Par Belen Fernandez
Les États-Unis ont choisi un célèbre fauteur de troubles pour promouvoir la “démocratie” au Venezuela.
Peu de temps après que le droitiste Juan Guaido se soit autoproclamé président par intérim du Venezuela en janvier – sous les applaudissements empressés du président américain Donald Trump – le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a annoncé la nomination d’un envoyé spécial pour “aider le peuple vénézuélien à rétablir pleinement la démocratie et la prospérité dans son pays”, c’est-à-dire pour éliminer définitivement le président légitime Nicolas Maduro du Venezuela.
L’envoyé est l’extraordinaire néo-conservateur Elliott Abrams, salué par Pompeo comme un “vétéran chevronné, doté de principes et d’un esprit ferme en politique étrangère”, dont la “passion pour les droits et libertés de tous les peuples fait de lui un membre à part entière de l’équipe du département d’État et un atout précieux et bienvenu”.
S’il y a un mot de vrai dans ses paroles, c’est celui de “vétéran”. Abrams se targue en effet d’une longue carrière d’exploits politiques douteux en Amérique latine au service du gouvernement étasunien.
Les “mercenaires” étasuniens
Alors qu’il servait l’administration de Ronald Reagan dans les années 1980, Abrams a été l’une des vedettes de la phase de la guerre froide connue sous le nom d’affaire Iran-Contra (ou Irangate), au cours de laquelle les États-Unis ont vendu illégalement des armes à l’Iran et ont reversé les profits réalisés à des forces contras de droite qui terrorisaient le Nicaragua.
Abrams a même été condamné pour son rôle dans l’affaire, mais a par la suite été gracié par George HW Bush.
Dans ses mémoires de guerre, Blood on the Border (*), l’universitaire américaine Roxanne Dunbar-Ortiz rappelle l’arrogante prédiction d’Abrams selon laquelle “quand l’histoire sera écrite, les Contras deviendront des héros populaires”.
Mais les Contras ont déclenché une guerre qui a duré dix ans et qui a tué environ 50 000 Nicaraguayens, et ils ne sont donc considérés aujourd’hui comme des “héros populaires” que par un petit nombre de néoconservateurs déconnectés.
Sous Reagan, Abrams a occupé des postes comme secrétaire d’État adjoint aux droits de la personne et aux affaires humanitaires. Après avoir été amnistié, il a servi l’administration de George W. Bush, entre autres, comme directeur principal pour la démocratie, les droits de l’homme et les affaires internationales au Conseil de sécurité nationale.
Pourtant, malgré ces titres flatteurs – et son image médiatique de “défenseur acharné des droits et libertés de tous les peuples” – l’objectif de sa carrière en politique étrangère a, en fait, été de faire obstacle aux droits de l’homme et à la démocratie pour servir les intérêts étasuniens.
Et ses exploits au Nicaragua ne sont qu’un épisode d’une longue carrière si odieuse qu’il est impossible d’imaginer qu’il puisse jamais aider à “restaurer la démocratie” au Venezuela.
Génocide et autres “fabuleux exploits”
Par exemple, au Salvador, où le gouvernement Reagan a vaillamment défendu les droits et libertés d’une armée de droite sans foi ni loi, et des escadrons de la mort qui l’épaulaient, dans un conflit qui a tué quelque 70 000 Salvadoriens, Abrams s’est illustré en niant le massacre de décembre 1981 à El Mozote de plus de 800 personnes par le bataillon Atlacatl formé et équipé par les États-Unis.
Un article du Magazine Jacobin commémorant le massacre décrit comment un de ces “vertueux” majors salvadoriens (**) “a saisi un petit garçon au milieu d’un groupe d’enfants, l’a jeté en l’air et transpercé de sa baïonnette quand il est retombé”.
Et voilà pour les droits humains !
Abrams saluera plus tard le “bilan” de l’administration Reagan sur le Salvador qu’il qualifiera de “réussite fabuleuse”.
Et la liste continue.
En 1983, Abrams a affirmé que le dictateur guatémaltèque Efrain Rios Montt, soutenu par les États-Unis, avait “fait faire des progrès considérables” au pays dans le domaine des droits humains. Ce même Rios Montt qui a été reconnu coupable de génocide pour son rôle dans une guerre qui a tué ou fait disparaître plus de 200 000 Guatémaltèques. La condamnation pour génocide a ensuite été annulée et l’ex-dictateur est mort avant la fin du second procès.
Il convient également de rappeler aussi que les États-Unis eux-mêmes ont ouvert la voie à la guerre au Guatemala en renversant en 1954 le président démocratiquement élu, Jacobo Arbenz.
Son crime ? Il ne servait pas avec assez d’empressement les intérêts des entreprises américaines.
Toujours plus de cruauté
Le Honduras n’a pas non plus été épargné par Abrams et ses collègues du personnel diplomatique américain, car un escadron de la mort très bien formé par la CIA et appelé Battalion 3-16 a fait un enfer de la vie de beaucoup de gens soupçonnés d’être de gauche dans les années 80. Abrams, pour sa part, cajolait le régime hondurien de droite qui prospérait grâce, entre autres, à ces abus, et il a continué à attester, par la suite, du respect des normes en matière de droits humains de la politique de Reagan en Amérique centrale.
Il faut garder tout cela à l’esprit, quand nous entendons les grands médias étasuniens dire que Maduro présiderait sur des “escadrons de la mort”.
Quand Pompeo a annoncé la nomination d’Abrams au poste de sauveur du Venezuela, il a dénoncé le “cruel dictateur vénézuélien” et parlé des “plus d’un million de réfugiés” qui avaient “fui les horreurs du régime Maduro” – des déclarations pour le moins impudentes de la part du gouvernement d’un pays qui a soutenu, pendant des décennies, les dictatures d’Amérique latine et leurs exactions et qui, en augmentant le niveau de violence de certaines situations, est responsable de milliers de réfugiés anonymes.
L’histoire se répète
Abrams a aussi applaudi l’invasion de l’Irak par les États-Unis et les agressions israéliennes contre des civils arabes – autant d’exploits qui ne cadrent pas vraiment avec la notion de “droits et libertés de tous les peuples”.
Il aurait en outre été impliqué dans le coup d’État raté de 2002 contre le prédécesseur de Maduro, Hugo Chavez qui était une épine dans le pied de l’impérialisme étasunien.
Aujourd’hui, suite à l’information selon laquelle Guaido donnera un meilleur accès aux compagnies pétrolières privées étrangères, il faut bien se dire que, comme d’habitude, la préoccupation des Etats-Unis pour “le peuple vénézuélien” n’a vraiment rien à voir avec le peuple.
Confronté à des questions persistantes sur son passé problématique, Abrams aurait récemment dit : “Les années 1980 sont loin. Nous préférons nous concentrer sur les événements de 2019.”
Mais, on voit bien que les États-Unis continuent d’être dirigés par des criminels et que les temps n’ont pas du tout changé.
Notes :
* Du sang à la frontière. Traduit en français sous le titre : Contre-histoire des États-Unis
** Voyant que les soldats hésitaient à massacre les enfants.
Auteur : Belen Fernandez
* Belen Fernandez est l'auteur de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié par Verso. Elle est rédactrice en chef du Jacobin Magazine. Il est possible de la suivre sur Twitter: @MariaBelen_Fdez
19 février 2018 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet