Par Adnan Abu Amer
Alors que l’agression israélienne contre les Palestiniens s’intensifie et que la réplique palestinienne consiste maintenant à attaquer l’armée d’occupation, Israël pleurniche sur ce qu’il décrit comme une couverture médiatique biaisée par les principaux réseaux de télévision et journaux du monde.
Le vice-ministre israélien des Affaires étrangères, Idan Roll, a déclaré aux rédacteurs en chef des principaux journaux étrangers qu’ils déformaient la réalité et qu’il était choqué par la progression du récit palestinien depuis la dernière offensive israélienne contre la population de Gaza.
La machine israélienne de hasbara (propagande) est entrée en action pour changer la façon dont les principaux médias du monde couvrent les attaques de la guérilla au cœur de la Palestine occupée. Des diplomates ont demandé aux médias de cesser d’utiliser des mots jugés « incorrects » pour parler de la résistance palestinienne.
Des descriptions telles que « hommes armés » plutôt que « terroristes » ont été utilisées ; et les fusillades sont appelées « opérations armées » et non «attaques terroristes », au grand dam d’Israël. Les Israéliens affirment que cette terminologie légitime les attaques palestiniennes.
En réalité, la résistance armée à une occupation militaire est déjà tout à fait légitime et conforme au droit international.
Pendant que l’armée d’occupation fait face à la résistance palestinienne sur le terrain, les services de sécurité israéliens sont occupés à affronter les militants palestiniens dans le monde virtuel par le biais des médias sociaux, en particulier TikTok, qui a une présence palestinienne remarquable attirant des dizaines de millions de vues et d’opinions, favorables ou non.
Israël estime que les Palestiniens sont en train de gagner la bataille médiatique, de populariser leur discours et d’influencer l’opinion publique.
Les services de sécurité israéliens surveillent les publications palestiniennes sur TikTok, qui comprennent des messages politiques et patriotiques sans dissimulation utilisant des signes culturels non conventionnels, des défis artistiques, des clips vidéo et des animaux attendrissants, en arabe, anglais et espagnol.
Tous mettent généralement en cause Israël.
L’activisme de TikTok s’est répandu relativement rapidement parmi les Palestiniens, notamment en raison de son utilisation pour faire connaître les événements récents, en particulier à Sheikh Jarrah et à la mosquée Al-Aqsa, lorsque la prise de conscience mondiale a été stimulée par la révélation en temps réel des intentions israéliennes d’expulser des familles palestiniennes au profit de colons illégaux.
La campagne en ligne qui en a résulté a permis de réaliser ce que l’Autorité palestinienne n’a pas été en mesure de faire depuis des années.
En Israël, on craint désormais que cette génération de Palestiniens multilingues, adeptes des médias sociaux, ne constitue, d’ici une dizaine d’années, le noyau de la société palestinienne et peut-être même les dirigeants politiques.
Israël a l’habitude de gérer ses affaires dans la bande de Gaza et en Cisjordanie avec les mêmes anciens dirigeants « traditionnels » depuis des décennies, et pourrait être surpris par le prochain groupe de dirigeants.
Les jeunes Palestiniens sur TikTok comprennent qu’ils sont dans une course contre la montre pour contrer le contre-récit mensonger d’Israël qui, par exemple, dépeint Jénine comme un foyer d’opérations armées d’où les guérilleros lancent des attaques sanglantes au cœur des villes israéliennes.
Les militants palestiniens sur TikTok démontrent qu’en fait, Jénine est une ville très ordinaire, avec des centres commerciaux et des sites remarquables, et de la musique palestinienne jouant en fond, y compris des chansons traditionnelles que chaque citoyen connaît par cœur.
En quelques secondes, ces images obtiennent des milliers de vues et de likes, ce qui met les nerfs israéliens à vif et remet en question la véracité de la hasbara destinée à la communauté internationale.
De plus, les Israéliens pensent que de nombreux messages TikTok d’activistes palestiniens indiquent que cette nouvelle génération veut récupérer toute la Palestine, du fleuve à la mer, et estime qu’Israël n’a aucune légitimité sur la terre palestinienne.
En cas d’incident politique ou répressif, les Palestiniens sur TikTok réagissent immédiatement en illustrant l’injustice historique de l’établissement de l’État d’Israël sur leur terre. Des milliers de messages de ce type trouvent un écho évident auprès du public des pays islamiques, arabes et occidentaux.
Les Israéliens qui pensent que la cause palestinienne n’est plus une préoccupation majeure dans le monde entier devraient jeter un coup d’œil à TikTok, qui est un monde à part de celui des fonctionnaires cacochymes qui gèrent les évènements quotidiens du conflit.
Ce qu’Israël décrit comme l’hégémonie palestinienne sur TikTok confirme qu’une nouvelle génération au Moyen-Orient et dans le monde se soucie effectivement de la cause palestinienne, et que l’esprit pro-palestinien ne fera que croître en l’absence de solution au conflit.
La jeune génération ne tardera sûrement pas à être convaincue que la résistance est la seule véritable solution, parallèlement à un boycott complet de l’État occupant.
Pendant ce temps, Israël utilise des influenceurs [supposées « vedettes »] sur les médias sociaux pour contester le récit palestinien. Ces individus cherchent à rétablir le soutien à Israël, en utilisant notamment leur popularité sur TikTok.
Ces influenceurs pro-israéliens seraient l’arme la plus puissante de l’État d’apartheid dans la lutte pour la domination en ligne, avec 32 millions d’adeptes, et pourtant, comme l’admet Israël, ils perdent toujours la bataille.
Les soi-disant guerriers numériques se spécialisent dans leurs cibles, le mannequin américain d’origine palestinienne Bella Hadid, par exemple, a un adepte particulier qui l’attaque en ligne chaque fois qu’elle reproche à Israël de tuer des enfants palestiniens.
Des militants israéliens ont diffusé le hashtag #Israelunderattack, même si l’un d’entre eux a perdu 20 000 suiveurs en un seul clic lorsqu’il a posté un message pro-israélien. Il est donc clair que TikTok est devenu un outil efficace pour les Palestiniens dans leur lutte pour contrer la propagande de l’État d’apartheid.
Auteur : Adnan Abu Amer
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l'université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l'histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël.Il est titulaire d'un doctorat en histoire politique de l'université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l'histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes. Son compte Facebook.
4 octobre 2022 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine