Par Adnan Abu Amer
Malgré les réunions et les démarches entreprises par les dirigeants du Hamas et du Fatah pour présenter un front uni suite aux accords de normalisation d’Israël avec les Émirats arabes unis (EAU) et le Bahreïn, les dirigeants de second niveau du Hamas et les organisations populaires de base ne font pas très confiance à ce qu’ils appellent une “fausse unité”, arguant que le Fatah et l’Autorité palestinienne (AP) ont fait preuve dans le passé d’un manque total de crédibilité lorsqu’il s’agit de se réconcilier avec le Hamas.
Pour eux, les efforts du Fatah et de l’AP ne répondent pas sur le fond, mais sont plutôt tactiques, stratégiques, temporaires et découlent de leurs propres intérêts. Ils affirment que l’AP et le Fatah n’ont pas changé l’approche de leurs services de sécurité envers le Hamas en Cisjordanie, car ils continuent à arrêter et à convoquer les cadres du Hamas malgré les réunions positives devant les caméras et sous prétexte qu’ils craignent que le Hamas prenne le contrôle de la Cisjordanie comme il l’a fait dans la bande de Gaza en 2007.
Le Comité des familles des prisonniers politiques en Cisjordanie, une institution non gouvernementale qui s’occupe des membres du Hamas emprisonnés par l’AP, a déclaré dans son rapport mensuel publié le 10 septembre que l’AP continue ses violations, en arrêtant 30 militants politiques, en convoquant 33 personnes et en faisant des descentes dans neuf domiciles et lieux de travail.
Les violations, selon le rapport, visaient 24 anciens prisonniers, 24 prisonniers politiques libérés, des étudiants des universités, des journalistes, des enseignants et des professeurs d’université, dont la plupart sont des cadres du Hamas. La plupart de ces violations ont été enregistrées dans la ville d’Hébron en Cisjordanie, suivie de Jénine et de Naplouse.
Nayef Rajoub, ancien ministre des fondations dans le gouvernement dirigé par le Hamas et responsable de cette organisation en Cisjordanie, a déclaré à Al-Monitor : “Le mouvement accueille favorablement toute mesure visant à mettre fin à la division et bénit tout effort allant dans ce sens. Pourtant, notre expérience avec l’AP a été amère. De nombreux accords ont été signés avec l’AP en présence de témoins régionaux et internationaux. À chaque fois, l’AP contournait ce qui avait été convenu. Sur cette base, nous devons voir comment elle va agir sur le terrain afin que le public palestinien soit rassuré et puisse constater qu’elle s’efforce sérieusement de surmonter les différences et les divisions”.
“Sur cette base,” a ajouté M. Rajoub, “l’AP doit mettre en œuvre sur le terrain ce qui est dit, sans se contenter de remarques et de réunions avec les médias. C’est une honte que les arrestations, les convocations et le harcèlement du Hamas en Cisjordanie se poursuivent”.
“Je crains que les mesures [de rapprochement] prises à l’égard du Hamas ne soient tactiques et ne soient que liées aux intérêts de l’AP, après que celle-ci se retrouve dans l’impasse, et qu’elle ne veuille se servir la carte [du Hamas] devant Israël et les Américains”, a poursuivi M. Rajoub.
Depuis l’apparition du coronavirus en Cisjordanie en février, l’AP a convoqué et arrêté des militants du Hamas dans tout le territoire et pour certains, a enquêté sur leurs publications dans les médias sociaux. Cela a incité Shaker Amara, un éminent dirigeant du Hamas en Cisjordanie, à qualifier cette politique d’acte de sabotage des efforts de réconciliation, et de renforcement de la division.
Cependant, Ehud Hamo, un correspondant de la chaîne israélienne Channel 12 en Cisjordanie, a révélé dans un article daté du 16 septembre que la direction de l’AP a donné des instructions à ses forces de sécurité ces derniers jours, suite à la signature des accords de normalisation arabe avec Israël à Washington, pour ne pas arrêter de membre du Hamas, sauf s’il s’agit d’un cas extrême et sensible.
Yahya Moussa, un dirigeant du Hamas dans la bande de Gaza qui préside également le Comité des droits de l’homme et de surveillance au Conseil législatif palestinien, a déclaré à Al-Monitor : “Depuis sa création, l’AP a pris le chemin des négociations avec Israël. Elle n’est pas disposée à changer de cap car ses intérêts sont corrélés avec ceux d’Israël, malgré la rupture actuelle. Nous sommes dans une position qui ne nous conduira ni à une réconciliation nationale ni à résister à l’occupation. Je ne suis pas optimiste quant aux prochaines étapes, car l’AP n’est pas sérieuse à ce sujet et elle ne veut pas avoir de concurrent ou d’autre programme sur la scène politique. Elle considère même le drapeau vert du Hamas comme une menace existentielle. Abu Mazen (Mahmoud Abbas) n’a plus aucune pertinence politique ; plus personne ne prend le téléphone pour lui parler et tout le monde attend la fin [de son mandat]. Il est étrange de voir comment, tout à coup, le Hamas intervient pour le tirer d’affaire avec des considérations polies”.
Bien que le pessimisme l’emporte dans la direction de second niveau du Hamas concernant le rapprochement avec le Fatah, Hossam Badran, membre du bureau politique du Hamas et responsable du dossier des relations nationales, a déclaré dans un communiqué télévisé le 15 septembre : “Le Hamas cherche à se tenir aux côtés du Fatah et de tous les Palestiniens dans la bataille de la libération s’il y a un accord sur la résistance populaire et s’il y a des contacts pour résoudre la situation palestinienne interne”.
Dans le même temps, certains milieux de l’AP estiment que Jibril Rajoub, secrétaire général du Comité central du mouvement qui s’occupe de la communication avec le Hamas, n’est pas soutenu par l’ensemble du Fatah. Ils pensent qu’il cherche à se rapprocher du Hamas pour ses propres intérêts personnels aux yeux des Palestiniens et non pour parvenir à une réconciliation politique.
Sari Arabi, expert des mouvements islamiques et contributeurs à Arabi21, a déclaré à Al-Monitor : “Le Hamas estime qu’un rapprochement avec l’AP vaut mieux qu’une rupture, même s’il ne conduit pas à une réconciliation sérieuse, à une véritable unité ou à un changement de politique de la part de l’AP”.
Il a ajouté : “Le Hamas ne peut pas refuser de parler avec l’AP, même dans les médias, sur l’objectif de contrer les plans d’annexion et de normalisation, alors que l’AP bénéficie des moyens de communication du Hamas auprès des Palestiniens. Pourtant, le problème réside dans l’exagération de certains dirigeants du Hamas en ce qui concerne l’unité avec le Fatah. C’est pourquoi ils doivent écouter davantage leurs cadres intermédiaires dont la vision est réaliste lorsqu’il s’agit de l’AP. La véritable réconciliation et une résistance populaire sérieuse impliquent une confrontation avec l’occupation israélienne, ce que la classe dirigeante de l’AP rejette”.
Commentant le prétendu rapprochement, les sceptiques au sein du Hamas estiment que l’AP n’a pas ouvert d’espace pour une véritable résistance populaire et n’a rien entrepris de sérieux depuis que les États-Unis ont déclaré Jérusalem capitale d’Israël et annoncé “l’accord du siècle” pour le Moyen-Orient.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes.
22 septembre 2020 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine