Interview: Aarab Marwan Barghouti
Environ un sur quatre Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes participe à la grève de la faim qui a été lancée le 17 avril pour exprimer une foule de revendications concernant les conditions de détention et le traitement qu’ils subissent, allant du contact avec leur famille aux soins médicaux et la fin de l’isolement cellulaire. Les responsables israéliens ont réagi par la répression – certains grévistes de la faim ont été mis à l’isolement, tandis que d’autres ont été répartis dans l’ensemble des établissements pénitentiaires israéliens. Plus de prisonniers souffrent des graves conséquences sur leur santé, y compris l’atrophie musculaire et la perte d’équilibre, selon le comité Médias de la grève.
L’un des plus célèbres grévistes de la faim est Marwan Barghouti, dirigeant de la première et seconde Intifadas, qui est derrière les barreaux depuis 15 ans. Son fils, Aarab Marwan Barghouti, s’est entretenu sur l’état actuel de la lutte et l’importance de la solidarité avec Brian Bean à Chicago après une manifestation de solidarité avec les grévistes de la faim.
SW: Quelles sont les causes de la grève de la faim, et quels objectifs les grévistes espèrent-ils atteindre ?
AMB: La grève de la faim a débuté le 17 avril, suivie par plus de 1500 prisonniers politiques palestiniens. Ils sont unis pour faire entendre leur voix contre les conditions inhumaines de détention.
De nombreux grévistes sont en mauvaise santé, aussi ils veulent une amélioration des soins médicaux. Certains sont incarcérés depuis des années sans procès. Et, bien sûr, il leur est tous impossible de voir leur famille de façon régulière. Ils veulent pouvoir toucher leur famille. Ils veulent que la durée des visites passent de 45 minutes à une heure trente, et ils veulent de meilleures conditions de visite pour les membres de leur famille.
Personnellement, j’allais souvent voir mon père avant mes seize ans. Puis après, mes seize ans je ne pouvais plus le voir qu’une fois tous les deux ans. C’est illégal au regard du droit international, mais cela se produit pour de nombreuses familles. Hier, j’ai rencontré le père d’un prisonnier appelé Mohammad, et il m’a dit qu’il n’a pu rendre visite à son fils que six fois en 16 ans.
Ils réclament des conditions humaines et le respect des droits de l’homme. Cette grève a pris le nom de « grève de la faim de la dignité et de la liberté » — dignité parce qu’il est temps de dire c’en est assez des conditions inhumaines en prison, et liberté parce que ce sont tous des combattants de la liberté.
Tout le monde devrait comprendre que ces personnes ne sont pas en prison parce que ce sont des criminels. Ce sont des combattants de la liberté, et ils ne se sont rendus coupables que d’avoir élever la voix contre l’occupation.
SW: Ce n’est, bien sûr, pas la première grève de la faim menée par des prisonniers palestiniens. De Khader Adnan et Samer Issawi à Mohammed Allan et d’autres, l’histoire de la résistance palestinienne qui s’engage dans des grèves de la faim pour protester contre le système d’apartheid en vigueur dans les tribunaux et prisons israéliens est longue. Comment se situe cette grève dans cette histoire du combat ?
AMB: La grève de la faim est la façon la plus pacifiste qui vous soit donnée de s’élever contre les autorités pénitentiaires. Cette grève de la faim est différente de celles menée par des individus comme Khader Adnan. Ceux-là faisaient 70 ou 90 jours de grève parce qu’ils prenaient des vitamines et d’autres choses pour se maintenir en vie. Celle-ci ressemble davantage à la grève qui a eu lieu en 1992. Ils ne prennent que de l’eau et du sel. [Selon des articles de presse, certains grévistes ont commencé à prendre des vitamines].
Ils ne demandent pas grand-chose, et maintenant le temps est venu pour eux de dire « Assez. » Ils ont le mental le plus puissant que vous puissiez imaginer.
On ne parle pas seulement de mon père, qui a une longue expérience de combat contre l’occupation, et qui a passé plus de 21 ans de sa vie en prison, qui fut expulsé de Palestine pendant sept ans. Nous parlons aussi de Karim Younis, qui est incarcéré depuis 35 ans, le plus ancien détenu politique de cette lutte. Nous parlons de personnes qui sont vraiment malades et ont besoin de traitements, qu’ils ne peuvent obtenir.
Ce sont des héros – c’est pour cette raison qu’ils sont en prison d’ailleurs. Ce sont des gens qui ont littéralement tout donné pour la Palestine, toutes ces années. Je ne pense pas qu’ils vont abandonner, quoi qu’il arrive.
Le gouvernement israélien fait montre de tellement d’arrogance. Quiconque lit les revendications des grévistes de la faim peut voir qu’il est facile de les satisfaire. Il est probablement étonnant pour la plupart des gens que ces revendications n’aient pas déjà été satisfaites. Mais elles ne le sont pas. Donc les grévistes de la faim vont aller aussi loin qu’il le faudra pour que leurs revendications soient satisfaites.
SW: Il y a une autre différence qui explique l’ampleur de la grève de la faim, le fait qu’elle implique des combattants de la liberté d’un grand nombre de différents partis politiques et factions palestiniens.
AMB: Tous les partis palestiniens sont engagés dans cette grève. Tous les jours, de nouveaux groupes de prisonniers se joignent à la grève. Ils sont tous unis pour revendiquer la dignité et la liberté. Les dirigeants politiques prennent part à cette grève – mon père, Marwan Barghouthi; Karim Younis’ Ayman al-Sharbati; Ahmad Sa’adat .
Ces prisonniers sont unis, sur le même objectif. Les autorités pénitentiaires israéliennes ont essayé de négocier avec eux individuellement, et ils ont tous répondu que les Israéliens devaient négocier avec nos dirigeants.
SW: Comment cette unité a-t-elle pu se réaliser entre les différentes ailes de la résistance palestinienne ?
AMB: Je dirais que c’est principalement grâce aux dirigeants politiques en prison. Ce sont des personnes importantes, de premier plan — ils sont respectés, et tout le monde les écoute.
Le message principal de mon père depuis l’Intifada c’est qu’il faut être uni. L’unité est la seule force que nous ayons. Il a œuvré pour la construire, et elle s’est réalisée en prison. Il n’y a personne qui dit « ce gars est du Hamas, » « celui-ci est du Fatah, » « celui-là est de al-Jabhah [Front Populaire pour la Libération de la Palestine]. » Ils sont tous ensemble, et ils y travaillent depuis de nombreuses années.
Mon père est en prison depuis 15 ans, et il a œuvré à construire cette base tout au long de sa détention avec Ahmad Sa’adat et les autres. Ils ont finalement réalisé l’unité et nous pouvons le constater dans cette grève de la faim.
SW: Hier, vous et moi avons pris part à une manifestation de soutien à la grève de la faim à Chicago. A quoi ressemble la solidarité en Palestine et à l’international ?
AMB: La solidarité est très importante parce qu’elle exerce une pression sur le gouvernement israélien. Le gouvernement israélien nous a enseigné par son histoire qu’il ne bougera pas ou ne négociera pas sans y être contraint.
Internationalement, nous recevons beaucoup de soutien – d’Argentine, d’Europe, du Royaume Uni. Je dois dire que quelques étudiants – dont l’un est un de mes amis – ont fait une grève de la faim de plusieurs jours dans les rues de Manchester. Ils ont inspiré des groupes en Europe, qui ont débuté une grève de la faim il y a plusieurs jours. J’ai reçu une vidéo d’un groupe d’Afrique du Sud qui commence une grève de la faim. Du parlement italien, à des prix Nobels, en passant par des célébrités, les gens nous envoient leur soutien.
En Palestine, bien sûr, il y a eu des manifestations de protestation monstres. Même aux E.U., beaucoup de gens nous soutiennent. Nous avons aussi vu la réussite du #SaltWaterChallenge, avec des gens qui nous envoient des vidéos de partout comme gage de solidarité.
Si nous sentons que nous sommes seuls dans cette bataille, nous n’allons pas pouvoir continuer, c’est pourquoi il est si important de recevoir du soutien, même s’il s’agit d’un acte aussi petit qu’un changement de statut, ou une vidéo ou le partage d’un article sur Facebook. J’encourage vraiment tout le monde à faire entendre leur voix pour l’humanité – à faire entendre leur voix pour le bon côté.
SW: Pouvez-vous nous en dire plus sur le #SaltWaterChallenge? C’est vous qui avez lancé cette initiative, n’est-ce pas ? Pour inciter les gens – comme le ALS Ice Bucket Challenge—à prendre une vidéo d’eux-mêmes buvant de l’eau salée, la seule chose que les grévistes de la faim ingèrent, et à la partager sur les réseaux sociaux.
AMB: Le #SaltWaterChallenge a été lancé en avril par des amis et moi-même dans la Région de la Baie. Je les ai réunis chez moi et leur ai dit : Mon père ne s’est pas alimenté depuis huit jours, et il faut que je fasse quelque chose – quelque chose qui ne soit pas traditionnel. Je veux que ça devienne viral, afin que tout le monde soit au courant de la grève de la faim.
Nous avons réfléchi et l’idée nous est venue en moins d’une heure. Le succès a commencé lorsque j’ai mis au défi Mohammad Assaf, le lauréat de Idole arabe – et Ali Jaber, un des juges du spectacle Arabs Got Talent (Les Arabes ont du talent). Mohammad Assaf l’a fait quelques heures après que je l’ai défié, et Ali Jaber l’a fait en direct dans l’émission Arabs Got Talent.
De nombreuses célébrités ont suivi. Adolfo Pérez Esquivel, Prix Nobel de la Paix argentin l’a fait. Je ne peux vraiment vous dire à quel point cela nous touche.
SW: Les États-Unis, comme Israël, ont un système carcéral marqué par le racisme et l’injustice. Les États américains et israéliens sont bien connus pour leur association et collaboration en matière d’outils de répression. Cela peut-il contribuer au potentiel de solidarité ?
AMB: Il y a quelques jours, j’ai pris la parole lors d’un rassemblement à San Francisco, et l’une des principales questions portait sur le fait que les Africains-Américains sont l’objet de discrimination et confrontés à des conditions inhumaines en prison.
Quand on m’a demandé de prendre la parole, j’ai commencé à faire des recherches et à réfléchir à ce que nous avons en commun. Je me suis rendu compte que honnêtement nous avons tout en commun. Nous sommes eux et nous du côté des opprimés.
J’ai été élevé dans l’estime de gens comme le Dr Martin Luther King, qui a déclaré que l’injustice n’importe où est une menace pour la justice partout. J’ai été élevé avec Nelson Mandela, qui a déclaré que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. J’ai été élevé avec Angela Davis et Jimmy Carter, qui tous, sauf le Dr King, ont appuyé la campagne pour la libération de Marwan Barghouthi et des prisonniers politiques palestiniens.
Nous défendons tous la même cause. Nous sommes en quête de justice.
SW: Dans votre discours hier lors de la manifestation, vous avez dit à quel point votre père vous avait ouvert les yeux et vous avait motivé à vous battre pour la justice. Pouvez-vous nous en parler ?
AMB: Être LE fils de Marwan Barghouthi signifie que je dois faire entendre ma voix, quoi qu’il arrive. Mon père est tout pour moi, et je ferai tout ce que je dois faire pour lui parce qu’il m’a tout donné. Il est mon modèle, et il a sacrifié sa vie pour moi et ma génération. Le moins que je puisse faire, c’est d’élever ma voix pour toucher autant de personnes que possible, surtout aux États-Unis.
Vivre aux États-Unis est pour moi très important parce que je veux parler aux gens en Amérique. Je sais que le peuple américain n’est pas le problème. Les médias sont le problème – les médias les abreuvent de la propagande israélienne. Mon rôle est de répandre la vérité.
Il est temps pour nous de dénoncer la propagande et les mensonges israéliens. Ils font tout leur possible pour détruire la réputation de Marwan Barghouthi, ce qui signifie détruire la réputation du peuple palestinien. Mais je continuerai jusqu’à ce que tout le monde sache qu’il y a plus de 1 500 prisonniers politiques dans les prisons israéliennes qui protestent pour des revendications, comme la visite de leur famille et la possibilité de les toucher.
Je n’ai pas eu de communication personnelle avec mon père depuis deux ans, et pour être honnête nous ne savons rien de comment il va. Les avocats ne sont pas autorisés à le voir — ce qui est, bien sûr, illégal, mais Israël s’en moque. Aucun des autres prisonniers ne sait non plus comment il va.
Nous avons vu Karim Younis le 15ième jour, et il nous a dit qu’ils n’avaient pas vu mon père depuis huit jours. Personne n’a eu de ses nouvelles depuis non plus.
Ceci me laisse sans voix. Dans quel monde vivons-nous? Comment est-il possible qu’ils ne nous disent même pas s’il va bien? Ce comportement des autorités israéliennes est représentatif de leurs politiques et leur idéologie. C’est très contrariant et je veux seulement savoir s’il va bien.
SW: Que peuvent faire les gens pour soutenir la grève de la faim ?
AMB: Les gens peuvent faire entendre leur voix et toucher le plus grand nombre possible de personnes. Nous avons beaucoup de partisans de la cause Palestinienne.
Mon père et ses compagnons de détention ont facilité l’expression du soutien parce que lorsque je dis aux gens qu’ils sont en grève de la faim pour ces revendications, les gens sont choqués d’apprendre qu’ils n’avaient même pas ces droits en premier lieu. Je veux que les gens en parlent et sensibilisent les autres.
Mon père dit que nos chaînes seront brisées avant que nous nous le soyons — il a ce genre de détermination. Il a écrit un article publié le 17 avril dans le New York Times qui explique pourquoi la grève de la faim commençait. J’encourage tout le monde à lire cet article. Il a été attaqué par des responsables israéliens, et ils ont puni mon père en l’envoyant en isolement cellulaire pour simplement avoir élevé la voix.
Voyez-vous à quel point tout ceci est irrationnel ? Parce qu’il a fait entendre sa voix et écrit un article dans un journal les Israéliens sont devenus furieux et l’ont mis à l’isolement.
8 mai 2017 – Socialist Worker – Traduction : Chronique de Palestine – MJB