Pour les historiens la Palestine existe depuis plus de 3000 ans, pour les juristes l’Etat moderne de Palestine depuis un siècle. Avec des frontières reconnues, un système judiciaire propre, des passeports palestiniens, des timbres et une monnaie palestinienne. Un Etat de Palestine qui passait des accords internationaux avec les pays environnants, y compris la puissance mandataire le Royaume-Uni.
Alors, la guerre ne date pas du samedi 7 octobre 2023. La Palestine est en guerre depuis 1948. Et elle ressemble à un volcan en activité qui gronde chaque jour de souffrance et de colère. Avec parfois des explosions. L’éruption à laquelle nous assistons aujourd’hui est la plus puissante depuis 1948.
Le peuple palestinien ne revendique rien : il demande le rétablissement de ses droits souverains sur sa terre. L’éruption actuelle est la conséquence de cette violation initiale du droit. Pourtant, pour les gouvernements occidentaux, c’est le peuple palestinien qui serait devenu le coupable. L’action juridique, par le jeu des principes, permet de rétablir la réalité.
Il faut revenir à l’origine du conflit, à 1917, avec la volonté occidentale de créer une implantation au Moyen Orient pour contrôler les peuples arabes, en utilisant la politique sioniste. Israël est la puissance militaire occupante à Gaza, malgré son retrait du territoire, car il s’assure un contrôle total. Selon le droit coutumier, Israël doit la protection à la population occupée.
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Or, non seulement il ne la protège pas, mais il l’agresse par le blocus, les bombardements et maintenant le siège total depuis le 9 octobre 2023. Les décisions politiques israéliennes plaçant en détention les résistants palestiniens sont présentées comme des « jugements », ce qui donne une apparence de régularité.
Or, il s’agit de prisonniers de guerre, qu’Israël n’a pas le droit de juger, par application de la 3 ème convention de Genève. Même sous l’angle de la 4 ème convention, les « jugements » sont illégaux : procès tenus en dehors du territoire palestinien, procédure ne respectant pas le procès équitable.
Aussi, les palestiniens détenus sont des otages politiques d’Israël. Il n’y a donc pas « les otages du Hamas » d’un côté et les « Palestiniens prisonniers d’Israël » de l’autre. Selon la Cour Pénale Internationale, seul tribunal international habilité à traiter des crimes de guerre, la Palestine est un Etat.
De fait l’Etat de Palestine siège à l’assemblée des Etats-parties de la CPI, à égalité de droits et de devoirs avec les 122 autres Etats. Ainsi, les puissances occidentales qui nient la réalité de l’Etat de Palestine sont en contradiction avec eux-mêmes.
Le Hamas a affirmé son accord avec le droit international et sa volonté de coopérer avec la CPI. A l’inverse, Israël refuse le droit international, et refuse toute coopération avec la CPI.
C’est le Hamas qui est en phase avec le droit, et Israël qui dénie le droit. Les crimes actuellement commis sont la conséquence de ce déni du droit.
Le statut de la CPI définit une longue liste d’infractions, et aucune ne fait référence au terrorisme, car ce mot a toujours été utilisé pour discréditer les opposants politiques (De Gaulle, Mandela…).
Aussi, le Hamas, qui a reconnu la CPI et veut coopérer, rejette cette accusation de « terrorisme », qui est un concept politique et médiatique, mais pas juridique. Le Hamas n’a d’ailleurs jamais figuré sur la liste des organisations terroristes de l’ONU.
Les faits commis par les attaquants palestiniens sur le territoire actuel d’Israël seront jugés par Israël et les puissances occidentales (procédure déjà ouverte en France). Israël n’acceptera pas de confier ses affaires à la CPI.
La CPI est pourtant compétente du fait de la nationalité palestinienne des combattants, mais elle appliquera le principe de subsidiarité : elle n’intervient qu’en l’absence de procédures conduites par les juges nationaux.
Aussi, la ligne doit être :
- 1) de contester les futurs jugements israéliens, vu qu’Israël refuse d’appliquer le droit international,
- 2) de demander une enquête par la CPI, le droit national israélien ignorant le droit international. Le Hamas attend que la justice se prononce, mais dans une procédure équitable et donc devant la CPI.
Quand Israël engagera des procédures devant ses juridictions, il faudra demander au procureur de la CPI d’ouvrir la même enquête, en démontrant que les procédures israéliennes sont des violations graves du droit humanitaire (Statut, Art. 8, 2, a, 6) et donc en portant plainte contre les juges israéliens. Ce sera une mise en accusation de la justice israélienne.
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L’hypothèse d’un procès contre les résistants devant la CPI est peu probable, sauf pour des aspects mineurs. En effet, Israël n’acceptera jamais de s’en remettre à la CPI, ce qui l’obligerait à accepter l’arrêt de la CPI du 5 février 2021 qui a reconnu l’Etat de Palestine. Aussi, la résistance doit multiplier les références à la CPI… même si celle-ci reste inactive.
Devant la CPI, le cadre de la défense serait la légitime défense. Le statut prévoit une version large avec l’article 31 d, qui légitime la commission de crimes de guerre si c’est le seul moyen d’assurer la sauvegarde du peuple. Il y a donc une solide marge de manœuvre.
Israël ne veut pas se retirer des territoires palestiniens occupés y compris Jérusalem, et sa solution est un Etat unique. Israël ne veut accepter l’égalité des citoyens arabes, car c’est la fin de l’Etat juif, et la seule issue est alors l’Etat d’apartheid.
Aussi, il faut envisager des plaintes contre les dirigeants européens qui apportent leur assistance à cette politique comme complicité du crime d’apartheid international. Tous les Etats européens ont d’ailleurs ratifiés le statut de la CPI.
Dès que le moment sera propice, il faudra déposer la plainte pour l’annexion de Jérusalem, car vu l’importance de l’enjeu, la clarté du droit applicable et des preuves, le procureur Karim Khan ne pourra pas rester sept ans (la fin de son mandat) sans rien faire.
L’enquête sur les crimes en cours (bombardements indiscriminés, siège total, déplacements forcés de population) relèvent tous de la CPI, mais le procureur mettra probablement en avant la complexité de l’affaire, la masse des faits, pour ne pas avancer.
D’où l’intérêt essentiel de faire juger la plainte pour l’annexion de Jérusalem. Il en va de la crédibilité de la cour, observée par le monde entier, et c’est un hommage à la résistance qui est mobilisée sur la protection de Jérusalem.
Auteur : Christophe Oberlin
* Christophe Oberlin est Professeur des universités et chirurgien spécialisé dans la microchirurgie et la chirurgie de la main. Il dirige régulièrement des missions chirurgicales en Palestine et particulièrement dans la bande de Gaza où il a effectué de très nombreux séjours. Il a écrit plusieurs ouvrages dont « Le chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour Pénale Internationale » et traduit de l'anglais « Histoire de la politique étrangère du Hamas ».
20 octobre 2023 – Transmis par l’auteur
Ce qui peut nous consoler, c’est l’espoir que ces dirigeants seront un jour traduits devant la Cour pénale internationale (CPI). Le choc de cette guerre c’est la France qui a abandonné toute neutralité et montre des sympathies envers l’occupation. Cela soulève des questions sur la crédibilité du soutien de la France aux droits de l’homme, alors qu’elle devrait normalement prôner ces principes fondamentaux.
Un jour, tout cela prendra fin, car une occupation n’est pas éternelle..