie calculées pour conduire à la destruction de la vie, la tentative d’écrasement de la dignité humaine, ont inauguré une nouvelle ère : celle du génocide, télévisé et retransmis en direct pour que le monde entier puisse le voir.
Pourtant, ce que nous avons vu à Gaza, et ce que nous voyons maintenant de plus en plus en Cisjordanie, n’est pas seulement une attaque criminelle contre les Palestiniens en tant que peuple – c’est l’érosion de la fonction même de protection du droit international et une régression dangereuse du système multilatéral, créé pour prévenir les conflits et protéger la vie des civils.
C’est la création d’un monde sans civils, où tout et chacun est soit une cible, soit un dommage collatéral, et que l’on peut donc tuer ou détruire à volonté.
Ainsi, après le génocide de Gaza, le droit international se trouve au bord du gouffre : si les lois qui ont été écrites comme étant universelles, devant être appliquées de manière égale aux forts et aux faibles, sont systématiquement violées pour défendre des intérêts géopolitiques particuliers, alors l’ensemble du système juridique international, fondé sur l’égalité de toutes les nations, est menacé – pour tous les peuples.
À la lumière de ces développements, l’initiative tricontinentale lancée à La Haye par neuf États déterminés à demander des comptes à Israël pour son agression contre l’existence collective des Palestiniens ne pourrait être plus opportune.
Les engagements pris par le groupe dans le cadre de cet effort collectif – maintien des mécanismes juridiques nationaux à la suite des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale, refus portuaires et imposition d’un embargo sur les armes – font partie des obligations les plus fondamentales qui incombent à tous les États en vertu du droit international, compte tenu des crimes commis de longue date par Israël dans les territoires palestiniens occupés.
Ces mesures constituent un premier pas essentiel vers la résolution de la question de la Palestine, ou « conflit israélo-palestinien », dans le respect du droit international.
Pourtant, aucune solution ne sera possible tant que l’impunité persistante d’Israël n’aura pas pris fin. Malgré les efforts du peuple palestinien et de certains Israéliens engagés, la situation ne peut être changée de l’intérieur d’Israël. Une action internationale est nécessaire.
C’est la tâche à laquelle tous les États sont aujourd’hui confrontés. Les États ont des responsabilités juridiques contraignantes face à des violations prolongées du droit international, comme c’est le cas avec l’occupation illégale et l’annexion par Israël du territoire palestinien occupé, le régime d’apartheid qu’il a imposé aux Palestiniens et, plus récemment, le génocide à Gaza.
Compte tenu de la gravité des actions d’Israël, les États sont invités à mettre fin à toutes les relations économiques, à tous les accords commerciaux et à toutes les relations universitaires avec Israël. Ces relations constitueraient sinon une aide et une assistance à un acte internationalement illicite.
En vertu de la loi sur la responsabilité des États, les États sont tenus de coopérer pour mettre fin, par des moyens légaux, à la violation en question – en pratique, cela signifie que tous les États membres des Nations Unies doivent rompre toutes leurs relations avec Israël tant qu’il continue d’opprimer le peuple palestinien.
Cette obligation est d’autant plus urgente avec le sursis d’un cessez-le-feu fragilement négocié.
En ce moment crucial, le groupe de La Haye constitue un excellent exemple pour les autres États quant à la manière dont ils peuvent se conformer à leurs obligations en vertu du droit international.
Les États qui ont signé l’initiative – le Belize, la Bolivie, la Colombie, Cuba, le Honduras, la Malaisie, la Namibie, le Sénégal et l’Afrique du Sud – sont des États dont l’histoire témoigne d’un engagement constant et de principe en faveur de la question palestinienne.
Ce sont également des États qui portent les blessures d’un passé colonial douloureux et de la lutte pour les droits de l’homme qui s’en est suivie. Leur décision crée un puissant précédent, et j’applaudis personnellement ces pays pour leur courage.
Les États qui ont fondé le groupe de La Haye ouvrent la voie à ce qui doit devenir un mouvement mondial en faveur d’une action collective par le biais du droit international : pas d’armes pour le génocide, pas d’aide pour l’occupation et pas de tolérance pour l’apartheid.
J’espère que d’autres États rejoindront bientôt ce groupe. L’objectif du groupe de La Haye est de mettre fin à l’exceptionnalisme d’Israël et de veiller à ce que ce qu’Israël a fait au cours des 15 derniers mois ne devienne pas la nouvelle norme pour les États dans les années à venir.
De la même manière que les États du monde entier se sont unis pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud, la communauté internationale doit maintenant s’unir pour garantir la fin de l’un des régimes d’apartheid les plus brutaux dans l’Histoire.
Si nous voulons sauver l’ordre juridique international actuel et nous diriger vers un ordre dans lequel l’impérialisme et la colonisation ne continuent pas à dicter son fonctionnement, la communauté internationale, et surtout les Palestiniens, doivent voir cette initiative prendre de l’ampleur.
Auteur : Francesca Albanese
* Francesca Albanese est la rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les territoires palestiniens occupés.Elle a écrit de nombreux ouvrages sur la situation juridique en Israël/Palestine et son dernier livre, Palestinian Refugees in International Law (Oxford University Press, 2020), propose une analyse juridique globale de la situation des réfugiés palestiniens, de ses origines à la réalité contemporaine.
12 février 2025 – The Nation – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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