La formule des deux états est le plus grand obstacle à la paix en Israël Palestine.
Depuis des décennies, la solution à deux états est le consensus prôné par les groupes sionistes libéraux de gauche, les partis politiques ; et les états étrangers (dont les E.U. et l’U.E.) cherchant à servir de médiateurs dans le conflit israélo-palestinien.
Les administrations états-uniennes (à l’exception flagrante d’une seule) ont régulièrement critiqué la politique de colonisation israélienne comme mettant en péril les chances de réalisation d’un tel accord pour deux états. Sur la base d’un tel consensus on penserait que le monde pourrait alors procéder à la mise en œuvre d’une telle proposition. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit.
La solution à deux états s’est avérée être une chimère : une chose qui semble exister, mais qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais. On pourrait soutenir que deux états sont un plan viable s’il était adopté par les deux parties. Mais l’une des deux notamment a défié ce consensus pendant une génération, tout en faisant croire faussement (pendant très longtemps) qu’elle l’approuvait. Cette partie, Israël, ne maintient même plus cette prétention feuille de vigne.
Depuis une décennie, voire plus, les gouvernements israéliens l’ont d’abord implicitement, puis explicitement rejetée. Faisant ainsi passer le reste du monde qui le soutient pour de parfaits imbéciles. Mais des gouvernements comme ceux des E.U. et de l’U.E. n’ont été que trop heureux de maintenir la mascarade, car sans deux états leur stratégie semblerait encore plus vaine, et les rendrait encore plus ridicules.
Ainsi l’idée de deux états sert à prétendre que le monde a un plan, alors qu’il n’en a pas. Reconnaître la vérité, forcerait ceux qui considèrent sérieusement les questions de paix et de justice soit à lever futilement les bras au ciel, soit à admettre leur échec et à concevoir une approche différente.
Cette approche, un état unique englobant à la fois Israël et la Palestine, est raillée comme étant irréalisable parce que le camp israélien « ne l’accepterait jamais ». Mais c’est un argument fallacieux qui repose sur un hypothétique futur résultat que personne ne s’est jamais donné la peine de tenter d’atteindre.
Le même argument était avancé pendant l’ère de l’apartheid sud-africain. Prôner un gouvernement de la majorité noire semblait impossible étant donné l’opposition intraitable de la majorité blanche au pouvoir.
Mais grâce à une pression politique, morale et économique suffisante, ce même régime d’apartheid a su décrypté les signes annonciateurs et a reconnu qu’il était condamné. Durant un processus prolongé de négociations entre les parties, une transition vers un régime majoritaire a été mise en place avec succès.
Bon, l’Afrique du Sud n’est sûrement pas un exemple éloquent de transformation de l’état. C’est un état confronté aux mêmes problèmes que de nombreux autres pays africains (crime, corruption, élites de pouvoir indélogeables). Mais au moins c’est une démocratie dans laquelle les personnes ont une voix égale dans la conduite de la vie politique de la nation.
Un état unique est un objectif tout aussi atteignable. Mais étant donné l’opposition israélienne, il ne peut advenir tant que les élites politiques mondiales, celles-là même qui ont décidé que deux états étaient la seule option viable, n’abandonnent pas cette illusion. En plus d’adopter la solution de l’état unique, elles doivent faire ce qu’elles ont refusé de faire jusqu’ici, à savoir appuyer leur prise de position d’un poids politique, moral et économique.
Il faut répondre au refus d’Israël en l’isolant dans tous les domaines mentionnés ci-avant : l’économie israélienne doit être boycottée, il faut lui refuser les possibilités financières et l’accès au capital qui sont offerts aux autres états ; les institutions sponsorisées par l’état dans les secteurs tels que les arts et le monde universitaire doivent être mises à l’écart ; et Israël doit être mis au ban des organes internationaux et privé des possibilités de normalisation aux yeux du monde entier.
De toute évidence, cela nécessitera une force de volonté non encore manifestée. Il faudra une détermination qui a fait défaut jusqu’ici. Il faudra une mobilisation mondiale qui exercera une pression morale constante pour agir. Il faudra une évolution continue du consensus en politique étrangère chez les élites universitaires telle que vu ici et là.
Des ouvrages comme celui de Ian Lustick, publié récemment, Paradigm Lost ainsi que sa chronique dans le New York Times, Two-State Illusion, érodent ce consensus toxique. Mais malgré la lente transformation de l’opinion publique, la résistance a jusqu’ici été incapable d’apporter un changement radical en partie dû à la force contraire des groupes de pression israéliens en Occident ( notamment au R.U. et aux E.U.).
Ceci dit, les historiens doivent se souvenir que les états puissants qui semblaient invulnérables, sont finalement tombés en raison de leur instabilité inhérente et contradictions internes (l’URSS et ses états satellites de l’Europe de l’Est, l’Allemagne nazie, la Yougoslavie, la Rhodésie, l’Afrique du Sud de l’apartheid, la junte militaire d’Argentine, le Nicaragua de Samoza, l’état cubain de Battista, etc.).
Nous devrions aussi nous souvenir de l’effondrement de l’ère coloniale d’après deuxième guerre mondiale qui a vu la perte des colonies françaises et britanniques en Afrique, en Asie, et au Moyen-Orient. Malgré l’apparente stabilité et vitalité économique d’Israël, ce dernier pourrait aussi subir, et subira vraisemblablement un sort similaire.
Le mirage des deux états de Mme Merkel
פתרון מדיני הוא אינטרס ישראלי. פתרון שתי המדינות הוא הדרך היחידה לקיומה של מדינת ישראל דמוקרטית. אין פתרון אחר https://t.co/SfrxHDkrWF
— שלום עכשיו (@PeaceNowIL) October 10, 2021
Cette semaine, la chancelière allemande Angela Merkel a choisi pour son dernier voyage à l’étranger de se rendre en Israël/Palestine. L’Allemagne est restée très attachée au fait de jouer un rôle dans la médiation du conflit. C’est, peut-être, le résultat persistant de la culpabilité allemande pour le rôle qu’elle a joué dans l’extermination des juifs européens. Mme Merkel voulait, peut-être, consolider empreinte en tant que leader politique allemande dans le monde.
Mais l’Allemagne sous son leadership a aussi joué un rôle préjudiciable en tant que gros exportateur d’armement de pointe à Israël, tout particulièrement six sous-marins à charge nucléaire de classe Dolphin capable de déclencher un Holocauste régional. Sans parler des millions d’euros de pots de vin liés à cette transaction qu’auraient empochés Bibi Netanyahu et ses copains.
Ces sous-marins patrouillent maintenant les eaux au large de l’Iran, pays que les dirigeants israéliens ont déjà menacé d’annihilation nucléaire.
Lors de sa rencontre avec le premier ministre Naftali Bennett, elle a souligné son soutien aux deux états. Position rejetée de manière expéditive par M. Bennett qui a qualifié tout état palestinien potentiel « d’état terroriste ». L’ironie a apparemment échappé au dirigeant israélien qu’Israël est un état terroriste bien plus puissant qui régulièrement viole la souveraineté de ses voisins dans la poursuite de ses propres intérêts régionaux en ayant recours notamment à l’assassinat, à l’invasion, au meurtre par drone, et même à la destruction par le feu de villes entières.
Le tweet ci-dessus de Peace Now offre ce mensonge :
La solution à deux états est la seule voie vers un État israélien démocratique. Il n’existe pas d’autre solution.
En fait, la solution à deux états c’est la voie qui perpétue la situation actuelle où Israël est un état d’apartheid. Parce que les citoyens israéliens palestiniens continueraient à souffrir en tant que citoyens de seconde zone comme c’est le cas maintenant. Elle pérenniserait Israël en tant qu’ethnocratie, plutôt que comme démocratie.
La solution à deux états revient à grignoter les marges d’un problème systémique et à offrir un correctif, plutôt qu’une solution d’ensemble. Par contre, un état unique avec des droits égaux pour tous serait la garantie qu’Israéliens juifs et palestiniens, et les Palestiniens des Territoires, exerceraient leurs droits en toute égalité.
La gifle donnée par Bennett à l’Allemagne aurait dû être reçue par cette dernière et le reste du monde comme une violation impardonnable des relations bilatérales. L’Allemagne aurait dû réagir avec colère au rejet d’Israël. Elle aurait dû menacer de réévaluer leurs relations diplomatiques futures.
Madame Merkel n’a bien sûr rien fait de la sorte. Les deux parties ont poursuivi leurs activités comme d’habitude, comme si la question des deux états était une divergence obscure que les deux parties se devaient de mentionner afin de ne pas perdre la face, mais qu’aucune des deux n’avait l’intention de poursuivre de quelque façon que ce soit.
États-Unis: les Deux États du bout des lèvres
Les États-Unis sont à cet égard également coupables. Donald Trump mis à part, tous les présidents depuis George HW Bush ont chanté en playback les paroles de la chanson des deux états, tout en refusant de les chanter en vrai pour un public mondial.
Même des démocrates progressistes comme Bernie Sanders et son conseiller présumé en politique étrangère de gauche, Matt Duss, affirment que les deux états constituent la seule façon d’avancer. Il en résulte une perte de temps et d’énergie à poursuivre une quête désespérée de l’impossible, alors que la gauche devrait offrir une vision unie et cohérente de l’avenir d’Israël-Palestine.
Dans les faits, cette fixation du sionisme libéral sert les intérêts de l’état d’apartheid d’Israël. Tant que la gauche mondiale reste divisée sur son approche, le statu quo persistera.
Une autre caractéristique de l’approche du sionisme libéral est sa focalisation sur les symptômes de la maladie d’apartheid, plutôt que sur ses causes profondes. Ainsi lorsque Israël attaque Gaza comme il l’a fait en mai dernier, tuant 250 Palestiniens, la réaction états-unienne fut au départ le silence total. Puis vu que la tuerie a continué et que des tours d’habitation entières ont été détruites par des frappes aériennes impitoyables, M. Biden a exigé un cessez-le-feu. Cela a quelque peu soulagé la conscience mondiale.
Mais les sentiments sont restés à vif concernant les dégâts infligés à Gaza, ainsi le président états-unien a proposé d’offrir une aide humanitaire. Bien sûr sa proposition ne spécifiait pas son montant, ses bénéficiaires, ni comment elle serait distribuée, toutes ces questions étant litigieuses dans la réalité fragmentée à laquelle sont confrontés Israël et la Palestine, et une Palestine déchirée par des dissensions internes.
Bien que les États-Unis aient budgétisé 150 millions de dollars et promis de réintégrer l’UNWRA (que M. Trump avait abandonnée), c’est une goutte d’eau dans l’océan comparés aux milliards que nécessitent les projets des associations d’aide humanitaire. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, quelques milliers seulement des 18 000 foyers qu’Israël a détruits en 2014 ont été reconstruits. Imaginez combien de temps il faudra pour réparer ce qui a été détruit en mai dernier.
L’aide humanitaire ne s’attaque pas aux racines du conflit. Elle ne met qu’un sparadrap sur une tumeur cancéreuse. Elle ne mène pas à une solution à long terme. Elle permet seulement au statu quo de se perpétuer cahin-caha.
Le vote récent au Congrès sur le financement du Dôme de fer est un exemple analogue. En guise de cadeau à Israël, les forces parlementaires pro Israël ont proposé de renouveler l’armement du Dôme de Fer qui avait été épuisé dans la défense contre les roquettes tirées en direction d’Israël au cours des hostilités de mai dernier. Les Démocrates progressistes ont remporté une victoire sans précèdent en rejetant la proposition en commission.
Mais les dirigeants démocrates, qui bénéficient d’un soutien financier du lobby israélien depuis des décennies, ont réussi à imposer un nouveau vote pour réparer les dommages causés par la défaite. Le lobby a exercé une pression tout terrain sur les parlementaires qu’il avait soutenus financièrement au cours d’élections antérieures. Réflexe pavlovien assuré. Quatre cents se sont obligeamment alignés pour voter oui. Neuf élus intrépides ont défié le lobby.
La volte-face de la députée Alexandria Cortez votant oui à la suite des pressions de Nancy Pelosi captées sur vidéo a causé un tollé de protestations. AOC s’est excusée d’avoir changé d’avis, mais ses explications n’étaient ni convaincantes ni cohérentes. Elle a implicitement reconnu avoir été menacée de manière plutôt vague, mais a continué à défendre son recul en disant qu’un vote négatif aurait d’une certaine façon été préjudiciable à la solidarité inter sectionnelle entre la Palestine et son électorat du Bronx.
Bernie Sanders s’y est pris différemment, lui, lorsque le vote sur le Dôme de Fer est arrivé au Sénat. Il a accordé son propre vote “oui” sur la base d’un vague accord de l’administration Biden d’allouer en retour 1 milliard de dollars d’aide humanitaire à Gaza.
« Le président Biden essaie de rétablir la position de l’Amérique dans le monde en tant que soutien des droits humains et de la dignité pour tous les peuples. Accorder un milliard de dollars supplémentaires d’aide à Israël tout en ignorant la souffrance du peuple à Gaza serait mal et inadmissible, » a déclaré M. Sanders lors du gala pour le 40ième anniversaire de Americans for Peace Now jeudi.
« C’est pourquoi j’ai demandé au chef de la majorité au Sénat Chuck Schumer de s’engager à œuvrer avec moi pour faire en sorte que nous augmentions de manière significative l’aide états-unienne au peuple palestinien à Gaza à très court terme. Et le sénateur Schumer a accepter de travailler avec moi sur cette question. »
« … Si le but de ce financement supplémentaire [1milliard de dollars] est d’aider Israël à reconstituer le Dôme de Fer après la guerre qui a eu lieu en mai, il serait, de mon point de vue, irresponsable de ne pas s’attaquer aux énormes destructions et souffrances causées aux Palestiniens à Gaza. »
Remarquez qu’à aucun moment dans sa déclaration M. Sanders ne dit qu’il a donné son accord pour financer un énorme système d’armement israélo états-unien, qui ne contribuera en rien à résoudre le conflit israélo-palestinien. En fait, il se contredit directement en poursuivant par cette déclaration :
M. Sanders a dit que les E.U. doivent s’opposer activement à l’occupation afin d’y mettre un terme, et être « prêts à exercer une réelle pression, y compris à réduire l’aide militaire E.U. en réponse aux actes de l’une ou l’autre partie qui compromettent les chances de parvenir à la paix ».
… « Je pense que nous devons adopter une approche/démarche impartiale, qui respecte et renforce le droit international relatif à la protection des civils ainsi que le droit états-unien en vigueur, qui prévoit que la fourniture d’une aide militaire états-unienne ne doit pas permettre la violation des droits humains, » a-t-il poursuivi.
Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Le Dôme de Fer permet directement une telle violation. Israël ne peut déchaîner toute sa puissance de feu sur Gaza comme bon lui semble sans craindre une réaction des militants palestiniens. C’est précisément ce qu’il fait depuis 2014, tuant près de 3000 Gazaouis au cours de cette période. Le Dôme de Fer est précisément le genre d’aide militaire auquel M. Sanders devrait farouchement s’opposer.
Voici, une fois de plus, la même approche fragmentée du conflit israélo-palestinien qui diffère un changement fondamental depuis des décennies. Si Israël peut faire en sorte que ses critiques se concentrent sur les symptômes du conflit comme la réparation des dommages infligés par Israël, il les empêche de s’unir autour d’une approche qui mettra fin au conflit une fois pour toute. Une telle approche globale mettrait, bien sûr, totalement fin à la nécessité d’avoir recours à des mesures palliatives. Un résultat que ceux qui refusent la solution d’un seul état semblent ignorer.
Auteur : Richard Silverstein
* Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne.Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006 A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai : Israël and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).
10 octobre 2021 – RichardSilverstein.com – Traduction: Chronique de Palestine – MJB