Par Daoud Kuttab
En remportant un total spectaculaire de 15 sièges sur les 120 membres de la Knesset lors des élections du 2 mars avec la Liste commune arabe, les citoyens palestiniens d’Israël ont envoyé un puissant message.
L’alliance se compose de Hadash (Front démocratique pour la paix et l’égalité), dirigé par Ayman Odeh ; du Mouvement arabe pour le changement, dirigé par Ahmad Tibi ; du Mouvement islamique, dirigé par Abbas Mansour ; et du Balad nationaliste, dirigé par Mtanes Shehadeh. Les 64,7% des électeurs palestiniens qui se sont rendus aux urnes ont voté presque exclusivement pour la Liste commune, contrecarrant ainsi les espoirs de l’actuel Premier ministre intérimaire israélien, Benjamin Netanyahu, de former un gouvernement de coalition majoritaire de 61 membres.
Fadi Elsalameen, chercheur associé au Projet de sécurité américain basé à Washington, a déclaré à Al-Monitor que les résultats des élections représentent un énorme succès pour les citoyens palestiniens d’Israël. “Non seulement Netanyahu ne pourra pas former de gouvernement, mais la droite ne pourra pas non plus continuer à exclure les Arabes palestiniens de la politique israélienne comme elle l’a toujours fait”, a déclaré Elsalameen.
Elsalameen, qui est Palestinien, a ajouté qu’avant même le jour des élections, “On a compris qu’on allait réussir quand on a vu que Netanyahu essayait de diminuer le nombre des votes palestiniens en organisant à la dernière minute des pèlerinages à la Mecque, et en affirmant publiquement que le transfert de population n’était pas une bonne idée”.
Dans le plan de paix du président américain Donald Trump, dont beaucoup pensent qu’il a été largement inspiré par Netanyahu, il est prévu de déplacer les frontières pour transférer 250 000 citoyens palestiniens d’Israël vers un État palestinien virtuel et sans pouvoir. Cette disposition, dissimulée à la page 13 des 181 pages du plan “de la Paix à la Prospérité”, a, semble-t-il, augmenté la participation arabe aux élections.
Selon Smadar Perry, une journaliste chevronnée du Yedioth Ahronoth, deux facteurs ont contribué à ce que la Liste commune remporte 15 sièges. Elle a dit à Al-Monitor : “[Premièrement] il n’y avait pas de candidat arabe dans aucun autre parti, ce qui était une énorme erreur à mon avis, et deuxièmement… les têtes de liste et les militants ont réussi à motiver les Palestiniens et le taux de participation a été élevé.”
Perry a applaudi les têtes de la Liste commune, qui, selon elle, ont travaillé dur en avant des élections. “Seuls les Arabes et le Likoud se sont donné du mal pour cette élection”, a-t-elle déclaré. Lors des élections d’avril dernier, les partis arabes s’étaient présentés séparément et avaient remporté ensemble un total de 10 sièges. En septembre, les partis arabes s’étaient réunis et avaient remporté 13 sièges.
Johnny Mansour, un historien basé à Haïfa et professeur de sciences politiques au Collège académique de Beit Berl, en Israël, a déclaré à Al-Monitor que les leaders de la liste commune avaient remporté un grand succès, mais que leurs adversaires tentaient de le minimiser. “Les résultats ont suscité de nombreux commentaires négatifs de la part des partis alignés sur Benny Gantz, le leader du parti Bleu et blanc, et même de certains membres de son parti qui ne veulent pas voir les Arabes associés à quelque gouvernement que ce soit, et qui accusent même certains élus, en particulier le parti Tajamu [Balad], d’être des terroristes”.
Mansour a salué la maturité des dirigeants de la Liste commune, qui ont l’intention de formuler de sérieuses exigences au nom de leurs électeurs. “Leur participation aux négociations [en vue de soutenir un nouveau gouvernement de coalition], avec un représentant de chacun des quatre groupes de la liste, est un progrès phénoménal car, dans le passé, ils en étaient évincés, du fait du rejet général du nationalisme palestinien”, a-t-il déclaré.
Selon Mansour, les dirigeants doivent mélanger les revendications directes et les revendications idéologiques dans ces négociations. “Ils peuvent exiger, par exemple, la fin des démolitions de maisons, la reconnaissance des communautés bédouines du Néguev, mais en même temps, ils peuvent réclamer l’annulation d’un certain nombre de lois racistes récemment adoptées qui sont discriminatoires envers les Arabes, et exiger que le nouveau gouvernement renonce au plan Trump. Les grands partis acceptent souvent de traiter des questions spécifiques, mais sont réticents à céder à des demandes idéologiques et politiques”, a expliqué M. Mansour.
Le taux de participation élevé des Palestiniens, qui a permis à la Liste commune d’obtenir 15 sièges à la 23e Knesset israélienne, un chiffre jamais atteint, ne constitue pas le seul précédent de cette élection. Eman Khatib, la candidate du Mouvement islamique qui occupait la 15e place sur la liste commune, fera œuvre de pionnière en entrant à la Knesset. Khatib, mère de quatre enfants et titulaire d’une maîtrise en études féminines de l’Université de Tel-Aviv, deviendra la première femme qui porte le hijab à entrer à la Knesset.
Khatib a déclaré à Al-Monitor qu’elle aura comme priorité de servir sa communauté. “J’ai pris l’engagement envers les électeurs de les représenter de mon mieux et de me battre pour leurs droits”, a-t-elle déclaré. Quant à son hijab, Mme Khatib a déclaré qu’elle était habituée aux réactions négatives. “J’ai fait face à ce genre de réactions toute ma vie, y compris pendant mes études à l’université de Tel-Aviv, et cela ne me déstabilise pas”, a-t-elle souligné.
Après la confirmation des résultats des élections, Mme Khatib a publié une vidéo sur Facebook pour remercier ses électeurs. “Votre confiance m’est précieuse, nous essaierons d’être à la hauteur de nos responsabilités partout où nous irons, et nous serons d’honnêtes représentants de vos aspirations et de vos droits”.
Les élections de mars en Israël, les troisièmes en moins d’un an, ont modifié le paysage politique du pays. Le nombre record de sièges de la Knesset occupés par des représentants des citoyens palestiniens semble être suffisant pour que se dégage une majorité de blocage qui pourrait contraindre le premier ministre israélien de droite, accusé de corruption, à quitter ses fonctions. Une telle prouesse ne passerait certainement pas inaperçue.
Auteur : Daoud Kuttab
* Daoud Kuttab, journaliste palestinien primé, a été professeur de journalisme à l'université de Princeton et fondateur et ancien directeur de l'Institut des médias modernes de l'université Al-Quds à Ramallah.Son compte Twitter/X.
12 mars 2020 – Al Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet