Par Mai Abu Hasaneen
Le mouvement Hamas [résistance islamique], qui n’a pas oublié la leçon des printemps arabes, préfère garder le silence sur la guerre russe en Ukraine.
Le Hamas, imitant en cela l’Autorité palestinienne (AP), se garde bien de se prononcer sur l’attaque militaire lancée par le président russe Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février.
Le Hamas, qui a fait l’objet d’attaques politiques de la part de plusieurs pays occidentaux, est de plus en plus isolé sur la scène internationale. Le 26 novembre 2021, le Royaume-Uni a ajouté le Hamas à sa liste des organisations terroristes.
Le 3 mars, l’Australie l’a également classé parmi les groupes terroristes.
Le Canada l’avait déjà fait en 2002. En 2021, la Nouvelle-Zélande a classé la branche armée du Hamas, les Brigades Izz ad-Din al-Qassam, dans les “entités terroristes”.
En septembre 2001, l’Union européenne a inscrit le Hamas sur la liste des “groupes terroristes” à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
Mais en décembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt visant à retirer le nom du Hamas des listes de terroristes en invoquant une erreur dans les procédures judiciaires.
Lire également : “S’engager dans le monde” ou comment le Hamas met en œuvre une ambitieuse politique internationale par Jim Milles
En janvier 2015, l’UE a fait appel de la décision judiciaire de retirer le Hamas de la liste des organisations terroristes, ce qui a entraîné la suspension de la décision judiciaire.
En 2016, la CJUE a recommandé de retirer le Hamas de la liste, mais en juillet 2017, elle a décidé de le maintenir sur la liste.
Pendant ce temps, les États-Unis ont classé, depuis le 9 août 1997, le Hamas comme un “groupe terroriste”, en vertu de l’article 2019 de la Loi américaine sur l’Immigration et la Nationalité, malgré le fait que le Hamas se définisse lui-même, selon sa charte politique publiée en mai 2017, comme un “mouvement de résistance et de libération nationale palestinienne, dont l’objectif est la libération de la Palestine et la lutte contre le projet sioniste, avec l’Islam comme référence, buts et moyens.”
Les contacts officiels entre le Hamas et la Russie ont débuté après la victoire du mouvement aux élections législatives de 2006.
Une délégation du Hamas dirigée par Khaled Meshaal, alors chef du bureau politique du Hamas, a rencontré le ministre russe des affaires étrangères Sergey Lavrov lors d’une visite à Moscou en mars 2006.
À l’époque, Meshaal avait souligné qu’il n’y aurait pas de paix tant qu’Israël ne se retirerait pas des territoires palestiniens occupés en 1967.
Le 18 mai 2017, la Russie a approuvé le nouveau document politique du Hamas publié le 1er mai de la même année, le considérant comme un pas dans la bonne direction.
La Russie a salué l’élection, le 6 mai, d’Ismail Haniyeh qui succédait à Meshaal à la tête du bureau politique du mouvement.
En mars 2020, lors d’une rencontre avec Lavrov à Moscou, Haniyeh s’est félicité de ce que la Russie rejetait le plan de paix américain au Moyen-Orient, connu sous le nom de deal du siècle, annoncé par l’ancien président américain Donald Trump en janvier 2020.
“L’accord ne représente pas un moyen d’apporter la paix et la sécurité dans la région”, a déclaré Haniyeh à l’époque.
Les dirigeants du Hamas se sont rendus à Moscou à plusieurs reprises au cours des 14 dernières années, c’est-à-dire depuis la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006, la dernière fois en décembre 2021.
Il semble que le Hamas n’ait pas l’intention de laisser la crise ukrainienne mettre à mal ses relations avec Moscou.
Le mouvement de résistance palestinien n’a pas tardé à démentir les déclarations du 26 février attribuées à Meshaal, aujourd’hui chef du bureau du Hamas à l’étranger, au sujet de la crise russo-ukrainienne : “Poutine doit arrêter son invasion de l’Ukraine et le massacre de civils.”
Mousa Abu Marzouk, chef adjoint du bureau politique du Hamas, a tweeté le même jour : “La leçon que l’on peut tirer de la guerre Russie-Ukraine est que le temps de l’ère de l’Amérique en tant que superpuissance unipolaire est terminé.”
Yahya Moussa, dirigeant du Hamas et député du Conseil législatif, a déclaré à Al-Monitor : “La guerre Russie-Ukraine est une lutte entre des grandes puissances – la Russie, l’Amérique et les pays occidentaux – pour redessiner la carte géopolitique dans le monde.”
Il a ajouté : “Le Hamas est en dehors de ce jeu.”
Moussa a noté que son mouvement est un groupe de résistance qui s’engage à “combattre l’occupation israélienne, à appeler à la liberté de tous les peuples de la Terre et en même temps à soutenir ceux qui sont soumis à des violations des droits de l’homme.”
Il a ajouté : “La guerre en Ukraine a toutefois révélé la politique de deux poids deux mesures de l’Occident, qui est à l’origine des souffrances du peuple palestinien”, faisant référence à la déclaration Balfour du 2 novembre 1917, qui promettait aux Juifs une patrie en Palestine.
Moussa a ajouté : “Alors que le Hamas est désigné comme un groupe terroriste, l’Occident soutient la résistance populaire ukrainienne financièrement, politiquement et militairement.”
Iyad al-Qarra, chercheur politique et écrivain proche du Hamas basé dans la bande de Gaza, a déclaré à Al-Monitor : “La guerre russe contre l’Ukraine est une question internationale, et le Hamas n’a pas à prendre position dans le conflit.”
Lire également : La nouvelle charte du Hamas : “un signe de maturité politique” ? par Ramzy Baroud
Il a ajouté : “Le mouvement fait preuve de prudence et garde le silence sur la guerre pour éviter d’être davantage isolé, surtout après que le Royaume-Uni l’a désigné comme un groupe terroriste le 26 novembre 2021 et l’Australie le 3 mars.”
Qarra a ajouté : “En cas d’escalade de la guerre en Ukraine, le Hamas est tenu de maintenir de bonnes relations avec la Russie et en même temps d’éviter les tensions avec les pays européens et les États-Unis, qui considèrent le Hamas comme un groupe terroriste.”
Walid al-Mudallal, professeur de sciences politiques à l’Université islamique de Gaza, a déclaré à Al-Monitor que “le Hamas a payé le prix du soutien aux révolutions du printemps arabe”, en référence à la révolution syrienne contre le président Bachar el-Assad qui a provoqué le départ du Hamas de Damas en novembre 2011.
“Cela a été une leçon pour le Hamas. Il sait maintenant qu’il doit rester silencieux sur la crise russo-ukrainienne”, a-t-il noté.
Selon lui, il serait préférable pour le mouvement palestinien de s’en tenir à une politique de neutralité positive, “c’est-à-dire de garder la même distance par rapport à toutes les parties au conflit et, le moment venu, d’appeler à des négociations et à une solution pacifique à la guerre.”
Ibrahim Abrash, professeur de sciences politiques à l’université Al-Azhar de Gaza, a déclaré à Al-Monitor : “La guerre s’étend au Moyen-Orient, embringuant l’allié de la Russie – l’Iran – ce dernier pourrait exiger de ses alliés dans le monde arabe, notamment le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza, qu’ils prennent une position claire en faveur de la Russie.”
Il a ajouté : “Toutefois, les relations du Hamas avec l’Iran sont fondées sur des intérêts concrets, en termes de soutien militaire et financier dans la résistance à Israël, contrairement à l’alliance idéologique qui existe entre Téhéran et le Hezbollah libanais.”
“Le Hamas est sunnite, tandis que l’Iran est chiite. Cela signifie que le Hamas pourrait modifier les termes de son alliance avec l’Iran, si ce dernier lui demandait de prendre le parti de la Russie. Le Hamas est un mouvement pragmatique, qui cherche à être en bons termes avec les deux parties du conflit – la Russie, d’une part, et les pays occidentaux et les États-Unis, d’autre part”, a déclaré Abrash.
Hani Habib, écrivain politique pour le journal palestinien Al-Ayyam dans la bande de Gaza, a déclaré à Al-Monitor : “Le silence du Hamas concernant la guerre en Ukraine fait partie de sa politique de non-ingérence dans les affaires des États, conformément à l’article 37 des principes de politique générale du Hamas publiés en mai 2017.”
Selon lui, “le Hamas n’a aucun intérêt à prendre parti dans cette guerre. De toute façon, sa position n’a aucune incidence sur l’équilibre des forces dans le conflit en cours.”
Auteur : Mai Abu Hasaneen
* Mai Abu Hasaneen est une journaliste de la bande de Gaza qui prépare une maîtrise en études du Moyen-Orient. Elle écrit en tant que freelance pour un certain nombre de journaux et de sites web palestiniens. Son compte twitter.
15 mars 2022 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet